Rue Blomet, le refuge de mon enfance

Publié le Catégorisé comme lieux d'enfance
Rue blomet

Cette semaine je m’amuse à retrouver des lieux d’enfance qui m’ont marqué. Rue Blomet. C’est à Paris dans le 15e arrondissement. C’est là que je suis né. De ça, ni de la clinique, je ne conserve évidemment aucun souvenir. Mais en revanche, je me souviens très bien d’une période, entre mes huit et onze ans, où j’allais dormir chez Martine, l’une des plus jeunes sœurs de ma mère. C’était une époque à la fois douloureuse et joyeuse. Elle vivait là avec son compagnon, dans un appartement qui fut pour moi un refuge et un lieu d’émancipation. Souvenir précieux d’une personne qui m’influença tellement.

Pontoise- St Lazare

Si nous avons fait une ou deux fois le voyage ensemble, assez vite, c’est tout seul que je prenais le train de la gare de Pontoise jusqu’à celle de St Lazare. Qui oserait aujourd’hui laisser un blondinet prendre tout seul un train de banlieue ?

J’ai des souvenirs précis du froid métallique des wagons et de l’odeur de freins brûlés. Le skaï des sièges glissait sous le pantalon. Il fallait se tenir aux secousses.

Machinelaver

Après avoir vécu un temps dans une maison familiale qui fut vendue, ma mère s’était installée dans un appartement de la toute nouvelle cité de Marcouville à Pontoise. Nous nous retrouvions avec ma sœur et elle dans un appartement tout neuf. Nous vivions au huitième étage. Le lieu qui dominait la vieille ville, n’était pas déplaisant même si j’y connus des moments terribles. Nous n’avions pas le téléphone. La télévision fit son arrivée. En noir et blanc. Nous la regardions peu. Dans la baignoire se vidait l’étrange petite machine à laver Calor qui ne lavait pas bien…

C’est l’époque où je finissais la primaire, puis débutais le collège. Bien que séparés depuis longtemps, mes parents officialisaient leur divorce. Les tensions étaient palpables. Le père et la marâtre nous faisaient peur. Ma mère enseignait comme suppléante, devait tout gérer seule, chaque sou comptait. Elle luttait mais déprimait et dérivait au risque du pire.

Quand c’était trop dur, je descendais à la cabine téléphonique. J’appelais mes tantes. De plus en plus souvent au fil des semaines, Martine me proposait de venir à Paris histoire de m’échapper, de m’offrir une sorte d’escapade libératrice.

Je trouvais toujours un peu d’argent pour la rejoindre. Je suppose que je partais le samedi après-midi… ou pendant les petites vacances. Je traversais le vieux Pontoise à pied. C’était une ville grise qui sentait l’humidité.

J’entends encore le battement régulier des roues du train sur les rails, je ressens les secousses lorsqu’il passait un aiguillage.

Au bout du quai Martine m’accueillait toujours parfumée.

Paris trépidait et c’était bon.

L’appartement

Nous n’allions pas forcément immédiatement à l’appartement. J’avais droit à un chocolat, un cinéma. Je crois que c’est à cette époque que je vis le film « Harold et Maud ». Martine me fit découvrir la Factorerie. C’était un bar avec des tables basses où l’on pouvait boire des cocktails de jus de fruits étranges, mais surtout, il y avait des panthères derrières de grandes baies vitrées dont deux noires fascinantes. L’une passait son temps allongée sur son tronc sec à nous fixer de ses yeux oranges. Nous étions à deux mètres. Les garçons leur donnaient des poulets crus entiers à déguster… Je me souviens de ce jour où l’un d’entre eux allant chercher quelque chose, avait laissé la porte entrouverte… J’avais retenu ma respiration jusqu’à ce qu’il revienne.

