Le renouvellement culturel

Publié le Catégorisé comme changer de vie
Cinema

Tandis que les vieux démons réactionnaires font la fête et pas qu’aux États Unis d’Amérique, je cause impavide de renouvellement. J’ai trouvé plusieurs portes d’entrées pour évoquer le sujet. Entre réflexion et feuille de route, j’essaie d’imaginer un renouvellement authentique ou sincère, pour avancer, élargir l’horizon… Se renouveler c’est aussi pouvoir le faire dans ses pratiques culturelles, se « mettre à la page » ou plutôt à « sa page » pour ne pas céder aux modes, veiller à ne pas s’enfermer…

Mon habitus culturel

Je ne vais pas vous ressortir Bourdieu. De mes nombreux déménagements, ce qui a été le plus préservé, c’est la bibliothèque de ma mère. Les classiques y côtoient la littérature américaine ou la philosophie bouddhiste. J’ai conservé également ses trente-trois tours des années cinquante, principalement du très bon jazz puis des années soixante-dix, de la chanson française. Elle même nous initia au patrimoine de la chanson traditionnelle et à la joie de chanter en famille. La télévision vint tardivement et très progressivement.

Petit, j’eus droit à de nombreux contes, j’appris à lire très tôt, je fus inscrit à un atelier d’art où très vite (trop vite) le responsable me coupa de mes pairs pour me placer avec les adultes. Je n’appris pas la musique, encore moins le sport.

Adolescent, je lisais des livres que mes copains ne connaissaient pas. J’écoutais des chanteurs et des disques qui ne passaient jamais à la radio. J’ignorais à peu près tout de ce qu’ils écoutaient eux mêmes, les vedettes ou stars de l’époque, je fuyais le « commercial ». J’y trouvais mon bonheur, mais cette différence n’était pas que facile à vivre. On se sent un peu bizarre, à l’écart…

Plus tard, ce sera la joie des concerts : Ferré, Higelin, Thiéfaine… ce n’était pas rien.

Mais dans mon entourage, j’étais le seul à écouter Colette Magny ou Jacques Bertin.

Adolescent, seul le théâtre me permit de ne pas me couper de mes copains.

Je ne sais pas du tout comment je suis venu au théâtre. Peut-être des pièces trouvées dans la bibliothèque maternelle ou des spectacles que j’avais pu voir. Il n’empêche qu’à partir de la cinquième, le théâtre me sauva en me permettant de supporter le collège et de tisser des amitiés formidables.

Pour écrire des pièces je lisais, j’allais chercher les poètes… Car très vite je n’ai pas seulement voulu jouer les pièces de Molière, j’ai voulu en inventer. Il en fut de même des chansons ou des poèmes.

J’ai pu faire ça grâce à la tolérance de ma mère qui n’hésitait pas à jouer les taxis quand il fallait emporter les décors du spectacle d’un village à un autre. De façon étonnante, elle ne commentait jamais ce que je produisais. Elle ne s’en mêlait pas, n’empêchait pas, n’encourageait pas.

Toute cette activité n’était pas structurée, ni pensée. Je ne me projetais pas un avenir en tant qu’artiste même si le théâtre prit vite une importance conséquente. Nous répétions pratiquement tous les midis, parfois le mercredi ou le samedi, on allait jouer de village en village… Sans compter l’écriture, le théâtre occupait cinq à dix heures par semaine et ce jusqu’au bac.

Nous étions une petite troupe d’amis. Nous jubilions d’ailleurs. Chacun avait « son rôle ». Marco régisseur, Xavier l’acteur vedette, Nathalie jouait mon épouse… Nous allions de MJC en salles de foyer ou de lycée. Le correspondant local nous photographiait. J’appris assez vite qu’il aimait bien que je lui écrive l’article (ça permettait au moins d’écrire des choses élogieuses). Il n’y avait rien d’élitiste. Nous allions jouer aussi bien dans des foyers de vieux que des salles municipales. C’était amusant car non nous faisait confiance, nous n’avions pas quinze ans. On nous prêtait des salles. Nous étions chauffés. Il y avait parfois beaucoup de monde, trois à quatre cents personnes… parfois deux. J’avais pu rencontrer par hasard des comédiens professionnels qui vivaient en Haute-Provence, proposaient des spectacles et des interventions en milieu scolaire. À 17 ans, un responsable d’une de ces troupes locales me proposa de travailler avec lui… mais je n’ai pas osé. Je savais qu’il me faudrait gagner ma vie. Une croisée de chemins…

