Je parle du renouvellement depuis hier. Le renouvellement est une forme de changement qui prend appui sur le passé ou l’existant pour parvenir à une métamorphose positive. Je ne devrais pas changer pour changer mais avoir un but. Se renouveler vraiment suppose que je sois capable de pointer ce qui doit changer et que je m’inscrive dans un projet. Celui-ci doit être assez inspirant et créatif pour me motiver et m’engager. L’exercice suppose à la fois sincérité, capacité d’auto-analyse et de savoir être clair-e avec ses propres valeurs…
Une mode du renouvellement ?
La société nous invite au renouvellement du corps, de l’esprit, des objets. Bien que des mouvements contraires s’expriment aujourd’hui, les modèles promus restent dominés par la norme, la croissance économique, le développement exponentiel vu comme un but… La consommation d’objets de plus en plus technologiques et interconnectés mais périssables est censée nous faire bénéficier du progrès infini, négligeant la finitude des ressources. Les réseaux numériques doivent être de plus en plus rapides. Les abonnements téléphoniques offrent l’accès à 200 gigas d’échanges de données poussant à la sur-consommation sans réflexion sur les besoins…
On continue d’ailleurs à pousser au renouvellement de ces appareils même en bon état au bout de deux ans. On pousse à changer de voiture. La fast fashion légifère sur la mode. L’obsolescence programmée force et scande son injonction. Scroller est addictif. Les personnes en surpoids sont invitées à maigrir via des publicités omniprésentes. Les coachs, nouveaux prêtres du monde mouvement permanent, poussent également à changer en occultant les valeurs auxquelles ils se réfèrent.
Plus qu’une mode, ce renouvellement est une injonction qui frôle la manipulation. Il peut constituer une forme d’oppression et susciter le rejet de celles et ceux qui se sentiront incapables de s’en approprier les codes.
Le renouvellement des bavards.
Renouvellement des pratiques disent-ils
Enseignant, formateur, j’ai toujours aimé innover. Assez vite on m’a chargé d’ailleurs « d’apporter l’innovation » au sein d’un réseau d’écoles en prenant appui sur de nouvelles technologies. L’outil commandait le besoin… Nous nous retrouvions à manipuler les premiers ordinateurs et faire de la programmation sans savoir vraiment pourquoi…
Formateur, je n’ai eu de cesse de « renouveler mes pratiques ». Pas seulement pour rompre l’ennui ou interroger les habitudes. Des dynamiques se créaient. Savions-nous toujours évaluer finement l’impact de nos actions ? Le discrédit fut jeté par celles et ceux qui préféraient la compétition et l’élitisme « républicain » à la coopération et la différenciation des apprentissages… Autrement dit, le renouvellement des pratiques ne pouvait s’exonérer d’une réflexion sur les ambitions et attentes… Comme sur d’autres sujets, à présent le brouillage idéologique est à son comble…
Si je pointe ces questions, c’est qu’il me semble que quelque soit le contexte, se renouveler exige de s’interroger sur les valeurs que l’on veut porter... sinon, c’est juste un habillage…
En navigant sur les Internets, j’ai trouvé cette présentation sympathique d’un groupe de travail destiné à des professeurs.
On lit ça : « Renouveler les pratiques pédagogiques » est destiné à tous les professeurs concernés par le renouvellement de leurs pratiques pédagogiques, qu’ils soient en école, collège, lycée, supérieur, débutants, anciens, entrant dans le métier ou proches de la retraite. Son objectif est de permettre à chacun de modifier ses pratiques au gré des ses besoins ou de ses envies, de changer quelque chose, de faire du neuf avec du vieux, de partager ses réflexions, ses compétences, ses idées, ses interrogations et ses trouvailles.
« Changer quelque chose »… Je ressens presque du désarroi. « Il faut que ça change ! »
« Faire du neuf avec du vieux ». Façon pudique de montrer qu’on gère la pénurie ?
Dans ce type de groupe, l’ambition est-elle de favoriser la rupture de l’isolement des professeurs ? Alors c’est très bien… mais le renouvellement n’est plus qu’un prétexte. J’ai connu ce type de groupes qui tournaient souvent à l’échange de « trucs et ficelles« , une façon d’égayer le morne quotidien des classes ou de partager des tuyaux pour tenter de gérer le quotidien. Souvent ces renouvellements s’étiolaient au bout de quelques semaines… On avait essayé ça, on essaierait autre chose… On ne touchait pas au cadre d’ailleurs contraint…
On peut voir ça dans d’autres domaines. L’exemple le plus amusant était le TupperWare Club. Je ne sais si ça existe encore. Chez ma grand-mère, une animatrice réunissait les voisines du quartier pour leur faire essayer des recettes basiques et pas terribles, dans le but d’utiliser toute la gamme d’ustensiles en plastique de la marque qui allaient encombrer les placards… On aurait pu souvent faire plus goûteux dans les vieilles marmites, si on avait osé échanger les recettes du terroir (dans les années 70 ce n’était guère valorisé)… Mais on préférait imposer le règne du plastique et du formica !
