Par hasard, relisant des pages du « Portrait du coeur sous les nuages », je me suis demandé ce qu’était devenu son auteur Gérard Arseguel. Avec Internet tu as toujours réponse à tout. C’est comme ça que j’ai appris qu’il était mort. Ça m’a fichu un coup. Besoin d’un interlude.
C’était mon prof de grec (ancien)
Il a sa page Wikipédia. C’est comme ça que j’ai su qu’il était mort en février 2020. Je l’ai connu au lycée. Il fut notre prof de grec. Nous étions quatre, puis trois peut-être à la fin. Je n’étais pas très bon en grec. Il devait y avoir trois heures de cours par semaine. Je me souviens de son extrême délicatesse, de la vigueur de sa voix et de son accent quand il lisait des textes en grec. Il appelait maître un vieux professeur qui déambulait parfois dans les couloirs avec son éternel nœud papillon. Arseguel était prof au lycée de Sisteron depuis des années. Il arrivait au lycée je crois dans une vieille Arronde avec son vieux cartable de cuir fauve. Le cheveu en bataille, l’air embrumé dans ses pensées. Personnage à part, hautement poétique et lyrique mais qui jamais ne nous aurait confié qu’il écrivait. C’est par hasard que j’ai découvert ainsi ce « Portrait du cœur sous les nuages » dans une librairie.
« vous laisserez
les choses
comme elles sont
dans la douleur de la présence
un serpent maigre
un jeune loup
ce sang
cette pauvre petite morte sous les arbres »
G.Arseguel
Thèze
Il vivait à Thèze. Un petit village à l’époque perdu sur son bout de plateau. J’y ai fait des remplacements comme jeune instituteur. Le cantonnier père d’une élève dégageait les cailloux de la route pour que je puisse passer avec la 2CV. Je devais chasser les poules de la cour pour que les élèves puissent y jouer. Il n’y avait même pas le téléphone dans l’école. Je ne me souviens pas avoir croisé un parent d’élève là bas.
C’est très curieux n’est-ce pas, car depuis plus de quarante ans, je ne m’étais pas enquis du monsieur… mais je n’ai pas aimé découvrir sa mort, déjà, et je me suis dit « merde alors » et que j’irai voir les autres de ses œuvres.
Merde alors
Je suis un peu suspendu dans les questions poétiques, dans l’été, les touristes qui passent ici comme des colons, l’attente de l’un ou de l’une, les projets qui s’entrevoient sur fond sinistre : cette étrange république déchirée, des adolescents qui ont tué un vieillard, un petit garçon perdu justement dans ces Alpes de Haute Provence où j’ai des souvenirs d’adolescence, d’amour et de jeune instituteur… Et mon chien qui fatigue dans son âge. Le jardin où il a plu mais dont le sol reste sec. Des romans qui me tombent des mains. Je lis « L’exil à domicile » de ce vieux renard de Régis Debray. Belle acuité d’écriture. Ça canarde sec mais avec humanité.
Un besoin d’interlude
J’ai peut-être besoin de ça. Mais si je n’écris pas c’est souvent pire encore. Lâcher la bride. J’ai écrit un poème bizarre. Je le mets en ligne. Mes poèmes sont souvent des bébés morts nés. Je vais peut être tenter de souffler un peu. Mais parfois j’ai peur en m’arrêtant de ne pas pouvoir reprendre.
Un vieillard qui meurt, c’est possiblement une bibliothèque qui brûle, mais un de ces professeurs, enseignants qui vous ont construits, même contre votre volonté de l’époque et qui disparait, c’est –pour moi en tout cas– un bout de mon être qui s’éteint.
J’ai perdu récemment mon professeur de français de mes années de lycée, qui m’a fait découvrir Lautréamont, poussé à écrire et fait participer au journal du lycée.
Lorsque par un SMS impersonnel sa sœur m’a apprit sa disparition, j’ai perdu un membre de ma famille.