Visiblement la poésie vous emmerde

Publié le Catégorisé comme de la poésie
Hortensias

Je veux bien qu’on n’écrive pas pour être lu par la foule, mais c’est clair, depuis que j’ai choisi de placer juillet sous le signe de la poésie, c’est la chute verticale des visites sur le site… La poésie vous emmerde ? Le titre des articles du journal doit faire peur : personne n’a voulu me dire quel était son poème préféré… Trop risqué sûrement. Quant à l’essai de définition d’un poète, il n’a encore intéressé personne ou presque …

Souvent la poésie m’emmerde

Oui, souvent la poésie m’emmerde : c’est d’ailleurs le titre d’un spectacle qui va se jouer au festival d’Avignon et dont la Presse se fait l’écho.

Sur le site d’appel à souscription tout est clair : « L’enjeu est de dire que la poésie peut être puissante, percutante, drôle et moderne. Loin des clichés. D’où le choix du titre, impertinent, emprunté à Francesco Pittau, et dans lequel beaucoup de gens se reconnaissent. Mais que le spectacle se propose, avec bonheur, d’infirmer. « 

Je n’ai pas vu ce spectacle. Juste entendu des extraits. Je ne doute pas qu’il est réussi. Les artistes y présentent 17 poèmes parmi leurs préférés… 0 femme ! Il n’y a donc pas de poétesse ?

Chacun fait les présentations qu’il peut : je ne sais pas si c’est impertinent de dire que la poésie emmerde. Seuls quelques poètes guindés seront choqués … Il faudrait que la poésie soit « puissante » et « percutante » ? Hum… « drôle » et « moderne » ? C’est quoi moderne et loin des clichés ? (C’est pas ça le cliché justement ? )

C’est compliqué tout ça. Je me souviens d’enregistrements où Apollinaire ou Aragon massacraient leurs propres poèmes… souvent des artistes lisent si mal la poésie qu’ils la tuent sur place… ce que j’ai entendu est heureusement rythmé…

Moi je trouve Clément Marot terriblement moderne et percutant en tout cas…

Ou c’est parler de poésie qui emmerde

C’est peut-être ça qui n’est pas bon. Perdre son temps à parler de poésie au lieu de la faire vivre, de la partager, d’en écrire ou de faire connaître des poèmes…

J’ai trouvé un « vieil » article de 2015 : « La poésie se meurt de se faire discrète, au point de disparaître de tous les radars possibles et imaginables, «  y disait un certain Thomas Delsogis.

Magyd Cherfi raconte sa relation à la poésie dans une interview de 2017. De la récitation en classe à sa définition du rôle du poète qui surtout ne doit pas être emmerdant…

Je vais donc voir si je peux vous intéresser à vous parler de quelques poètes ou poèmes que j’aime, enfin, les mettre en avant… mais il faut aller aux textes, seuls la lectrice et le lecteur peuvent faire cette démarche... On ne peut poétiser à la place de l’autre… Si la curiosité manque.

Ça va tourner en rond, convaincre des convaincus…

Et toi tu fais quoi pour la poésie ?

Ou alors je pourrais me situer sur le mode de l’injonction… Camarade militant de la poésie, au lieu de jouer les consommateurs passifs que fais tu pour porter et diffuser la parole poétique, que fais tu pour vivre en poésie ?

« Vivre en poésie », tu rigoles ?

Entre les émeutes, le réchauffement climatique et les prix qui augmentent tu crois qu’on a le temps pour la poésie ?

On se débrouille et parfois on gueule un peu dans les rézosociaux. On s’indigne. On sermonne, on admoneste, on proteste… On fait son ressentiment… alors pour la poésie, elle attendra sur le pallier !

Ça c’est pour celle ou celui qui pense que la poésie n’est pas subversive ou qui a trop peur au contraire qu’elle vienne secouer les cocotiers convenus de son insignifiance.

Au lieu de demander tes papiers la police devrait contrôler si tu sais réciter une poésie

Je ne sais pas pourquoi, ou si, je sais un peu. J’imagine soudainement une nouvelle organisation sociale où la police ne contrôlerait plus tes papiers mais si tu sais réciter quelques vers.

Du Prévert ou du Hugo, de l’Éluard ou même un poème de Lucienne Desnoues :

« Notre bourgade a vu se bagarrer
Les bigarreaux avec les bigarades.
Ah ! mes amis, quelle vive algarade. » 

Celle ou celui qui ne saurait rien réciter se verrait remettre des vers à apprendre et devrait se présenter au commissariat le lendemain matin. Dans les couloirs, on entendrait répéter les jeunes gens gens récitant du La Fontaine : choisiraient-ils le « Loup et l’Agneau » ?

