En conclave avec moi-même, j’avais fait émerger le triangle : créer, apprendre, transmettre. Tout cela au service de mon « projet » de vivre heureux en poésie.
C’est ce qui donne du sens à ma vie. Mais dans le temps de vivre, pour intégrer le quotidien dans ce qu’il peut en apparence avoir de trivial, il m’apparaît important d’intégrer ce que j’appellerais le « prendre soin ». Une sorte d’axe transversal aidant à s’attacher à vivre dans le flow du présent en étant attentif aux sensations et aux impressions tout en veillant à ne pas nourrir le négatif.
Les valeurs
Vouloir vivre heureux en poésie, c’est une démarche de cheminement. Il ne s’agit pas de nier les obstacles mais de refuser de se laisser disqualifier comme de nourrir soi-même les auto-saboteurs. C’est savoir lâcher prise mais ne jamais laisser faire ou se laisser faire. C’est s’affirmer sans s’opposer. C’est être ce que l’on voudrait que les autres soient sans en faire la moindre doxa. C’est accepter la part d’émerveillement, la puissance du souffle de vie, la magie de la beauté. L’idée est à la fois de chercher à comprendre comment les choses sont, en acceptant la part d’irrationnel, l’incertitude, que ce soit celle engendrée par la finitude de l’humanité ou même de l’effondrement de l’univers. C’est être présent dans le réel et accepter qu’il nous dépasse.
Choisir plutôt que devoir, agir en fonction de ses besoins, non par utilitarisme, en ne s’enfermant pas dans l’habitus sans pour autant nier le besoin de repères ou de sécurité… c’est un peu le cadre dans lequel je dessine les choses.
Chacune ou chacun peut décliner ou modifier ce schéma en fonction de sa situation : on peut avoir des obligations professionnelles ou travailler librement pour soi, on peut avoir des contraintes avec lesquelles il faut négocier… Je ne construis pas un modèle, mais je partage une réflexion et une démarche…
Toujours à l’arrière-plan, la question est de savoir si mes choix de vie sont conformes à mes valeurs, sont éthiques et répondent à mes besoins.
Là où je veux progresser, c’est dans l’illustration concrète, jusque dans la mise en œuvre temporelle de ces choix… L’idée est de s’engager, de produire… quitte à réguler ensuite, car je ne suis en compétition avec personne, j’essaie juste de favoriser ce qui m’épanouit…
Les quatre entrées
Je les donne ici de façon un peu sèche….
Apprendre :
— développer mes connaissances
— m’informer
— m’améliorer dans certaines compétences
— mieux connaître les autres (pour mieux les comprendre)
Il ne s’agit pas que d’une approche livresque, d’un apprentissage de notions mais aussi de poursuivre l’apprentissage par l’expérience de vie, pouvoir se rendre disponible à cet apprentissage (autrement dit accepter de déstabiliser des acquis ou des représentations antérieurs).
Créer
— de l’échange de la relation
— produire quelque chose avec mon intelligence (bien sûr créer apprend ou suppose d’améliorer des compétences pour bien ou mieux faire)
— faire du beau qui d’une certaine façon fasse du bien même si c’est en osant critiquer ou contester (dimension politique de la création au sens noble du terme)
— c’est non pas faire du nouveau pour du nouveau, mais pour essayer, proposer, imaginer, une touche différente qui me transformera et même modestement à ma mesure, apportera une touche, une saveur, une couleur, une note qui sera à sa façon ma signature… même si c’est éphémère
— c’est la trace qu’on laisse et on peut le faire avec des valeurs, une éthique, une attention à l’autre comme certains choisissent de s’affirmer en « salissant » l’humanité en eux en niant de reconnaître dans l’autre la possibilité du semblable…
C’est la raison pour laquelle par exemple je crée sans honte ni orgueil avec l’envie du partage (de la transmission) mais aussi l’espoir d’enrôler celles et ceux qui n’osent pas encore dans une démarche de création…
Transmettre
C’est partager. Non pas enseigner verticalement une vérité, mais témoigner et accompagner. Comme enseignant, j’aimais par exemple chercher avec les élèves les « secrets » d’une œuvre littéraire en les aidant à débusquer les clés utiles à mieux la comprendre. C’est-à-dire que l’idée d’un enseignant c’est de démocratiser le savoir en le rendant savoureux, c’est de simplifier la complexité non pour la réduire mais pour permettre son approche progressive…
Transmettre c’est ne pas garder pour soi quelque chose qui pourrait peut-être aider autrui à s’émanciper ou regarder les choses autrement…
Mais tout mentorat suppose aussi une rencontre assez motivante pour celui qui apprend à son tour… avec l’espoir qu’il puisse le moment venu, très tôt, lui aussi s’embarquer dans la boucle du apprendre-créer-transmettre
Prendre soin.
Mais la vie humaine, personnelle ou en société, ne s’incarne pas seulement dans le créer/apprendre/transmettre si outre l’attachement à questionner ses valeurs, à se garder d’un point de vue éthique sans sombrer dans la moraline, on ne sait prendre soin. C’est la bienveillance (bien-veiller) devenue ici et là une sorte de tarte à la crème.