Une autre fois, dans une petite boutique d’instruments de musique, ma tante m’offrit une petite guimbarde. L’instrument à tige métallique pouvait se cogner aux dents mais j’appris facilement à en jouer. Je crois que c’était l’époque où l’on entendait la musique « Pop Corn« . Là aussi j’ai encore la sensation de la tige métallique sous les doigts. La peinture s’est usée à force d’y poser les lèvres. Je ne la retrouve plus cette guimbarde. Mais elle est bien accrochée à mes souvenirs.

J’aimais plus que tout l’arrivée à l’appartement. C’était un petit deux pièces dans un immeuble ancien. Un long couloir immense, interminable, séparait la chambre et sa petite salle de bains, de la pièce à vivre. La cuisine presque un placard,était minuscule. La pièce qui faisait office de chambre d’amis, de salle à manger et de salon accueillait un frigo. Comment avait-on pu concevoir un tel appartement ? Il était peut-être taillé dans autre, cela s’est beaucoup fait à Paris.

C’était l’époque post-soixante-huitarde où l’on peignait les appartements de couleurs vives, laquées. J’ai des souvenirs confus de vert, d’orange. Le plancher sentait bon la cire et l’appartement le parfum et l’encens. Martine était attentive déjà aux objets, à la décoration. S’il semblait y avoir un peu de désordre bohème, il n’était qu’apparent, tout était ajusté, pensé… Gamin, j’étais sensible à la beauté des lieux. Où avait-elle appris à choisir les beaux objets, à choisir les couleurs et les parfums ?

J’étais en admiration entière et tellement bien dans ce cocon coloré et parfumé. Elle se montrait accueillante, directe, franche et comprenait ce que je vivais. Mais on ne pleurnichait jamais. Je n’étais qu’un petit garçon, fier comme tout de l’amitié et de l’intérêt que pouvait me montrer une jeune adulte… Quand Georges son compagnon nous rejoignait, il avait ce mélange d’humour et de respect qui me plaisait bien. Un entrain nouveau pour moi. Je n’étais pas considéré comme un petit. Nous pouvions avoir des conversations sérieuses. L’adolescence allait vite venir.

Les nuits

Ils dormaient « au bout du couloir ». Le soir, j’avais la pièce à vivre pour moi seul. Ma mémoire est imprécise. Je crois qu’on m’avait déroulé un matelas, donné des couvertures et des coussins. Peu à peu j’avais appris à m’organiser seul. J’étais tranquille et j’étais bien. Presque ivre des parfums de la pièce. Surtout, il y avait des livres et un nombre incroyable pour moi de bandes dessinées pour enfants… ou pour adultes, des revues.

Je me suis gavé là de Johan et Pirlouit, de Lucky Luke et autres Schtroumpfs. Je crois que je veillais tard.

Les coccinelles

Coccinelle

Jeune couple, ma tante et son compagnon roulaient dans une coccinelle blanche. Ils fréquentaient régulièrement un autre couple. La plus jeune de mes tantes et son futur roulaient eux en coccinelle rouge.

Ils avaient fréquenté également un autre couple d’amis qui roulait cette fois dans une mini rouge et une mini bleue.

Cette vision jubilatoire de l’amour, leur énergie, tout ça me remplissait de joie et d’espoir. Moi qui jouais encore aux petites voitures, je m’amusais souvent à les imiter.

Je savais que de temps à autre, presque sur un coup de tête, ils prenaient leurs voiture et décidaient de descendre dans le Sud, roulant d’une traite.

Les sombres esprits n’ont vu dans ces années que débauche et dispersion. Moi j’y ai appris le goût des couleurs, de la liberté et l’envie de grandir…

Retour

Je n’ai pas le souvenir d’avoir jamais vu ma mère dans l’appartement de ma tante.

Je ne me souviens pas plus de questions sur mes escapades à Paris.

Il y avait tellement de souffrance à Pontoise, que je poussais ma mère à quitter la région parisienne pour la Haute-Provence.

La nuit tombe
© Vincent Breton

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Vincent Breton

Par Vincent Breton

Vincent Breton auteur ou écriveur de ce blogue, a exercé différentes fonctions au sein de l'école publique française. Il publie également de la fiction, de la poésie ou partage même des chansons !

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