L’atelier d’art

Publié le Catégorisé comme lieux d'enfance
l'atelier
"Car Garage" by Leeroy/ CC0 1.0

Cette semaine je m’amuse à retrouver des lieux d’enfance qui m’ont marqué. Après la rue Blomet ou le grenier de Pontoise, la terrasse de Marcouville, je me souviens de l’atelier d’art, lieu marquant de mon enfance.

Saint-Ouen l’Aumône

J’ai fréquenté je pense l’atelier d’art alors que j’étais en classe de CE2 et de CM1. Je ne sais pas qui avait eu l’idée de m’y inscrire. J’y allais le jeudi ou le samedi après-midi, seul, à pied. C’était loin.

Je n’avais pas peur de traverser la vieille ville de Pontoise, de franchir la passerelle de fer au dessus de l’Oise. Les trains la franchissaient en la faisant vibrer. Je n’avais pas peur de me perdre. Le trajet prenait tout de même plus d’une heure.

J’avais peur de passer devant la maison de Natacha. Natacha était un féroce berger allemand. Il y avait avec elle un autre chien dont bizarrement je ne sus jamais le nom. Quand on passait, elle se jetait sur le grillage métallique de toute ses forces en hurlant, les babines retroussées, comme si elle devait à tout pris propulser la grille au loin et se jeter sur les passants. J’entends encore le choc de ses muscles contre le métal. Je ne l’ai jamais vue que folle de rage. Nous l’avions découverte un jour se jetant sur un vieux monsieur en cyclomoteur qui avait fini sa course sur le capot de la 4L de ma mère. Une autre fois, un soir où je rentrais de l’école, elle avait réussi encore à s’échapper et avait déchiré mon pantalon. J’avais hurlé : « au secours!« 

Une fois sa maison passée sans encombre, c’était calme. Un pont descendait vers un grand virage. Je dévalais l’ancienne route de Rouen, traversais la vieille ville, passais devant l’église, descendais vers l’Oise avant de rejoindre la passerelle et rejoindre Saint-Ouen L’Aumône. Plus de cinquante ans après, je vois assez bien le trajet, je me souviens de l’odeur de la rivière. L’Oise était grise, roulait une eau sale, triste et lourde.

D’ailleurs, le chemin pour aller à l’atelier, c’est comme s’il était en noir et blanc, un peu triste… j’y allais pourtant résolu, joyeux.

Le jeune

Il était bien plus grand que moi. Imposant. Un adolescent, mais à mes yeux c’était comme un homme. Je ne connaissais pas de personne de cet âge. Ce n’est pas lors du premier trajet que je suis tombé sur lui. J’avais mes habitudes, je connaissais ma route.

C’était juste avant de monter sur la passerelle. Dans un endroit absolument désert, en retrait, ressemblant à ces lieux un peu sordides que l’on montre dans les séries policières. Avant un crime.

Il a surgi de nulle part, grand, imposant, large d’épaules. Il a commencé à m’entreprendre. Je ne comprenais pas ce qu’il voulait.

Il m’a demandé très vite « si j’étais une fille ou un garçon« . Blondinet, j’avais les cheveux dans le cou, mais rien de ma tenue ne pouvait laisser d’équivoque. La question me parut absurde. J’ai dû murmurer quelque chose pour dire que j’étais un garçon et la méfiance allumait son signal. Impossible de courir pourtant. Je me souviens avoir regardé vers la passerelle. Il s’était rapproché. Je sentais son haleine et je me souviens que son visage n’était pas très propre. Il avait les yeux fiévreux. Il me vouvoyait. Il me proposa de « m’examiner pour vérifier » et ajouta que « son père était médecin ». J’avais beau être enfant, c’est curieux, je marmonnais intérieurement que pour un fils de médecin il n’était pas très propre. Son pull de grosse laine à motifs, gris et rouges comme on en faisait à l’époque n’avait pas dû être lavé depuis longtemps. Plus qu’à la peur, je pensais à ça. Il avait une de ses mains qu’il remuait dans la poche de son pantalon. Je ne comprenais pas ce qu’il faisait mais c’était comme si l’adjectif « sale » me tournait sans cesse à l’esprit. Il me proposa un carambar ou quelque chose du genre pour m’examiner. Je vois encore le bonbon dans sa main immense. Et c’est là que je lui répondis un « Non! il n’en est pas question ». Merci à ma mère de m’avoir appris à dire non, « au cas où ». C’était ferme et résolu. Il tourna les talons en grommelant et en me disant que « j’avais l’air d’une fille de toute façon ».

