Présente à l’école, mais de façon insuffisante, la poésie semble plus tard réservée au « happy few » ou alors on la retrouve sur les réseaux sociaux sous une forme souvent mièvre et convenue, dans une fonction décorative. Donner le goût de la poésie est complexe.
Est-ce parce qu’elle emmerde ? Certains font le choix pour la promouvoir de la mettre en scène comme s’il fallait enrober le texte pour le rendre digeste ou accessible. Pas certain que cela soit la bonne entrée.
Comment recréer l’intérêt pour la poésie, y compris chez les adultes et montrer en quoi elle peut enrichir notre vie et même devenir un art de mieux vivre dans le présent et d’une certaine façon de mieux supporter les difficultés de la vie pour la transformer ?
À l’école, peut mieux faire…
Vous avez connu le cahier de poésies avec la double page permettant d’illustrer le poème. Pour avoir observé nombre de classes, j’ai vu la poésie réduite progressivement à la portion congrue.
Instituteur, je donnais à la classe au moins un texte par semaine. Très souvent les enfants pouvaient rapidement choisir leur texte parmi un florilège. Nous apprenions une grande part des textes en classe et d’abord en les copiant à la main.
Peu à peu, la photocopie est venue se substituer à la copie et surtout, la poésie est devenue une activité secondaire, reléguée au second plan… J’ai vu trop de cahiers ne comptant que six à sept textes dans l’année. Triste.
Triste parce que la découverte d’un texte poétique, sans chercher à s’enferrer dans l’explication laborieuse, permet d’aborder le lexique, la syntaxe, d’interroger le sens des mots, la question de la polysémie ou des métaphores.
Illustrer la poésie plait aux élèves. C’est pourtant une façon réductrice de réduire le texte poétique à quelque chose « d’illustrable »… mais passons.
Outre la méconnaissance, la crainte de manquer de temps, je crois qu’il y a une part d’autocensure chez nombre d’enseignants qui ont peur que la poésie ne fasse pas assez sérieux et soit même vue comme subversive dans une époque conformiste comme la nôtre.
Pourtant, les jeunes lecteurs adorent s’emparer de la poésie pour la lire, jouer avec les mots et les sonorités, copier avec soin, inventer à leur tour en découvrant quelques règles de jeux d’écriture.
La poésie est aussi un moyen formidable d’améliorer le climat de la classe, de faire s’exprimer les élèves, d’apaiser les conflits, de réapprendre l’écoute mutuelle.
Lorsque nous écrivions des textes, nous apprenions à découvrir les inventions de l’autre, même le maître s’essayait à l’exercice ce qui motivait grandement la classe.
Il fut un temps où le « Printemps des poètes » animait un peu de vie. J’ai l’impression que c’est à peu près mort aujourd’hui en tout cas dans le premier degré.
Dans les maternelles, le répertoire des comptines est trop souvent peau de chagrin. Pourtant, les élèves mémorisent vite de longs textes appartenant au patrimoine…
La poésie est aussi une façon de travailler la mémoire auditive ou visuelle même si ce n’est pas son but premier.
Dès l’école, il faut montrer que la poésie est un espace de liberté, de jeu avec les mots et les formes, un jeu où l’imagination et la fantaisie participent de l’émancipation et de l’esprit critique.
Avec la poésie tu peux dire des choses aux puissants comme le faisait La Fontaine. Mais faire découvrir la poésie, c’est montrer aussi le risque encouru par le poète. Poètes en Résistance ou poètes emprisonnés encore aujourd’hui.
L’enseignement de la poésie est à mes yeux aussi un enseignement à la citoyenneté, aux valeurs de liberté et il permet grâce aux mots de transformer la colère en expression, de sublimer l’expression de sentiments qui peuvent nous envahir. La poésie enseigne l’empathie et l’acceptation de soi. Elle enseigne le questionnement et à regarder la vie autrement. Loin d’être une simple récréation gratuite (encore que la récréation soit absolument nécessaire), elle est une façon de vivre le présent autrement, en pleine conscience de ses sensations, en se reliant aux autres…
Derrière le poème il y a le poète

Il ne raconte pas forcément sa vie, il reste parfois en retrait. Pourtant chaque poète s’affirme dans sa singularité. C’est même à ça qu’on reconnaît un poète. Ce n’est évidemment pas juste quelqu’un de rêveur ou d’asocial, bien au contraire, sa capacité à décrypter le monde de façon sensible en fait un humain en réalité bien ancré, en interactions fortes, un humain qui se souvient et qui se projette, capable de relier le détail d’un trou au paletot à l’infini de la voûte céleste.
Alors peut-être aussi faut il rendre vivants les poètes aux enfants comme aux adultes.
Souvent les enfants ou les adolescents pensent qu’un poète est forcément mort.