C’est la dimension sociale de la démarche.
Pour moi et les autres je dois savoir prendre soin (liste non exhaustive)
— de moi, ma santé, mon corps, mon humeur
— de mes relations amicales ou amoureuses (sans sombrer dans le conformisme ou la dépendance)
— de ma maison, mon jardin, mon environnement
— de la vie autour de moi, mes animaux…
— d’une certaine façon en lien avec l’apprendre, je dois prendre soin à enrichir mon univers culturel, explorer, découvrir, me relier à la nature et au beau…
-…
Tout cela pour créer un cadre quotidien favorable à mon triangle « créer/apprendre/transmettre.
C’est dans ce quotidien du « prendre soin » que je dois penser à la façon dont j’investis mon temps personnel, pour parvenir à mener mes projets tout en préservant les équilibres.
Certes, il y a des moments par exemple où la création va prendre le dessus. Il n’y a pas à culpabiliser, mais un peu comme lorsqu’on fait des excès de table, pouvoir stabiliser les choses…
Il y a aussi dans le quotidien, des parasites, des envahisseurs, des habitudes inutiles ou d’autres qui manquent.
Je cite souvent l’exemple des informations : il n’est pas utile de s’informer trois fois par jour. On aura un esprit plus apaisé si on se contente d’une fois, assez résumée… voir moins…
On peut aimer un temps suivre une série télévisée (parce qu’elle amuse, éclaire ou change l’esprit) mais il faut toujours se demander si on en a vraiment envie, si ça apporte un plus, un mieux être, si c’est utile…
La question du temps
Quand j’enseignais, j’avais ce qu’on appelle « le temps devant élèves », c’est à dire un temps très contraint rythmé par un emploi du temps. Mais tout enseignant du premier degré connaît le risque ou le besoin d’adapter l’emploi du temps au contexte : parfois raccourcir une séance « qui ne passe pas » ou approfondir un travail quand les élèves sont mobilisés… On dirait aujourd’hui quand ils sont « dans le flow », c’est à dire centrés et portés par la tâche. En revanche, il ne sert parfois à rien de s’acharner sur une notion qui ne passe pas et démoralise les troupes. Il faudra l’aborder autrement… Et puis j’avais le temps considérable de préparation de la classe et ce qui restait était offert aux proches, aux loisirs, à la création… et à l’entretien de l’appartement !
Quand j’étais inspecteur, l’agenda fixé avec la collaboratrice était soumis à des aléas qu’ils soient des contretemps ou des urgences qui venaient tout bousculer, des trucs inutiles et chronophages comme des réunions ou des séminaires faits pour la communication du ministère… mais il fallait aussi apprendre par exemple à tenir un horaire de réunion… Le rythme était soutenu, les gens ne voyaient pas ce que aviez fait avant et ce que aviez à faire après les avoir rencontrés… Les limites étaient franchies facilement. Ce fut le cas avec l’épidémie de COVID où je devais échanger avec des partenaires parfois à 21 ou 22 heures. La vie privée en prit un coup.
Quand j’ai pris « ma retraite » très amer sur ce qu’était devenu le ministère, j’ai réussi à me mettre en « burn out » parce que je me sentais redevable de la liberté que la société me donnait d’être payé pour faire ce que je voulais. Je me suis bizarrement épuisé à vouloir être exhaustif aussi bien dans le quotidien que mes activités de création. J’ai fait des choses passionnantes mais je ne veillais pas à prendre soin de moi… Je payais aussi « la facture » d’un métier stressant… mon cerveau avait mal été conditionné pendant des années…
La tentation de l’emploi du temps trop rigide :
Chassez le naturel, il revient au galop. On nous parle de gestion du temps, il « faut » être productif, même à la retraite, alors on se fabrique un emploi du temps qu’on peut penser à la journée et croiser avec des objectifs à la semaine ou au mois…
Du coup je me suis vu construire un emploi du temps quotidien qui est vite devenu un carcan.
J’avais imaginé un découpage entre mes quatre domaines, les types d’activités, la durée et le moment pour les conduire…
Ça donnait un truc comme ça…
le tableau d’une journée type | ||
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Type d’activités | Moment | |
Prendre soin | Rituels S’alimenter S’occuper des animaux S’occuper des proches courrier personnel Se dérouiller le corps Se laver, se préparer… | 6/8 heures le matin |
Apprendre | Développer ses connaissances et ses compétences Apprendre une langue, un instrument | 8/9 heures |
Transmettre | Relire des écrits pour les mettre en forme et les transmettre ou les publier | 9/10 heures |
Prendre soin | Se détendre, Entretenir la maison, le jardin… Préparer le repas, déjeuner, se reposer | 10 /13 heures |
Apprendre | Explorer la nature, découvrir des œuvres… | 13/15 h |
Prendre soin | Se détendre, méditer | 16 h/16h30 |
Créer | Écrire | 16 h 30/18h30 |
Prendre soin | S’occuper des siens, préparation du repas, etc. | 18h30/21 h |
Selon l’inspiration… | Point de journée, ouverture culturelle… rencontres ou juste se préparer au repos |
Intuitivement, je voyais déjà que le tempo soutenu devait laisser place à des ruptures ainsi j’avais imaginé que :
- Le sixième jour : on pouvait choisir une dominante sur un tempo différent, c’est-à-dire, approfondir par exemple une création en se centrant sur elle ou développer un apprentissage… L’idée c’est de se laisser guider par l’inspiration du moment et de moins ritualiser la journée…
- De temps à autre d’ailleurs plusieurs journées pouvaient à la manière de « stages » focaliser sur un projet spécifique pour se centrer sur lui, le faire avancer, concentrer les énergies…
- Que le septième jour : devait aider à se libérer des contraintes, se consacrer aux siens… avoir le droit de ne rien faire…
Mais cette vision restait encore commandée par une approche productiviste, risquant d’être culpabilisante . Je me connais, je peux vite me stresser si je ne fais pas ce qui est prévu sur ma « to do liste ».
