Le lit à barreaux

Publié le Catégorisé comme lieux d'enfance
le lit à barreaux
"Baby crib png clipart illustration"/ CC0 1.0

Cette semaine je m’amuse à retrouver des lieux d’enfance qui m’ont marqué. Après la rue Blomet ou le grenier de Pontoise, la terrasse de Marcouville, ou l’atelier d’art, je remonte plus en arrière encore dans le lit à barreaux.

Des sensations et des impressions.

Dans le lit à barreaux, j’entendais mon cœur qui battait contre l’oreiller.
Padoum-Padoum Padoum-Padoum Padoum-Padoum
Derrière la baie vitrée passaient des ombres

Dave Brubeck jouait dans le salon
Take-five Take-five Take-five
Les adultes s’exclamaient
Voix assourdies derrière la musique un peu forte

Puis leurs voix retombaient

Je ne trouvais pas le sommeil
À plat ventre dans le lit à barreaux
Sur le côté dans le lit à barreaux
J'effleurais les barreaux de ma prison
La chambre était immense et vide
La porte close sur un univers rectangulaire

Puis, quand la nuit était noire
Vraiment noire
Noire et profonde
Étendant son voile d'encre sur le monde
Un parfum de vodka chaude envahissait la maison
Alors
J’entendais les loups
Je croyais que c’était les loups

J’appris plus tard que c’était le chacal doré.

Il était vivant dans la nuit noire et profonde des contes
Il était vivant et encore plus triste que moi

La nuit, je dormais avec deux doigts dans la bouche
Le majeur et l’annulaire gauches enfoncés dans la bouche
Mes dents serrant les doigts
Tandis qu’avec le pouce droit je poussais une mèche de cheveux contre l’index.

On se console comme on peut quand on est seul dans le lit à barreaux

Le matin, je m’extirpais du lit à barreaux
Juste à l'aube blanche
Quand la lumière traversait la chambre

Qui faisait attention à moi ?
Je pouvais m'échapper
Les adultes étaient endormis.

J’allais peut-être courir sur l’immense pelouse bleue
Ou bien, je mettais la main dans la gueule du chien et nous faisions le tour de la maison
En riant
Ou bien, on finissait par m’appeler
Il fallait mettre une culotte
Boire un bol de lait

On courait, on sautait toute la journée,
Je parlais à tout ce qui vivait pour meubler la maison vide
Parfois j’écoutais des chansons américaines sur l’électrophone du salon
Puis ils se disputaient encore
Ou elle restait seule allongée avec un livre

Je finis par aller à l’école
Puis je me sauvai
Quand la police me retrouva dans la ville, on raconta en riant jaune que j’avais dit :
Que je n’avais pas de parents

Le soir, je retournais dans mon lit à barreaux
Jusqu’à ce qu’Elle prenne l’avion
Que le chien se sauve
Qu’on change de maison
Qu’on me donne un autre petit chien
Mais il était laid

Il paraît que l’un des chats s’était laissé mourir sur la poubelle où l’on avait déposé le cadavre de son ami qui était mort

Je ne sais pas si j’avais encore ce lit à barreaux
Il n’y avait plus de musique
Plus de Dave Brubeck, plus de Take-five,

J’ai pris ensuite l’avion pour Paris et depuis ce jour-là,
Il n’y eut plus jamais de lit à barreaux.

Contrairement aux apparences, les petits enfants comprennent et se souviennent de tout.
De temps à autre, on entend Dave Brubeck jouer Take-five dans mon salon
Et c'est ma musique préférée.

Salsifis 1


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Vincent Breton

Par Vincent Breton

Vincent Breton auteur ou écriveur de ce blogue, a exercé différentes fonctions au sein de l'école publique française. Il publie également de la fiction, de la poésie ou partage même des chansons !

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