L’anodine question qui tue. Alors c’est quoi tes projets ? En général, celui qui la pose a surtout l’envie de vous parler des siens. En période d’incertitudes, avoir des projets, surtout sur le moyen et long terme semble incongru, risqué. Tenir ? Procrastiner ? Rêver ? Planifier ?
Quand je serai grand…
Quand je serai grand, je m’autoriserai à être moi-même. Je m’autoriserai même à changer d’avis.
Je cherche le nom de ce philosophe entendu il y a longtemps : “Tout va mal ? Et si on en profitait pour changer ?”
Si le changement a besoin parfois de ruptures, il commence souvent avec l’art de mieux habiter son présent. Prendre sa place dans le paysage, goûter la vie .
Un souvenir : sur sa civière, au pied de l’escalier, juste avant de partir à l’hôpital, sachant que ce serait la dernière fois alors que personne ne le pensait, ma mère aphasique et hémiplégique après sept ans très durs me confia ce message précieux et lapidaire. C’était en 1987. “Vivre difficile. Mais aimer la vie, oui ! Important.”
Ce fut l’essentiel de l’héritage qu’elle me laissa et au fond, ça fait un beau projet.
Elle savait avec une certitude absolue qu’elle partait mourir après un sacré calvaire, mais elle envoyait un message à la fois lucide et optimiste. La priorité absolue : aimer la vie.
Et c’est déjà le début d’un projet.
Aimer la vie
C’est se montrer attentif à en explorer les manifestations. Le vivant, la nature, les bêtes et les hommes, nous offrent chaque jour de quoi nous émerveiller.
Il suffit d’un brin d’herbe qui pousse entre deux plaques de ciment. D’un enfant qui joue avec presque rien. D’un animal qui cherche le contact. D’une dame qui vous raconte sa vie au détour d’une promenade… De la surprise d’une cascade d’eau tombant sur la route, d’un inattendu… Tout est affaire de rencontres.
Et l’on n’oubliera pas de se rencontrer soi-même…
Aimer la vie, cela n’a rien d’une contemplation niaise et béate. Si on aime la vie, on s’engage pour elle. Contre les injustices, contre la violence et mieux encore pour la dignité, l’égalité, la fraternité.
La cohérence
Avoir des projets, aimer la vie, c’est mettre en cohérence ses valeurs et ses besoins.
Éviter de se faire du mal, éviter de faire du mal à autrui. Ne pas s’inféoder aux toxiques ou aux habitudes qui ne nous font pas du bien, nous font perdre du temps, qui ne servent à rien.
L’inspiration
Je crois que les projets naissent d’une mise en mouvement, d’une disponibilité, d’une capacité à se connecter qui fera émerger l’idée d’une création.
Parfois, nous nous arrêtons à la porte du projet.
Par exemple, j’ai eu des moments où je disais que mon projet était de réussir tel ou tel concours. Mais la question n’était pas là. Le véritable projet n’était pas d’obtenir un concours ou un poste mais de savoir ce que j’en ferai. Obtenir une position ne peut constituer un projet si on n’en fait rien.
Certains ont pour projet de se marier, d’avoir une maison et des enfants. Ils ne nous disent jamais pourquoi et ce qu’ils feront de ce mariage, de cette maison et comment ils vont permettre à leurs enfants de s’émanciper d’eux-mêmes.
On ne fait pas des projets pour posséder un objet, un territoire, autrui sans risquer de nuire.
On accepte aussi de se défaire : avoir des projets c’est oser laisser derrière soi un lieu, un objet, une habitude inutile…
La vertu d’un projet sera aussi de savoir nous mener vers un autre, dans une logique continue de cheminement. Il s’agit de donner du sens à ce que l’on fait en marchant mais pas d’attendre un sens. L’existence, notre façon de nous en emparer, d’agir sur elle… Voilà ce qui va animer nos projets.
L’inspiration va venir au bon moment.
Choisir et agir
Ce n’est pas le devoir qui fait un projet. Y compris lorsqu’il s’agit de résister. C’est le choix suivi de l’action.
Le risque de l’émancipation, l’acceptation de se passer de l’assentiment d’autrui, c’est notre chance, notre dignité.
Et il n’y a pas à chouiner, à ressasser. Stresser ? Inutile. Culpabiliser ? Ridicule. Se tromper ? Logique, c’est nécessaire pour apprendre.