Dans les tribunaux, procureurs et juges choisiraient pour les récidivistes quels vers ils devraient apprendre. On entendrait les condamnés hurler : « Non pas du Claudel, je vous en supplie ! C’est trop dur ! « 

« Il se plaint ?  » dirait le procureur. Qu’on commue sa peine en du Francis Lalanne. Il verra ce que c’est souffrir… Il est vrai que Claudel qui n’était pas que bon, savait être poète…

Oui, ce serait ainsi, et partout dans la vie, la ville, en Société, la poésie prendrait sa pleine place… à l’Assemblée la présidente lirait une comptine au début de chaque séance et au Sénat le président devrait parler en alexandrins.

Dans la rue la mode serait à faire des rimes, il y aurait parfois dans les squares des duels poétiques qui rassembleraient la foule… On ouvrirait au coin des rues des boutiques de poésie et l’usage serait d’offrir des bouquets de rimes…

Dans les cités, le soir venu, des jeunes bourgeois viendraient en douce négocier un bout de slam contre un peu de Musset… Mais ça ne marcherait pas toujours…

Semer des graines

Avoir la patiente résolution d’Éluard, la persuasion de Claude Roy qui disait dans la conversation des poètes « ce n’est pas ce qui est regardé qui définit la poésie, c’est le regard. »

Le poète retient les mots. Il les guette. Il les choisit. Peut-être même les réinvente-t-il. Il nous réinvente. Il nous offre cette liberté incroyable de nous réinventer dans les mots.

Si les gens comprenaient ce qu’ils pourraient faire avec ça. Plus fort que de la pensée ou du discours.

L’actuaverse d’une idolâtre a rompu sa mangeoire 
J’infusais de tes amibes la proxitale 
Pourtant ta rejambe s’excisait d’expuriences
Fils d’Arménée, politre des humages en partance
Tu allais entoilé de praxitèles et de crépites ogives
Buvant chaque nimbe à ta rube salive de gîvre 
[improvisé - VB]

Semer des graines, dépasser le langage, faire une langue. Perturber.

La poésie dit de nous plus loin que nous.

Je ne sais pas qui passera par là pour lire… Je vois des traces de vos passages, mais je ne sais qui vous êtes : robots invisibles des machines numériques, passants perdus dans les dédales du Web, visiteurs amis, critiques aigris ou adolescent guidé par un vieil ennui morne… L’été est devant nous !

À demain peut-être ? avec encore de la poésie ?

statue de dos dans un parc à Port Louis
Vincent Breton

Par Vincent Breton

Vincent Breton auteur ou écriveur de ce blogue, a exercé différentes fonctions au sein de l'école publique française. Il publie également de la fiction, de la poésie ou partage même des chansons !

2 commentaires

  1. Un recueil de poésie que j’ai aimé : « Seul »,d’Edmond Haraucourt.
    Je me souviens de la préface qui était plus une mise en garde conseillant de refermer ce livre. C’est sans doute cela qui m’incita à le dévorer .

    En lisant ton article , je trouve que le mot « poésie » peut être remplacé par « image » (photographie, peinture, dessin…). Les deux sont des médiums qui permettent de transmettre le ressenti, la perception des choses bien plus que les choses elles-même.
    Bien sûr, le lecteur ou le regardeur doit se laisser glisser entre les lignes et les pixels pour ne pas s’arrêter à la forme qui n’est que l’apparat (l’appât?), et pouvoir toucher le fond.
    Tout ça pour en venir au constat que l’époque fait que (elle a bon dos l’époque!)
    nombreux sont ceux qui préfèrent regarder une image que lire une poésie. Enfin, je devrais dire « voir une image », parce que regarder demande du temps et de l’attention et l’un et l’autre se font rare. Alors la lecture…
    J’ai droit à beaucoup de « j’aime » sur Diaspo, mais je sais que la plupart sont pour la surface, d’autre pour un retour de flatterie et quelques uns heureusement sont réels.
    J’aime beaucoup les textes que tu écris. Bien sûr je ne les lis pas tous mais j’avoue qu’il m’ont parfois mis la larme à l’œil.

    1. Merci beaucoup ! -enfin je ne cherche pas à faire pleurer non plus, merci pour les compliments ! – Et je me suis souvenu alors que le poète Haraucourt est celui qui a dit « Partir c’est mourir un peu » avec une anecdote reprise par ce site à propos de son « pot de retraite » https://www.lastryge.fr/single-post/edmond-haraucourt-1856-1941-morceaux-choisis C’est vrai que la poésie ce sont des images avec des mots… Après sur la question de l’appréciation il ne faut pas trop prendre « pour soi » les retours… mais si déjà des personnes font un geste vers l’image ou le texte, c’est une démarche à recevoir positivement…

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