Même en politique
Devant l’énervement des citoyens, nombre de politiciens ont prétendu renouveler programmes et pratiques. On a vu notamment les uns se poser en chevaliers de la reconquête ou d’autres engagés dans la Renaissance. Bien ambigu retour vers le passé . Tout ça pour tenter de l’idéaliser au goût de la France (rance). Difficile de parler d’une sincère régénération. C’est du ravalement de façade, de la mise en scène ou un culte crétin de la nostalgie. Les programmes ailleurs qui promettent de rompre sans changer de méthode, n’ouvrent guère de perspective de renouvellement…
Alors il faut passer son projet de vie à lessiveuse
J’ai changé de lieux de travail ou d’affectation (7 fois) , de fonctions (6 fois) , de corps de métiers (4), de maisons (24 ) , de régions (7 fois…), de partenaires (pas tant que ça non mais ça ne vous regarde pas !)…
J’ai un côté voyageur ou nomade. Sous l’apparente instabilité, je suis resté parfois au même lieu ou dans la même fonction longtemps et rester quelque part n’empêche pas de se renouveler, au contraire … mais c’est vrai que j’ai pu assez vite avoir le goût du changement d’horizon.
Ces changements m’ont transformé. Ils ont souvent à la fois enrichi mon expérience et incité à évoluer… J’ai parfois changé de « posture » comme on dit.
Ma motivation n’a jamais été le pouvoir ou par exemple de « faire carrière ». Et plus j’avançais, plus j’avance car c’est encore valable, plus la nécessité de me tenter de me rapprocher de mes valeurs s’est imposée. Se renouveler prend sens à mes yeux quand on peut renouer ou mettre en action ce en quoi l’on croit. Une histoire de cohérence, de dynamique dans l’alignement, une recréation en action.
On change de cadre, on adapte l’ergonomie, on structure autrement pour mieux répondre à l’essentiel…
Une démarche ?
Le renouvellement serait alors une sorte de démarche, empirique à certains égards, pour dégager des milles facettes de ma vie, ce qui fonde mon identité, mon unicité. Je me renouvèle pour me (re)- trouver et me débarasser de ce qui pourrait vite m’encombrer. Le conformisme, le prêt à penser ou le prêt à créer.
Je vois le risque de ce renouvellement de surface, ce déguisement, cette mise en scène ou le risque de la fuite en avant.
Le renouvellement profond, c’est celui de la transfusion, celui de l’action, du sens de la vie qui naît en faisant, en existant, en agissant, en osant…
Le renouvellement peut être alors une manière de résistance à la mort s’il ne se parodie pas lui-même.
Pourquoi tu fais ça ? Pourquoi es-tu là ?
Tout est affaire de décor
Changer de lit changer de corps
À quoi bon puisque c'est encore
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m'éparpille
Et mon ombre se déshabille...
Louis Aragon
Le renouvellement implique la capacité à ne pas répéter les mêmes erreurs si ça ne marche pas. Essayer autre chose. Mais pas « à vide », en s’interrogeant…
Il faut donc savoir ce que l’on veut renouveler et pourquoi. Et en creux savoir ce dont on veut se débarrasser et pourquoi… « Questionner son habitus » comme dirait l’autre et chatouiller habilement sa « zone proximale de développement » comme disait mon pote Lev Vygotski (il était assez charmant non ?).
Je ne veux pas juste changer de look, je veux être en cohérence avec les vêtements que je porte…
Je ne veux pas seulement changer ma façon d’écrire, je veux trouver une façon de dire les choses qui exprime mieux ce que je ressens…
Le renouvellement n’est pas quelque chose que l’on attend du ciel mais un acte que l’on pose.
Résister à la vieillesse ?
Une difficulté en vieillissant est de ne pas se réfugier dans ses souvenirs ou son passé que ce soit pour cultiver la nostalgie ou y trouver des excuses à ce qu’on n’a pas su faire ou être…
Faut-il se renouveler quand on arrive en fin de parcours ?
Je me renouvelle pour me permettre d’apprendre, de créer, de partager, de prendre soin… On revient à mon antienne... Je me renouvelle pour me surprendre, peut-être bien aussi pour le goût de la liberté, pour réinventer à partir du réel…
Le renouvellement peut-être aussi une façon de renouer avec la créativité, celle de son enfant intérieur qui a toujours envie de s’amuser et faire preuve de curiosité.
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