Une fois parti, je montais sur la passerelle. Il ne m’avait pas suivi, mais c’est là que la peur surgit, mes jambes tremblaient et mon cœur cognait à mes tempes.

Je ne fus jamais aussi content d’arriver à l’atelier.

La chienne

Une autre fois, c’était la chienne de la maison qui m’avait suivi. Je lui avais pourtant dit de rentrer. Peut-être que la grosse épagneule voulait veiller sur moi. Elle ne m’avait pas lâché jusqu’à l’atelier d’art. Elle était entrée, avait fait la joie de tous mais s’était sauvée apeurée. Elle ne rentra que très tard à la maison. Retrouver la passerelle pour franchir la rivière n’avait pas dû être facile pour elle.

Des souvenirs simples restent parfois accrochés à la mémoire, pour la vie.

L’atelier

L’ambiance des années soixante-huit était à son comble. Je me souviens vaguement de la petite cour qui menait à cet atelier d’art. Il était tenu par un barbu dont je ne me souviens pas le nom.

C’était une sorte de ruche sur deux niveaux. On y faisait surtout de la peinture et certains travaillaient la terre.

Au rez-de-chaussée, c’était là que se trouvaient les enfants. À l’étage, de jeunes adultes.

Je crois bien qu’il n’y avait pas vraiment d’horaires. J’arrivais quand je voulais, je repartais quand je voulais. On me mettait une grande chemise usée d’adulte en guise de blouse. J’étais installé devant un chevalet ou parfois on peignait à plat. Ça sentait bon la térébenthine. L’odeur me rendait un rien ivre.

Je peignais appliqué. Nous étions libres des thèmes. Le type venait voir. Il lançait de temps à autre une proposition, « comme ça ? « ... C’était « et si tu essayais ça ?  » « Et si tu faisais ça ? « 

Jamais d’injonction, des propositions. À l’école le maître semblait s’intéresser à ce que j’écrivais. Ici, on ne me jugeait pas du tout et ce type dont je ne me souviens pas du tout du nom, dont je ne savais rien, semblait s’intéresser à ce que je peignais.

Il aimait bien que je cerne la silhouette de mes personnages comme je le faisais, avec un trait noir…

Je n’échangeais pas tellement avec les autres enfants. C’était un univers d’enfants sages. Leurs tableaux avaient quelque chose de convenu. Beaucoup de maisons avec des fenêtres symétriques, des soleils et des gens autour.

Les grands

Un jour, le maître des lieux me proposa d’aller travailler à l’étage, avec les grands. Me disant que ce serait mieux pour moi. Je fus d’abord un peu surpris plus que triste de quitter des enfants de mon âge mais « en haut », c’était beaucoup plus drôle et animé.

J’imagine que c’était des étudiants, peut-être de jeunes artistes. Ça bougeait, il y avait de la couleur et je découvrais des « grands » joyeux, qui riaient, s’amusaient, plaisantaient… Le « maitre » les rabrouait en souriant. Ils buvaient du thé ou du café. On m’en offrit. Je fus accueilli avec sympathie, on me laissait tranquille. Un jour « le maître » dit à une jeune femme qu’il avait amenée près de moi, « tu vois, Vincent il fait comme ça« .

Je ne sais pas du tout de quoi ils parlaient mais le fait que des adultes puissent venir s’intéresser à mes productions, moi gamin de l’école primaire… ça me rendait heureux. Je m’appliquais plus encore.

J’étais heureux mais coupé des enfants de mon âge. J’étais heureux loin de ma famille. J’étais heureux mais je pouvais susciter des questions sur mon genre. J’étais heureux à la lisière de quelque chose qui m’attirait et me troublait dans le fait de grandir et de créer.

Je ne possède aucune peinture, aucun tableau, aucune trace de ce que j’ai pu créer à l’atelier d’art de Saint-Ouen l’Aumône. De vagues souvenirs de couleurs et de personnages cernés de noir.

Je crois bien que je vais aller m’acheter de quoi peindre.

Roses au jardin

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Vincent Breton

Par Vincent Breton

Vincent Breton auteur ou écriveur de ce blogue, a exercé différentes fonctions au sein de l'école publique française. Il publie également de la fiction, de la poésie ou partage même des chansons !

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