Ce matin on me propose encore un webinaire. Ce sont de fait souvent des conférences dans l’esprit des nombreuses vidéos YouTube qui inondent le net. D’autres proposent l’écoute audio. Même la consultation du mode d’emploi de ma tondeuse (manuelle) se fait en ligne sous forme de vidéo. Et c’est inapproprié, chronophage, peu propice à un véritable apprentissage. Non vraiment, je préfère lire pour apprendre à regarder une vidéo…
Ploum a bien raison
Je lisais ce matin le billet assez sombre de Ploum à propos de la fin d’un monde. Je trouve toujours amusant quand une plume note un point sur lequel je m’agaçais depuis plusieurs jours en mon for intérieur. Du coup, on se sent moins seul…
Allez le lire ! Il y déplore notamment la fin des différentes voix. Un peu cruel il dit : “Je critique le besoin d’avoir une réponse en vidéo, car la notion de lecture est importante. Je me rends compte qu’une proportion incroyable, y compris d’universitaires, ne sait pas « lire ». Ils savent certes déchiffrer, mais pas réellement lire. Et il y a un test tout simple pour savoir si vous savez lire : si vous trouvez plus facile d’écouter une vidéo YouTube d’une personne qui parle plutôt que de lire le texte vous-même, c’est sans doute que vous déchiffrez. C’est que vous lisez à haute voix dans votre cerveau pour vous écouter parler.“
Il y a quelques temps, une personne avait commenté le fait que j’écrivais des choses intéressantes, mais qu’elle n’avait pas eu le courage de tout lire d’un article qui faisait pourtant moins de 800 mots.
De mémoire à la fin du cours préparatoire on attend de l‘enfant qu’il sache lire 50 mots à la minute.
La vidéo nous tient captifs et captives
Lorsque je cherche une information sur un sujet, ce qui m’agace avec les vidéos outre le fait qu’elles intègrent souvent de la publicité externe ou interne (quand la personne veut vendre une formation par exemple) c’est que l’intervenant :
- perd du temps en généralités pour introduire son sujet à force d’adjectifs et de formulations souvent un peu ronflantes
- ne dévoile que partiellement son plan ou ne le tient pas
- emploie des termes sans qu’ils soient forcément définis, visibles ou compréhensibles
- nous prive de la liberté d’avancer, reculer, revenir (car les repères sont rarement donnés qui permettent d’identifier les différentes parties d’une vidéo et restent de toute façon peu faciles à manipuler)
Très souvent, le contenu réellement informatif est si faible qu’il tient sur une feuille A4. Ou une fiche Bristol.
Les affirmations y sont rarement sourcées ou argumentées.
Une vidéo qui m’intéresse sera vraiment pensée et articulée à des références qui de fait vont me conduire à l’écrit. Un peu comme une conférence bien riche et construite le ferait. Si je vais écouter telle ou tel spécialiste c’est souvent parce que j’aurai déjà lu quelque chose de cette personne, que la présentation va apporter des développements, des éclairages sur un contenu écrit… Autrement dit une vidéo qui ne part pas d’un écrit ou qui ne m’y conduit pas a peu de chances de m’enrichir.
Un certain nombre de petits livres publiés aujourd’hui, des guides de développement personnel notamment, ont également ce défaut de se perdre en circonvolutions, en anecdotes, de remplir les pages, de peu sourcer les connaissances… mais au moins on peut se faire un avis en manipulant le livre (encore plus facile avec le papier), en cherchant dans le sommaire, les chapitres, en revenant en arrière… L’ossature d’un livre, la solidité de la pensée qu’il déploie ou non va vite se faire jour.
La vidéo a ce défaut de nous placer passivement devant l’écran, sans rétroaction possible qu’une mise en pratique ou auto-évaluation assez empirique avec le risque d’alimenter nos préjugés et nos représentations plutôt que de nous enseigner à les dépasser, de nous aider à avoir une approche critique.
Une vidéo nous montre quelqu’un qui parle, parfois manipule de façon plus ou moins claire mais nous n’agissons pas.