Même si le fait que le poème puisse survivre à son auteur est formidable, montrer les poètes vivants est important.
Je n’oublierai jamais le jour où avec les CE2 nous avons reçu Claude Roy. Nos avons parlé de ses livres, de ses chats. Sa façon douce et infiniment délicate de communiquer avec les élèves correspondait pleinement à ses écrits. Inutile de dire la passion qu’ils éprouvèrent tous…
Plus tard, lorsque nous avons découvert les Chansons des rues et des bois d’Hugo ou même Gavroche avec les CM2 de la rue de Tanger, quel bonheur ont-ils eu à vouloir découvrir le personnage. Sans sombrer dans le culte de la personnalité, ils ont été touchés de se sentir compris. « Gavroche c’est nous ! » avaient-ils dit en jubilant et pleins de reconnaissance pour Hugo . Ils ont appris des pages par cœur et les récitèrent avec foi devant les collégiens médusés.
Adolescents, nous avons tous éprouvé Rimbaud dans sa personne, son mythe certes… Au delà de l’affiche dans la chambre, il fallait le lire mais au moins écoutait-on Ferré le chanter…
Plus tard j’ai découvert Miatlev le pacifiste en colère. ou hier j’évoquais mon prof Arseguel qui était poète jusque dans sa façon d’enseigner. Fombeure, René Guy Cadou, Jacob, Éluard ou Lucienne Desnoues sont tous des personnages que j’aurais aimé connaître et qui continuent de vibrer au travers de leurs textes.
Si j’étais réalisateur de télévision, je ferais une série sur les poètes…
Derrière le poème il y a la subversion
Notre époque est bête. Elle confond parfois subversion et violence ou insulte. Alors que la poésie possède ce pouvoir magique de viser juste, de critique, de dénonciation même par l’humour, la métaphore, la suggestion, l’allusion… qu’elle soit tendre ou caustique comme chez Prévert
J’ai connu un poète : il était subversif
Il arborait dans les cafés son coeur à vif
En scandant Tout va mal Viva Revolucion
Les Puissants sont Méchants. -Qu’il m’a fait impression !
Il disait Attention ô Vous les Oppresseurs
Faudra que vous cherchiez vos Victimes ailleurs (Maryse Gévaudan)
Peut-être faire aimer la poésie serait montrer son pouvoir de subversion, d’émancipation.
Tiens, cela me fait penser à cette parole de Serge Pey « Dans un pays où l’on hésite entre les enfants et les chiens seuls les colliers sont libres » ou je pense à Aimé Césaire « et nous entendons fidèles à la poésie, la maintenir vivante ; comme un ulcère, comme une panique, images de catastrophes et de liberté de chute et de délivrance, dévorant sans fin le foie du monde. »
Derrière le poème, un art de se vivre dans le présent, dans le flow
Le poème n’est pas un truc figé pour les musées. Je ne sais pas bien comment faire ressentir cela, d’abord aux amis. La poésie n’est pas un genre littéraire. Tout le monde ne se perçoit pas poète, mais comme tout le monde peut chanter, chacun peut trouver du bonheur à investir le champ poétique que ce soit par l’écriture ou la lecture.
La poésie permet la pleine conscience « Le Flow, en psychologie, décrit un état mental atteint par une personne lorsqu’elle est complètement plongée dans une activité et qu’elle se trouve dans un état maximal de concentration, de plein engagement, de motivation et de satisfaction dans son accomplissement. » (Elaee)
C’est à la fois ce que l’on peut ressentir au contact du poème mais aussi ce qui peut se vivre en s’ouvrant à l’état poétique qui consiste à se laisser traverser par les sensations, être présent à ces sensations, au monde et aux personnes…
Offrir de la poésie
Parfois mes amis sont surpris : je leur offre de la poésie. Pas forcément mes propres vers, loin de là, mais des recueils choisis pour eux.
C’est parce que je les connais que je les perçois en harmonie avec le livre offert ou en capacité de curiosité.
Car il y a bien cette question de la curiosité, l’ouverture d’esprit qui est d’abord une capacité à dépasser la crainte d’être déstabilisé.
Donner un recueil de poésie, offrir un poème c’est toujours un moment fort… une façon de dire l’autre, « je t’estime assez pour oser t’offrir cet objet singulier, choisi pour toi… pour aller toucher dans ta propre singularité un espace nouveau que tu ne connais pas ».
Exactement comme on fait goûter un bon vin choisi pour une personne aimée, une recette, ou un bouquet que l’on a composé soi même.
C’est aussi oser dépasser la vision parfois réductrice que l’autre peut donner de lui et surtout pour celui qui donne, oser s’exposer y compris au travers des mots d’autrui !
Et vous si vous aimez la poésie, comment faites vous pour en partager le goût ?