Cette semaine je m’amuse à retrouver des lieux d’enfance qui m’ont marqué. Hier, nous étions rue Blomet. Aujourd’hui : le grenier. Un grenier que je fréquentais du temps de la primaire, parfois seul, parfois avec François. Si je ferme les yeux et pense à ce lieu, je retrouve le même sentiment de félicité.
Encore un refuge
La maison avait été celle des arrière-grands parents maternels. Je n’avais connu que l’arrière grand-mère qui me vouait une sincère détestation. Elle partit vivre à Nice où elle profiterait de son veuvage, du climat, et n’aurait pas à supporter l’impertinent que j’étais.
C’était -c’est toujours- une haute maison de pierre, étroite, avec un vaste jardin dont un immense cerisier. À l’époque, elle donnait sur une sente, face à de petits jardins de maraîchers. Depuis, c’est devenu une rue et poireaux et choux ont cédé la place à des pavillons sans âme. Le jardin a été coupé en deux pour y bâtir une deuxième maison.
Si j’aimais fureter dans la buanderie avec sa vieille machine à manivelle pour y laver le linge, ou dans le garage où dormait une grosse limousine, ma pièce préférée était le grenier.
On y grimpait par un escalier étroit. La pièce qui surmontait toute la maison avait été divisée en deux espaces. Le premier avait été transformé en chambre pour les filles et le deuxième était le grenier proprement dit, dont le sol avait été cimenté.
Je montais là sans que ce me soit interdit, sans que ce soit franchement autorisé, à la dérobée. Cela ajoutait au mystère.
Les chevaux
Ce qui avait été aménagé en chambre accueillait mes jeunes tantes et leurs amies lorsqu’elles venaient là. Ma mère avait quatre sœurs et un frère. Ça faisait une tribu joyeuse et bruyante.
Lorsqu’elles venaient, les plus jeunes de mes tantes sortaient chacune le même vélo : l’un brun, l’autre violet. Elles me conduisaient de temps à autre dans un ranch à Auvers sur Oise. Il y avait un solex. Je ne me souviens pas qui le conduisait.
Le ranch avait été imaginé comme un décors de western. Il parait qu’on y tournait des films. Le patron alcoolique possédait un petit singe qui grimpait sur son épaule. Un coq chantait sur la table du saloon. Le gars avait aussi une maîtresse qui avait tout au plus vingt ans et semblait perdue. Un palefrenier dormait souvent adossé au foin dans les écuries. Il ne manquait plus que John Wayne. L’ambiance était joyeuse, rythmée par les galops ou les hennissements. De temps à autres, une diligence était de sortie. Le patron avait des réactions imprévisibles et m’effrayait quand il tapait sur ses bêtes.
Je ne sais pas si c’est là qu’elle avait trouvé son inspiration, mais Rosemary, une anglaise, la meilleure amie d’une de mes tantes à l’époque, peignait déjà des chevaux. Bien plus tard, je la retrouverai créant des chevaux immenses en trois dimensions – en pâte à papier je pense- et peignant toujours exclusivement des chevaux.
Gamin, je passais des heures à admirer ses toiles accrochées au mur. Il y avait beaucoup de bleu. Des livres avaient été oubliés. Je les lisais. Je lisais déjà tout ce qui me tombait sous les yeux et je trainais longuement avachi sur l’un des petits lits…
François
Si l’on franchissait la porte, on tombait sur le grenier à proprement parler. Comme tout grenier qui se respecte, il contenait des malles en osier, des cantines, des boites… J’osais parfois ouvrir et tombais sur des objets mystérieux. Je me souviens de tissus, de la soie, des saris rapportés peut-être d’Inde ou d’Iran. Il y avait de grandes plumes d’autruche noires. De quoi jouer, se déguiser…
Des livres encore, des objets que l’on retrouve toujours dans les greniers, bric-à-brac habituel de cannes, de chapeaux et de pichets en cristal… mais surtout, il y avait des cartes.
Ce n’étaient pas de ces petites cartes Michelin que l’on déplie pour trouver sa route. C’étaient d’immense cartes, des mappemondes.
À l’époque j’avais deux François dans ma vie. François le voisin, mon complice des bêtises du jardin avec lequel nous faisons exploser des pétards en tremblant, faisions peur à Sylvie la voisine et inventions des collections de gros mots qui auraient plu au Capitaine Haddock et François mon copain de classe.
Aussi étrange que cela puisse paraitre, alors que nous vivions à Pontoise, François venait d’Iran. Enfin, je pense qu’il était né là bas. Au volant de la 4L, ma mère avait reconnu dans la rue l’uniforme d’officier iranien que portait son père, plutôt surprenant dans cette vieille ville de banlieue. La mère de François était médecin. Il avait une petite sœur comme moi. L’Iran, nous y avions passé quelques années. Des liens se tissèrent. François était d’une gentillesse incroyable. Il parlait très bien le français avec une pointe douce d’accent farsi.
J’aimais énormément sa présence car il n’y avait pas chez lui une ombre d’agressivité. Je ne sais pas s’il s’en souvient. Nous dépliions les cartes à même le sol. Il fallait de l’espace pour les dérouler. Nous nous allongions sur le ventre et là, nous imaginions et rêvions à voix haute de grands et longs voyages.
Je pense que se mêlaient des histoires et puis « on pourrait aller là… et là… »
Nous volions de continent en continent
Peut-être que le jeu ne durait pas longtemps, mais je crois que nous étions entiers, pleinement à ce rêve éveillé, chacun nourrissant l’autre de son enthousiasme.
Nous descendions ensuite rassasiés, aussi heureux que si nous avions faits de grands voyages.
Est-ce que je lui offrais alors du jus des framboises cueillies dans la sente St Pierre ou des cerises du grand cerisier ?
Depuis, il me suffit de déplier une carte pour rêver encore et de pas grand chose pour me retrouver dans la peau d’un petit garçon rêvant sur une immense mappemonde avec son ami d’école…
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Le solex a été mon moyen de transport à Pontoise avant la 4 chevaux .