Exemple récent : une vidéo “pratique” veut présenter les fonctionnalités d’une extension utilisable pour mon site WordPress. Très bien, mais de fait il faut transcrire sur le papier ou faire des allers-retours compliqués entre la vidéo et l’extension pour essayer, vérifier, reprendre… Même chose avec la vidéo du mode d’emploi de la tondeuse où la réponse à une question de réglage va intervenir aux trois quart de la vidéo, de façon fugace, obligeant à des arrêts sur image…
Une connaissance doit résister un peu pour m’apporter
Si je ne cherche qu’à conforter un point de vue, je n’avancerai pas beaucoup mais je serai au moins provisoirement content. C’est ce qui explique le succès des vidéos complotistes qui laissent croire en la révélation d’un secret “qui m’arrange bien” pour me conforter dans une représentation erronée du réel mais qui me dédouanera de ma responsabilité propre. Tout ce qui est fondé sur le ressentiment marche bien en vidéo.
Si la connaissance ne doit pas être hermétique, j’aime qu’elle vienne me bousculer tout en me respectant dans mon autonomie et ma capacité d’exercer mon esprit critique.
Apprendre ce n’est pas seulement répondre à une question qu’on se posait mais aussi interroger ce qui semblait “aller de soi”. C’est la raison pour laquelle je me méfie toujours de quelqu’un qui prétend développer un point de vue en parlant de “bon sens”.
Le problème d’une vidéo YouTube c’est qu’elle répond à une question posée via un moteur de recherche. Or on ne peut pas deviner le savoir. L’enseignement doit intéresser l’élève à ce qu’il n’imaginait pas.
Les vidéos YouTube sont faites pour flatter, retenir l’attention et augmenter la popularité de la personne qui parle. Les influenceurs, les coachs et autres experts autoproclamés y règnent en maîtres. Ils n’aiment guère les questions précises ou la contestation. Ce sont avant tout des commerçants qui veulent en général nous vendre des choses dont nous n’avons pas besoin.
À titre personnel les audios me captivent peu s’ils n’ont pas un propos artistique, une matière sonore qui nourrisse mon imagination ou mes connaissances, mes sensations ou mes impressions. Je peux apprécier écouter la radio s’il y a de vrais échanges, des réflexions développées mais en termes d’apports réels, j’aurai toujours besoin du retour vers l’écrit.
Scroller est dramatique
Le comble de l’abrutissement c’est scroller. Je m’en suis rendu compte quand j’ai vu comment mon pouce commandait la succession de vidéogrammes plus ou moins amusants, plus ou moins attirants mais très rarement enrichissants. Quel bonheur de quitter Instagram !
Des visages charmants, des images spectaculaires, des trucs croustillants… si j’ai pu découvrir quelques artistes ce n’était que quelques bouts, des extraits, du succédané. Et en fin de compte un auto-assujétissement…
Réactionnaire ?
Je ne veux pas sombrer du côté des réactionnaires. De nouvelles évolutions viendront. Le livre n’est pas mort. Je ne crache pas sur le numérique ou les vidéos en tant que tels. La question c’est de refuser la défaite de la pensée, la mainmise sur le libre arbitre. L’humain possède le langage. Il existe de riches civilisations sans écrit. Mais elles sont fragiles, ont souvent disparu.
Lorsque l’autre jour j’évoquais la question de l‘humanisme, j’aurais pu parler de la philosophie grecque venue jusqu’à nous par l’écrit. Je n’étais pas très bon élève en classe de grec mais je découvrais là non seulement un univers de pensée et surtout des questions toujours terriblement modernes qui me touchent encore. Et si je le souhaite je peux aller relire Platon tout à l’heure puis voir comment il inspira Marc Aurèle. Avec mes faibles connaissances, je pourrai déceler également l’imposture de ce pseudo-philosophe médiatique qui tient sa chaîne YouTube pour y flatter les esprits réactionnaires. C’est grâce à lecture que je peux mieux repérer ces bêtises et ces mensonges.
La lecture m’aide aussi à mieux me centrer sur les réflexions, l’écriture venant en complément pour poursuivre, questionner, approfondir. Voilà pourquoi je préfère lire pour apprendre plutôt que regarder une vidéo…