Je voyais là aussi le risque de me priver de me laisser porter par « l’appel du temps présent », la richesse d’une sollicitation… Une rencontre, un évènement, un moment où il fait beau qui invite à sortir ou au contraire un jour pluvieux qui invite à se réfugier dans une salle de ciné ou près d’un feu…
Je veux pouvoir être disponible y compris à mes intuitions, mes envies du moment… Si j’ai envie d’écrire à quatre heures du matin, ce n’est pas grave, je dormirai plus tard… si je souhaite accorder du temps à un proche, je veux pouvoir le faire sans rendre compte qu’à moi même… Je veux pouvoir « perdre » du temps sur une lecture qui me passionne, un apprentissage… Toute la question c’est que je ne veux pas « laisser de côté » un domaine qui me ferait du bien… Je veux vivre mes projets sans m’enfermer dans une programmation idiote. Comme on le dit familièrement, « on n’est pas aux pièces »… Et je crois que j’aurais dû plus souvent m’appliquer cette philosophie… Pas de procrastination ou d’oubli, pas d’avachissement dans des trucs idiots (pas trop mon genre en même temps), surtout pas les habitudes sclérosantes du « petit vieux » qui ne pense qu’à ses menus et son arthrose…
Alors on revient aux choix et valeurs !
Du coup je veux revenir à une approche réfléchie mais intuitive, qui réponde à mes besoins du moment en laissant la part à l’improvisation tout en me permettant de conduire les projets du moment.
Je peux essayer de me guider par des questions…
- Est-ce que ce que je fais est une action faite par choix ou par devoir ?
- Est-ce que dans ma journée, ma semaine… je réponds aux quatre entrées ?
- apprendre
- créer
- transmettre
- prendre soin
3. Est-ce que je me permets/ me donne les moyens de conduire les projets dans lesquels je m’engage ?
- par exemple, en ce moment je veux tenir le tempo d’un épisode du feuilleton à publier sur le site, comment je gère ça ?
- autre exemple : avec la sortie de l’hiver, je veux reprendre une activité physique, comment je m’organise ?
Au fond, il y a un croisement entre les 4 entrées et l’attention que je dois porter à les « servir » au mieux et des projets que je veux mener…
J’y ajoute l’idée :
- de pouvoir répondre à une sollicitation, un imprévu non pas pour me priver mais comme une opportunité d’échange, de rencontres, d’enrichissement culturel …
4. Est-ce que je sais faire attention à écarter des « parasites » ou des activités plus guidées par l’habitude que par le besoin ou le plaisir ?
- exemple typique des réseaux sociaux… je ne vais pas commencer à débattre avec tout le monde de tous les sujets ou de la prise d’information… ou de l’information qu’on veut suivre ici ou ailleurs : je n’ai pas besoin de m’informer en continu
5. Est-ce que ce que je fais répond à mes « valeurs » ?
- ça peut être lié au point précédent mais au fond, est-ce que je fais quelque chose par conformisme ou en étant en accord avec moi même ? Par exemple du point de vue du respect que je dois à autrui comme moi même, au sens de l’éthique…
- même désherber son jardin peut se faire avec éthique ! J’ai envie d’avoir des allées propres devant la maison… mais je ne veux pas utiliser de produits chimiques. Je vais donc « faire à la main » et au fond … ça fera une activité physique et même une façon de méditer en se centrant sur une activité spécifique (après on pourrait « laisser pousser » mais ce sera fait dans d’autres espaces du jardin…
- je veux transmettre mais plus dans une idée de partage en respectant autrui, est-ce que j’y parviens ?
- etc.
La réflexion n’est pas close.
Un emploi du temps figé, ce n’est pas fait pour moi. J’aime bien gérer des carnets, des listes, un « bullet journal » … mais je veux que ce que j’ai à vivre et faire m’enrichisse, m’ouvre l’esprit et ne me stresse pas (plus) inutilement…
Je ne sais si ces réflexions pourront être utiles à d’autres et rencontrent quelque écho, mais je vous les donne en partage…
à suivre !