Et si on écrivait notre histoire ?

Publié le Catégorisé comme changer de vie
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Oui, si on écrivait notre histoire ? Il paraît que des biographes professionnels proposent, souvent à des personnes âgées, d’écrire l’histoire de leur vie, ce qu’ils ont vécu. C’est une façon de laisser trace à des potentiels héritiers, de se remémorer son propre parcours. Le risque est de déléguer alors le récit de sa vie et de faire comme si tout était clos. On s’en tient à raconter le passé. Une façon de s’enterrer vivant. Souvent « les grands hommes » écrivent leurs mémoires sentant la mort venir. Si j’invite à écrire notre histoire c’est plutôt dans une démarche active, une intention… Une façon de faire des choix, des choix de cohérence qui si possible ne généreront pas de souffrance idiote mais qui viendront au contraire élargir notre vie…

Choisir plutôt que devoir

Il faut aller à l’école, passer des examens ou des concours, des entretiens d’embauche… tout cela pour trouver une situation stable, travailler, économiser pour la retraite… Dans une période dominée par l’incertitude, beaucoup pensent nécessaire de sécuriser au maximum leur parcours. Il vient même un moment où ces exigences (réussir son bac, ses diplômes, etc.) dominent sur les contenus et les choix de vie… On n’étudie plus le grec ancien parce que « c’est pas utile »… On choisit une filière car elle est bien cotée, pas parce qu’elle répond à nos aspirations !

Le conformisme peut venir définir nos vies. Bien qu’aujourd’hui les personnes changent plus souvent de métier, de partenaire ou de lieu de vie, je suis frappé de voir que certains copains de lycée vivent toujours dans le même lieu, y font le même travail, fréquentent les mêmes personnes… ou que ceux qui changent le font par obligation : une restructuration, un accident…

Jeune homme, j’ai fait comme ça, même si le but premier était de gagner mon indépendance et d’avoir un salaire à 17 ans pour être autonome.

D’une certaine manière, je suis rentré dans le moule.

Cette description négative occulte le fait que je ne suis jamais resté statique et que très jeune j’ai cherché à progresser, changer de fonction ou de métier, de lieu de travail, de région… Je me suis mis en mouvement peut-être pour compenser le regret de n’avoir pas osé à ces 17 ans répondre à l’appel d’un directeur de troupe de théâtre qui me proposait un tout autre parcours… Quelle aurait été ma vie si je l’avais suivi ? Aurais-je continué dans le théâtre ? Contrairement à Rimbaud, j’étais trop sérieux à cet âge-là !

Le risque est alors de regretter… On ne refait pas l’histoire et je me dis que l’expérience m’a nourri et surtout que rien n’est perdu, « chaque chose vient en son temps »… Je n’ai pas mal fait dans le domaine où je travaillais, je n’y ai pas été que malheureux loin s’en faut… mais peut-être pas assez libre pour y être pleinement heureux…

J’ai été très marqué par le parcours de ma propre mère dont la vie a été gâchée par le devoir : devoir se marier, devoir faire des enfants, devoir s’en occuper, devoir pour « rester raisonnable » après s’être mariée avec un homme triste et conventionnel, oublier la philosophie pour des études d’anglais destinées à sécuriser son parcours… Certes, elle parvint à se sauver du cadre « catholique » bien pensant, d’une vie maritale devenue insupportable, mais elle y ruina sa santé et ne parvint plus à faire des choix lui permettant réellement d’être épanouie et heureuse.

Je pourrais dire que si elle avait fait les choix répondant à ses aspirations, je ne serais pas là pour en parler ! Je ne serais pas né ! Difficile d’imaginer si elle aurait été heureuse avec son chanteur d’Opéra, si elle serait devenue une autrice de renom… Elle a souffert et les gens ont souvent regardé son parcours avec tristesse quand ce n’était pas condescendance ou mépris. Ils n’ont pas vu l’intellectuelle qu’elle était, son acuité, son exigence et la modernité de sa pensée. J’en ai été le récipiendaire. Ce n’était pas que facile.

Dans mon métier on a souvent promu des valeurs d’engagement, de sacrifice… J’ai été à ce point « formaté » que j’ai bien souvent sacrifié ma vie privée aux exigences et pseudos urgences professionnelles. J’avais à cœur de bien faire, d’être loyal…

Je fus un bon petit soldat. Pas sans créativité, parfois pris entre le marteau et l’enclume, voulant vivre toujours en conformité avec mes valeurs. Je n’ai jamais par exemple mené ma carrière en humiliant autrui dans une logique de compétition. Il m’a fallu « faire mes preuves », n’appartenant à aucun réseau. J’ai posé ensuite souvent des questions « dérangeantes » mettant le doigt sur les contradictions du système.

