C’est l’étrange question qui dérange : voulez-vous vivre ? Rien de plus personnel et de plus remuant si on l’écoute vraiment. Au bout de la question, il y a l’interdit absolu. Si je ne veux pas vivre, vivre sans le vouloir, ne plus vivre, refuser la vie… Mais sans penser au pire, face au miroir ou dans l’échange, que peut-on répondre ?
Je n’ai pas demandé à vivre !
La vie, le souffle de vie qui anime le vivant préexiste à ma propre existence. La vie sauf accident, devrait se poursuivre après ma mort.
Il suffit de regarder partout autour de soi. Dans le plus petit lieu, le plus étroit, la vie se manifeste ne serait-ce que par le passage d’un insecte, un cri dans le lointain, des micro-organismes…Je ne la perçois que parce que je suis vivant. Pour vivre je dois pouvoir être alimenté en oxygène, en éléments nutritifs… mais je dois aussi pouvoir percevoir les manifestations de la vie, ne pas m’abandonner et de préférence ne pas être abandonné des autres êtres vivants…
Je perçois la vie parce que je suis vivant. J’existe mais je peux mourir. Je pressens que je peux aussi être oublié. Je peux sous différentes formes, participer à ma façon à nourrir « la vie »…
Je n’ai pas demandé à vivre. Personne ne s’inscrit pour ça. Certains sont nés parce qu’ils ont été voulus ou désirés et seront plus ou moins attendus, choyés, aimés…
D’autres sont nés « par accident » mais aimés, d’autres nés par « conformisme » (des parents voulaient « faire des enfants » comme on fabrique des objets à montrer à son environnement social).
Pour son propre bonheur, j’aurais préféré que ma mère vive sa vie, ne se marie pas si tôt, pas avec cet homme-là et ne gâche pas sa vie et ses potentialités comme le fit ma mère en ayant des enfants. Elle n’était pas faite pour ça. Mais tout reproche est vain et ridicule. Je suis né. Me voici propulsé dans l’aventure. Cela ne pourrait se défaire que par l’ultime et dramatique sanction.
Il est vain de s’épuiser à chercher un sens au fait d’être venu à la vie.
En revanche, souvent le matin au réveil, je me dis : « Tiens ? Je ne suis pas mort cette nuit. »
Je suis donc vivant. Et je fais quoi de ça ?
Je guette alors les signes, les petites preuves que la machine fonctionne. Le corps et l’esprit.
Vivre difficile, mais aimer la vie !
Lorsqu’elle était aphasique, ma mère partit bien jeune, pour la dernière fois à l’hôpital, elle savait qu’elle ne reviendrait pas. Elle partait convaincue qu’elle allait mourir et ce malgré nos dénégations. Elle n’était pas hospitalisée en urgence mais pour de simples examens. Elle avait passé sept ans effroyables, hémiplégique, privée de l’essentiel du langage et ne pouvant quasiment plus lire. Pourtant, elle put sur sa civière me dire avec la force des formules lapidaires imposées par son état : « Vivre difficile, mais aimer la vie oui ! »
Prends ça dans la gueule au bas d’un escalier avec deux ambulanciers pressés.
Pour certains la souffrance est comme une sorte de prix à payer, de sacrifice pour gagner une place un jour au paradis.
Je ne crois pas à cela et ce d’autant plus que nombre de souffrances ne sont dues qu’à l’ignorance ou à l’égoïsme. Si les sensations sont inhérentes à la vie, ne serait-ce que celles du froid et du chaud elles peuvent tour à tour être agréables ou douloureuses. Il serait difficile de vivre sans phases de satisfactions, d’insatisfactions, d’attirances et de répulsions.
Vient très vite l’affaire des besoins et des désirs…
Ce que ma mère disait, c’est que malgré ses difficultés, la vie peut-être « aimable » et même sera-t-elle d’autant plus supportable et aimable, si on l’aime… Non pas en se soumettant à ce qui n’aurait rien à voir avec elle (par exemple la compétition économique) mais au contraire en la vivant, en s’en rapprochant à la fois par la capacité à l’explorer, l’apprendre, l’interroger, tenter de la comprendre dans toutes ses formes… Aimer la vie, c’est s’émerveiller de toutes ses manifestations incroyables, de toutes ses créations dont celles de l’homme… Celui-là, très doué pour inventer des horreurs destructrices, sait aussi « sauver », préserver, inventer…
Oui, voulez-vous vivre ?