Devenu fonctionnaire, je quittais le théâtre pour vivre l’expérience d’une radio libre. Elles n’étaient pas encore pleinement autorisées. J’adorais ça. L’émission principale s’appelait « Différence ». « L’hebdomadaire de la musique, de la chanson et de la poésie différente ». Déjà. Tout un programme. Parallèlement, je fréquentais plus encore le cinéma. À diverses époques, j’ai fréquenté plus ou moins assidument les expositions, les musées… visité châteaux ou monuments… changer de région a aidé à nourrir la curiosité tout comme les personnes qui partageaient ma vie…

Jeune homme, je continuais d’explorer l’univers marginal de la chanson française à textes, de la poésie… Je m’émancipais en littérature des gouts de ma mère pour aller vers la littérature japonaise, Sylvie Germain, Bobin, Le Clezio et tant d’autres. Comment se découvre-t-on des affinités avec tel ou tel auteur ?

Parfois on chemine un temps, puis on se sépare, on se retrouve… amitiés muettes. J’ai rarement écouté les critiques, la publicité et encore plus rarement choisi le livre mis en avant sur la plus grosse pile, non pas comme une sorte de défiance, mais le refus de me laisser commander mes découvertes.

J’écrivais, j’inventais des chansons pour mes proches… mais je n’ai jamais eu de velléités réellement affirmées de publier ou de chanter en public.

Ma pratique culturelle reste aujourd’hui intense en termes de « production », si j’en donne écho via le site, cela reste une activité « privée », une pratique autodidacte, celle d’un amateur. Je ne cherche pas à produire en fonction d’un « projet » défini. C’est la motivation qui me guide, le plaisir d’être dans le « flow ».

Seule une personne avec qui j’ai vécu un temps, crut en ce que je faisais. C’est à cette époque que Radio France mit en onde une dramatique , que je gagnai un concours de poésie ou que des revues publiaient mes textes… Mes amis écoutaient mes chansons avec plus ou moins de bienveillance, mais je n’ai pas vraiment trouvé d’encouragements… quand la « cohabitation » culturelle ne devenait pas carrément un calvaire…

Je suis un admirateur fasciné par les danseurs ou danseuses, les sculpteurs ou sculptrices, les musiciens ou les musiciennes. Je veille au féminin. Dans la chanson je crois que l’équilibre est respecté… peut-être plus de femmes en réalité !

J’aime tenir un pinceau mais je me sais maladroit. Les jardins, les richesses de la nature, les paysages m’apportent le même bonheur qu’une belle toile.

Mon grand-père maternel, le géologue, cachait une mandoline dans son placard. Je me souviens avec précision du plectre d’ivoire glissé entre les cordes. Et comme le piano de la grand-mère, j’osais parfois en jouer sans savoir.

Je me dis que c’est parfois dommage que personne n’ai pensé à me montrer.

Je sais que c’est ça tout de même, ma rencontre avec les arts, jouer sans savoir tout animé de curiosité et de maladresse, admirateur, amateur qui m’a très certainement formé, ouvert à la meilleure compréhension d’autrui …

Pont Valentré

Élargir l’horizon, guetter, explorer…

Je me faisais la réflexion qu’aujourd’hui, le nouveau Georges Brassens éprouverait encore plus de difficultés que le maître à pouvoir se faire connaître et vivre de sa chanson.