Apprendre j’en ai besoin pour créer, mais si je ne partage pas ce que je crée c’est inutile et si ce partage n’est pas attentif au soin que je dois à autrui comme à moi-même, alors, ce projet n’aura été qu’une ambition personnelle et orgueilleuse.
Designer sa vie
Plus qu’un dessin ou un dessein, la manière dont nous allons nous connecter à la vie puis structurer en l’allégeant et l’ouvrant notre espace mental comme notre environnement, ce sera le travail du jardinier qui crée les conditions pour que son jardin fleurisse, se développe…
Ce qu’il choisit de laisser pousser, ce qui peut en apparence s’entremêler va garantir la biodiversité de son environnement.
Un bon jardinier est polymathe, curieux de tout.
Comme je pense cet espace digital, j’organise mon environnement, mon style de vie. Ces créations intermédiaires sont des outils favorables pour apprendre et créer. Je dois alors jouer avec la variable du temps entre moments ritualisés et réguliers pour permettre la persistance et les moments de plongée offrant la possibilité de mener à bien ce que je souhaite faire avancer de façon approfondie, le plus souvent par phases.
Intégrer les aléas
Les événements de la vie, les pannes, les cassures, les accidents font partie de l’aventure humaine. Je dois savoir qu’ils arriveront, en accepter l’impact émotionnel et parfois l’aspect chronophage… Je ne dois cependant pas en faire une excuse pour différer mon avancée mais au contraire un apprentissage à intégrer comme une nouvelle couleur. Il faut parfois s’arrêter un temps puis rebondir.
Cette acceptation des aléas, c’est l’acceptation des imperfections dans cette négociation entre l’acceptable, le problématique et l’intolérable.
Ainsi dans nos projets, nous devons savoir dire que l’inacceptable, ce qui est contraire à nos valeurs, à notre épanouissement, ce qui nous asservi ou nous blesse par sa toxicité doit être refusé. C’est une sorte de cahier des charges ou de charte éthique d’abord avec nous même.
Ne pas s’inféoder aux conseilleurs, aux coachs, aux curés de la pensée
S’il faut se former, s’informer… Il convient de ne jamais oublier que les conseilleurs ne sont pas les payeurs.
L’apprentissage vicariant, oui. L’accompagnement, oui. Mais pas le conseil qui pense à notre place.
Colette Magny n’a peut-être pas connu la célébrité qu’elle méritait en son temps. Mais elle a produit une œuvre, sincère, unique et authentique qui aurait probablement beaucoup perdu en se “prostituant” aux exigences des marchands. Si vous ne la connaissez pas et que vous allez chercher de l’information sur cette grande artiste, alors, vous aurez fait preuve d’autonomie, de curiosité et peut-être même de sérendipité. Non seulement elle a réussi sa vie mais elle a su être inspirante. Je la remercie encore des mots qu’elle a pris le temps de m’écrire. Ils ont pris le temps de germer en moi, non comme des conseils froids, mais au contraire une responsabilisation…
Alors ?
Tes projets te regardent. Ils t’appartiennent. Tu les façonnes. Et puis, tu en tiendras un.
Comme le cuisinier qui soudain invente une recette, la journaliste qui creuse son idée, le jardinier qui essaie une nouvelle façon de faire, le jeune homme qui explore un nouveau domaine inconnu, le prof qui inaugure une nouvelle méthode de travail…
Inventer, s’inventer, se confronter…
Bien sûr il faut oser se lancer. La résolution suppose l’action mais la planification ne doit pas finir par devenir un obstacle à la pensée, à la souplesse. Mesurer l’avancée est utile, mais l’évaluation ne doit pas tout envahir. Méfions nous de ces machines normatives, de ces multiplications d’objectifs, du poids des agendas… préférons pour avancer la simplexité à la complexité.
Accompagnons-nous nous même avec sollicitude, avec bienveillance et bonté, avec confiance et si le geste doit être affiné, s’il faut dépasser l’empirisme et prendre appui sur de nouveaux automatismes par l’entraînement (les sportifs et les musiciens connaissent), ne nous créons pas de vaines compétitions. Ce n’est pas dans d’illusoires et provisoires victoires que tient notre réussite.