Porter le « costume cravate » m’a en réalité beaucoup plus coûté qu’une simple concession aux conventions. Il faut cependant parfois toucher l’hypocrisie pour en mesurer l’intensité !

Dans de nombreux actes de ma vie personnelle ou privée, j’ai fait aussi de nombreuses choses par « devoir ». Je ne parle pas de payer ses factures ou ses impôts. Il m’est arrivé, il m’arrive encore dans certaines situations heureusement de plus en plus rares de faire certaines choses plus par devoir que par choix réel…

Je ne crois toutefois pas beaucoup à la pertinence du sacrifice s’il finit par verrouiller nos vies.

Choisir ne consiste pas pourtant à faire simplement ce que l’on veut. Mais plutôt à faire ce qui est bon pour soi et ne fait pas de mal à autrui. Cela suppose de l’éthique.

Car sans culpabiliser, il faut savoir repérer dans nos choix ce qui n’est que la construction d’un habitus certes sécurisant mais qui ne fait pas avancer, n’enrichit pas…

Je peux regarder une série idiote à la télévision. Elle aura pour fonction de me changer les idées. Mais très vite, si je sens qu’elle n’élargit pas mon horizon d’une façon ou d’une autre, je vais m’ennuyer.

Le besoin de retrouver des films enrichissants ou un bon roman va se manifester même si c’est au prix d’un petit effort ponctuel… La récompense viendra.

le cerveau humain

Choisir c’est parfois prendre un risque, c’est oser, c’est fournir un effort et s’exposer. Un certain nombre de fois dans ma vie, j’ai évité de choisir pour éviter d’avoir à affronter le jugement d’autrui. C’est évidemment une mauvaise démarche, car les gens vont alors sentir une forme de vulnérabilité et en profiter.

C’est ainsi que je fus un aimant à personnes toxiques à plusieurs reprises dans ma vie. Ça se soigne à la condition de veiller à ne pas se fermer à toute personne par crainte d’y voir un manipulateur.

Une intention

Choisir ce n’est pas avoir des caprices et se comporter en consommateur de la vie. Il faut avoir une intention. Je fais une chose donnée pour… dans une démarche… Par exemple, changer de maison ou de région n’a pas été simplement lié au cadre de vie mais à l’idée d’en faire moteur pour rompre avec certains habitus et dessiner ma vie en plus grande cohérence avec mes aspirations, le tempo que je choisis… Je ne choisis pas un menu ou un autre, je choisis pour ce qu’il m’apporte, y compris de surprises… Choisir c’est m’offrir la possibilité de sortir de ma zone dite de confort, celle où l’on n’interroge plus le quotidien pour me demander de quoi j’ai besoin, pourquoi je m’organise ainsi, comment je crée et quels choix de création peuvent me guider…

J’ai l’intention de… vivre heureux en poésie ! Alors, je réunis les conditions pour rendre cela possible !

Choisir c’est avoir une intention. C’est oser dessiner sa vie sans se limiter au court terme. Ce n’est pas forcément profiter de « l’offre du jour » au supermarché, c’est souvent renoncer, différer mais s’interroger de savoir si ce que l’on fait est en cohérence avec ses valeurs, son projet…

Choisir est un moteur formidable

Ce qui est assez épatant c’est que l’énergie dépensée pour choisir, permet non seulement de mettre en action mais devient elle-même un moteur de transformation. Cela dépasse les apparences. On sait qu’il vient un moment où l’on a franchi une étape. On peut passer à autre chose. On se libère d’une situation, d’une personne, d’un souvenir… On se réinvente.

Ne pas laisser autrui prendre la main

« Quand tu seras là-bas tu pourras faire ceci ou cela… » Certains n’hésitent pas à vouloir écrire l’histoire à votre place, à imaginer le scénario, vous confier un rôle.