Les petites salles parisiennes ont presque toutes fermé leurs portes, le réseau des maisons des jeunes et de la Culture est mort ou ne propose plus que des animations… mais je découvre peu à peu des initiatives locales et privées. Des espaces, des projets originaux, y compris en « province perdue » (peut-être surtout) parfois faits avec peu de moyens… On y retrouve à la campagne plus de néo-ruraux ou des expatriés que des gens du cru, mais il s’y passe des choses intéressantes créatrices de liens.

Certains réseaux sociaux, si on fouille un peu, permettent de faire de jolies découvertes. Les jeunes artistes ne rechignent pas d’ailleurs à prendre le temps de répondre, d’échanger…

Le rayon poésie des librairies est maigre, les grosses maisons d’Édition et les prix médiatisés écrasent des productions souvent intéressantes. La critique et les notations sur Internet ont pu tuer l’espoir pour certains de se faire connaître (il faudrait que les critiques notamment « amateurs » passent plus de temps à dénicher des bonnes surprises qu’à dézinguer des artistes…)… mais en fouillant, en cherchant, en butinant… on peut trouver de très belles choses.

Énergie et mouvement

Il existe une offre diverse, multiple. Parmi les musiciens, la frontière est parfois ténue entre des amateurs de haut niveau et des professionnels… Je ne suis pas rétif du tout à la culture populaire, à la joie d’une fanfare, à l’élan d’une troupe de théâtre amateur… on peut y prendre du plaisir…

Il faut accepter d’aller « perdre du temps » car on n’est jamais à l’abri d’une jolie surprise, d’une émotion, d’une couleur, d’un inattendu…

D’une certaine façon, il faut se montrer disponible là aussi, être attentif, explorer, fouiller…

Il y a des ambiances jusque dans une fête votive ou une fête foraine qui apportent leurs couleurs inspirantes…

On peut tomber sur un concert de jazz ou de musique du monde de grande qualité…

Cela ne veut pas dire se priver de retrouver ce que j’aime déjà… mais ne pas m’y cantonner. C’est aller vers une exposition même si à la base le thème ne m’attire pas forcément.

Le goût pour la singularité n’est pas chez moi un snobisme. J’ai la chance de pouvoir choisir librement…

Une amie à qui je proposais un spectacle qui l’intéressait me confiait devoir soumettre le projet à son compagnon…

J’aime le contact direct avec les œuvres plus que les commentaires. Je peux avoir un avis critique quand je visite la FIAC (enfin ce qui la remplace) mais je ne veux pas pour autant me laisser dicter si je dois aimer ou non le travail de Soulages. Des éclairages peuvent aider à comprendre, je préfère tout de même laisser passer d’abord les sensations sans filtre… même si je sais bien qu’un certain nombre de préjugés sociaux ou mentaux risquent d’orienter mon regard… C’est toute la difficulté de la démarche… il y a une forme de conditionnement auquel il est difficile d’échapper… On peut juste tenter d’en avoir conscience et s’interroger : est-ce que je ne me prive pas de surprises qui élargiraient mon horizon ?

Il y a une dynamique à trouver entre passivité de celui qui ne recevrait la culture que par les médias et l’attitude qui consisterait à consommer comme pour combler un ennui, sans même accorder une réelle attention à l’œuvre. Il y a un « tourisme culturel » qui est semblable au tourisme de ceux qui disent : « on a fait le Maroc, on a fait l’Australie… »

Apprendre, créer, partager…

Une journée réussie, c’est une journée où j’ai pu apprendre (lire, découvrir une œuvre… ) , où j’ai pu créer (un texte, un poème…) et pourquoi pas partager (une impression, une création)…

Dans les points importants, entre les retours vers ce que j’aime et la découverte (ou redécouverte) , perdure la nécessité de « penser » cet engagement vers la culture et les artistes…une dimension à habiter pleinement si on aime la liberté…

La difficulté c’est d’accepter qu’on peut « manquer » quelque chose d’important ou d’intéressant… tout en se disant que des traces seront peut-être disponibles ensuite…


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Vincent Breton

Par Vincent Breton

Vincent Breton auteur ou écriveur de ce blogue, a exercé différentes fonctions au sein de l'école publique française. Il publie également de la fiction, de la poésie ou partage même des chansons !

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