Est-ce que je me laisse porter par le courant ? Ou bien est-ce que je me cale dans un coin en « attendant que ça passe » ou bien est-ce que je pose le « vouloir » devant.
Est-ce que j’investis mon existence ?
Est-ce que je tente d’apprendre, de créer, de partager, de faire avec autrui ?
L’éthique plutôt que la morale
Ressentiment et jugement isolent et mènent à la guerre. La compréhension bienveillante permet d’avancer. L’exigence éthique, c’est tenter d’être ce que j’attends d’autrui mais surtout poser le respect de la vie comme un guide. Respect de l’autre, reconnaissance de l’égale dignité d’autrui… avec en premier lieu chercher avant même de faire le bien à ne pas faire le mal.
Cela suppose d’accepter la vie dans ses manifestations parfois intempestives, ses aléas, son désordre et de veiller lorsque je veux la « dessiner » à la préserver…
L’exemple typique est dans la façon de jardiner en modelant peut-être l’espace mais sans altérer ni nuire aux espèces végétales et animales…
Bien sûr, on perçoit vite les conséquences sociales. La compétition ne peut être choisie comme modèle. Il ne s’agit pas de consommer pour consommer, de produire pour produire mais de répondre aux besoins…
Vouloir pour être soi
Si je veux c’est que je me définis par moi-même dans mes pensées, mes actes, mes créations. Vouloir c’est le risque d’oser s’émanciper d’un milieu, de mes propres préjugés… Je veux pouvoir choisir quitte à me tromper. M’affirmer sans m’opposer, refuser de me laisser définir par autrui…
Il est facile de perdre ses moyens, comme l’escargot qui a peur de se recroqueviller un temps… Puis, on avance, à son rythme… laissant derrière soi peut-être quelques traces plus ou moins visibles.
Si je dis que « je veux vivre », c’est à la fois « boire la vie » mais aussi agir, me mettre en marche, cheminer… sans m’encombrer d’ultimatums, de jugements disqualifiants, du dénigrement. Marcher, avancer, essayer, refaire… Changer de direction parfois, oser. Vouloir vivre c’est accepter d’être surpris par la rencontre avec soi, avec la vie…
Je veux vivre dans le « flow »
Pour une fois, je ne connais pas de mot français qui propose une alternative convenable. Être dans le flow, dans le flux de la vie, c’est être à ce que l’on fait… C’est un travail où l’on est à la fois centré sur le présent, en état de création, inspiré peut-être par le passé mais jamais retenu par lui… On est en action et tous nos sens convergent dans la même direction. Il s’agit de ne pas se disperser, de ne pas être distrait notamment par de fausses urgences.
On se projette, on va à ce que l’on doit faire, mais plus que servir des objectifs, il s’agit de se rendre disponible, de s’offrir pour inventer…
Chacun trouvera son domaine : l’un la philo, l’autre la poésie, l’autre la menuiserie ou la course à pied… Peu importe. Il s’agit d’être artisan. C’est-à-dire de développer un savoir faire qui n’est pour autant pas celui d’une machine qui produit des objets manufacturés, sans surprise…
Le souffleur de verre ne produit jamais exactement le même objet…
S’autoriser le bonheur d’être (unique)
Tous semblables, construits sur des modèles génétiques qui nous apparentent à la même espèce, nous pouvons nous reproduire entre nous. Nous aurons des traits communs, parfois des ressemblances… chaque être humain est différent et unique.
Ni nos origines, ni notre culture, ni nos croyances ne nous définissent et ne nous limitent.
Vivre, en pleine et égale dignité, c’est presque un acte militant mais la révolution commence par soi-même.
Je veux vivre, je ne suis pas égoïste mais parce que je respecte autrui je ne veux pas me priver du droit d’investir la vie dans ce qu’elle offre.
Il ne s’agit pas de prendre, mais de prendre sa place et de créer, d’inventer, de traduire pour partager.
Les évènements, les échanges, engendrent des émotions. Je dois pouvoir les laisser me traverser comme des signaux.
Me préserver, pardonner mais me refuser au sacrifice, au martyr idiot. Souffrir et surtout ajouter de la souffrance ne sert à rien.
Je reviendrai plus tard sur ce choix de vivre heureux… et pour ce qui me concerne de vivre heureux en poésie…
et vous, voulez-vous vivre ?
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