Mais, non, c’est ma propre histoire. Faite de rencontres certainement, d’échanges… mais il ne s’agit pas de laisser écrire sa vie par autrui ou d’accepter telle ou telle étiquette…

D’autres voudraient « savoir ce que vous devenez » non pas tant pour prendre de vos nouvelles que pour vous empêcher de changer en réalité, d’être non pas « autre » mais vous-même tel qu’ils vous perçoivent ou voudraient vous voir. Cette personne qui n’est pas forcément en rupture avec le passé mais qui n’est pas celle d’il y a un an, cinq ans ou dix…

Si je dis qu’il ne faut pas laisser autrui prendre la main et écrire votre histoire à votre place, il faut encore que notre intention soit claire, pas guidée par les seules habitudes…

J’ai besoin de repères mais pour pouvoir créer librement dans le cadre, dans des règles explicites que je me donne et révisables si elles me nuisent…

Se centrer

Choisir d’écrire sa vie c’est pouvoir prendre le temps de se centrer. Non de façon égoïste, mais d’être bien sur « sa cible », ce que l’on veut faire en évitant les distracteurs et les autosaboteurs de service.

Je n’accepte pas toutes les invitations, je ne vais pas forcément aux mariages et encore moins aux enterrements si ce n’est pas en cohérence avec mon ressenti.

Cela ne veut pas dire se fermer à la surprise, à l’inattendu, au contraire… mais c’est pouvoir s’attacher à essayer pleinement, être résolu ou déterminé…

Si choisir c’est en apparence renoncer, c’est plutôt à mes yeux privilégier et mettre en avant ce qui va me permettre d’avancer, de dessiner mon projet, de l’élaborer, de l’enrichir, de le parfaire… C’est exactement la centration du menuisier sur sa planche décrite par Guillevic.

Le menuisier

J’ai vu le menuisier
Tirer parti du bois.

J’ai vu le menuisier
Comparer plusieurs planches.

J’ai vu le menuisier
Caresser la plus belle.

J’ai vu le menuisier
Approcher le rabot.

J’ai vu le menuisier
Donner la juste forme.

Tu chantais, menuisier,
En assemblant l’armoire.

Je garde ton image
Avec l’odeur du bois.

Moi, j’assemble des mots
Et c’est un peu pareil.

GUILLEVIC, Terre à bonheur (Seghers
un escalier dans un village du Lot

Pouvoir reprendre, mesurer

Choisir c’est dessiner sa vie en artisan. Peut-être en artiste dès lors qu’on souhaite « vivre en poésie », c’est à dire se relier au présent. Se trouver dans le présent, dans le flow et non pas seulement comme le chantait Higelin « rêver sa vie ».

Il ajoutait « je n’vis pas ma vie, je la rêve… ».

Si l’aptitude au rêve, au lâcher prise, au jeu est source de bonheurs, l’enfant qui joue, est pleinement à son jeu. Le jeu lui enseigne et son cerveau y trouve belle récompense.

Si l’espace que je me crée est sécurisé, alors je peux essayer.

Ce qui compte c’est de choisir les conditions propices.

Et puis oser s’interroger soi-même, prendre des nouvelles de soi, par rapport à ses choix et la façon de les vivre…

Choisir ce n’est pas s’enfermer dans la planification ou la programmation de sa vie en la figeant, c’est pouvoir cheminer, réguler, ajuster comme le menuisier de Guillevic…

Prendre le parti du vivre en poésie

Je choisis de vivre en poésie. C’est une démarche, une intention où non seulement je suis attentif à la beauté du monde, au souffle de la vie, au présent et à autrui mais où je dois pouvoir me donner la possibilité de créer chaque jour : cela peut être une idée pour mon travail, la maison, une recette, le jardin, une idée de création… au fond c’est pouvoir toujours se demander, la journée terminée, ce que l’on a pu vivre qui fut enrichissement, élargissement, surprise, apprentissage…

Un paysage, un mot nouveau, une page lue, un essai de chanson… chacun sait bien… ce n’est pas refuser la pensée triste ou la manque, on l’accueille, mais on ne s’y complaît pas puisqu’elle ne répond pas a priori à ce que l’on souhaite écrire… La tristesse appelle la consolation, la résilience… elle n’est jamais loin de la joie, laquelle est fragile et précieuse…

Prendre le parti d’écrire sa vie, c’est accepter sa singularité et sans honte ni orgueil pouvoir se dire qu’elle est notre création, celle qui fait de chacune et chacun d’entre nous un être absolument unique. Et l’on peut s’en émerveiller comme un enfant est curieux d’explorer et découvrir partout le souffle de vie !

Vincent Breton

Par Vincent Breton

Vincent Breton auteur ou écriveur de ce blogue, a exercé différentes fonctions au sein de l'école publique française. Il publie également de la fiction, de la poésie ou partage même des chansons !

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