Soulages et Fontana se sont rencontrés. Le premier qui a son musée à Rodez appréciait les œuvres de l’argentin. Nombre d’entre elles sont proposées jusqu’au 3 novembre 2024 à Rodez. Plus qu’un joli voisinage ou une belle cohabitation, une sorte de partage fraternel de l’espace humanise le lieu en lui donnant un goût inattendu d’enfance, teinté de subversion.
Ressens ce que tu veux !
Soulages n’était pas complètement une découverte. L’architecture du Musée si. Œuvre en soi des catalans RCR arquitectes associés au cabinet d’architectes Passelac & Roques, aux bureaux d’étude Grontmij et Thermibel explique la présentation du musée.
Lieu épatant.
Un vent brûlant m’avait poussé sur l’esplanade. Quelques jeunes s’étaient réfugiés, devisant et révisant leurs cours à l’abri devant le musée. La porte s’ouvre comme au supermarché ou dans un crématorium mais c’est beau. Les caissiers s’ennuyaient un peu trop joyeusement. Pas pour longtemps. Il y eut un lâcher de vieux. On devrait les encadrer plus sérieusement. Entre celui qui cherche les toilettes d’urgence et la neurasthénique qui se débrouille pour se perdre et vaciller au risque de s’accrocher à l’un des tableaux du maître…
Comme des enfants cherchant une nouvelle maman, les vieux s’agrippèrent à leur conférencier qui conférait la voix un peu forte. Les vieux c’est sourd. Il doit leur falloir du courage à ces guides. Celui là parlait de Soulages comme s’il avait l’habitude de boire des coups avec lui avec une familiarité qui me parut excessive.
Mais comment peut-on à la fois écouter une présentation et ressentir l’intensité des tableaux en groupe ? Je reste dubitatif.
Dans les salles où je m’étais réfugié fuyant la foule, Marguerite Duras sautillait sur place et courait soudainement d’une toile à l’autre comme pour les capturer avec son smartphone. Je ne la pensais pas si véloce. Oui. Marguerite. Courir. Encore. Saisir. La lumière. Ce n’est pas sombre. Tu vois. C’est ça. Là. Ce noir. Outre. Non. La lumière perce encore.
Il fallut me réfugier un peu plus loin, m’éloigner de la rumeur et me retrouver parmi les toiles des années soixante pour être vraiment pris d’émotion. Presque par surprise. Une des toiles m’a saisi sur mon banc ou plutôt a ciblé exactement l’enfant que j’étais vers quatre ou six ans. Dans ce mélange de désarroi et d’espoir. C’était comme si je me reconnaissais dans les ombres et la lumière. Ou plutôt, ce n’était pas moi qui regardait la toile, mais la toile qui lisait en moi.
C’est la force de Soulages. Il va chercher l’enfant en nous, notre enfant intérieur. Dans sa part la plus mystique, faite de matière et de lumière.
Fontana
Fontana et le spacialisme. Fontana et son art informel, son obsession des fentes. Il jouait, perçait… Fausse naïveté, provocation doucement subversive parce que ses inventions datent d’avant 68. Toute cette lumière. Le public n’était heureusement pas venu jusqu’ici et je n’avais que mes chaussures pour couiner en passant d’un tableau à l’autre.
Jubilation de la lumière et très belle scénographie.

Au dessus de la ville, en sortant, le ciel avait amassé des nuages menaçants, sombres et noirs d’encre. Comme s’ils s’était échappés d’un tableau du Dieu Soulages.
Peut-être bien que ce musée est une sorte de temple avec ses marchands et ses dévots. Mais c’est une belle maison pour l’enfant de Rodez. Il se pourrait que je revienne, accompagné.
C’est en rentrant chez moi que j’ai compris combien la visite m’avait empli. De joie.