Cette semaine je m’amuse à retrouver des lieux d’enfance qui m’ont marqué. Après la rue Blomet ou le grenier de Pontoise, la terrasse de Marcouville reste cet endroit auquel je pense encore avec nostalgie. C’était un lieu de poésie, de jeu, de chanson et d’amour… mais pas seulement.
Au bord de la quatre voies
Au début, il n’y avait pas cette quatre voies et son intense circulation mais un champ. Juste en face se trouvait mon école. Il ne fallait pas cinq minutes à pied pour s’y rendre… avant la quatre voies.
Quand nous nous sommes installés, l’immeuble était tout neuf. Notre chance fut d’obtenir un trois pièces, tout en haut de la tour, au huitième étage. Là, haut, il n’y avait que deux appartements avec au milieu la cage d’ascenseur. Du coup, le dernier étage, il fallait le monter à pied. Nous avions un peu peur car les marches étaient en hélice autour d’un axe donnant le vide à voir sous nos pieds.
Les pièces étaient lumineuses et grandes. Il n’y avait pas de téléphone mais un vide ordure métallique. C’était nouveau pour moi. La cuisine comportait un joli coin repas, la salle de bains disposait d’une fenêtre et de part et d’autres, de grandes baies vitrées donnaient sur la terrasse.
La terrasse
Elle était large, faisait tout le tour de l’appartement. Entourée d’un mur de ciment, il n’y avait rien à craindre même s’il fallait rester prudents. Bien plus qu’un balcon, c’était presque une pièce à part qui donnait son ambiance à l’appartement.
La terrasse dominait la vieille ville. Le bâtiment se trouvant à l’avant des autres, la vue était dégagée. Accoudés à la balustrade nous étions comme à la proue du premier navire, face au vent ou à la pluie, mais aussi face au soleil.
J’aimais venir rêver là le jour, j’aimais venir les soirs d’été. Avec ma sœur, il nous est arrivés de « camper » sur la terrasse.
D’en haut, nous pouvions guetter celles et ceux qui jouaient en bas sur la pelouse. Nous reconnaissions quand notre mère rentrait harassée des courses ou du lycée où elle enseignait l’anglais.
On jouait, on jouait beaucoup dans cet espace nu mais libre.
Je me souviens de longues heures à scruter la ville, puis les travaux qui commencèrent. La quatre voies vint soudain tracer une frontière entre nous, des « Hauts de Marcouville » et la vieille ville. C’était le commencement de la fin. Le quartier était beau, avec de vrais atouts… qui furent aussi son malheur : En haut, sur la dalle, la pelouse et des allées, aucune voiture. Super pour jouer. Mais dessous, dans le ventre secret des Hauts de Marcouville, un immense parking avec ses dédales et ses recoins… à l’époque c’était calme encore…
La terrasse avait quelque chose du refuge. Du nid. J’aimais la nuit voir la ville s’allumer, puis les phares des voitures qui filaient dans le noir. Avec l’un des premiers magnétophones à cassettes, je m’étais amusé à enregistrer leur flot incessant, qui grossissait de mois en mois.
Sarah
Au rez-de-chaussée, il y avait mon ami Hugues. Nous n’étions pas dans la même école. Sa sœur s’appelait Nathalie. Hugues et moi étions agents secrets. Nous avions découpé la première page de deux exemplaires du roman policier pour enfants « Langelot » où figurait la carte de l’agent secret membre du SNIF (service national d’information fonctionnel).
Nous avions collé le tout sur du carton, bidouillé pour mettre chacun son nom à la place de celui de Langelot et trouvé une photo. Grâce à nos cartes, nous pouvions aisément vérifier que nous appartenions au même service. L’immeuble et les alentours étaient l’endroit idéal pour mener des enquêtes discrètes. Nous avons ainsi espionné plus d’un locataire à son insu, leur prêtant des destins de grands trafiquants ou d’espions infiltrés… ce qui était assez drôle quand on pense à leur allure sage d’employés modestes…
Je crois que pour nous le gardien des immeubles devait être une tête de réseau, un grand chef d’un service secret étranger. Il nous faisait assez peur ce petit homme chauve…
Mais quand je ne jouais pas avec Hugues, quand j’échappais aux harceleurs qui aimaient m’embêter si je trainais seul en bas, il y avait Sarah.
Sarah n’avait pas de terrasse mais un balcon. Elle habitait dans une tour en face, la plus proche, quelques étages en dessous de nous mais nous pouvions facilement nous voir. Je pense qu’elle était un peu plus âgée que moi. Très calme, souriante avec quelque chose d’apaisant et de malicieux. Elle était brune, avec de longs cheveux, un regard profond.
Nous avions échangé quelques signes. Je ne sais pas pourquoi, de ma terrasse, je lui faisais un peu de théâtre et je lui inventais des chansons. Elle restait longtemps à écouter mi amusée, mi étonnée… Je chantais a capella.
Il nous est arrivé plusieurs fois de nous retrouver en bas sur la pelouse pour bavarder. Enfin, je crois que c’était moi surtout qui parlait. J’étais probablement amoureux d’elle, mais je n’en disais rien. Surtout pas à ma mère, surtout pas à Hugues. Sarah lisait en moi. Elle décryptait mes dix ans. Je la vois comme si c’était hier dans ses robes sages. C’est merveilleux de se dire que je ne l’oublierai jamais… sans savoir aucunement ce qu’elle est devenue.
Résistance de l’enfance
L’immeuble n’était pas déplaisant, la terrasse était un lieu que j’aimais vraiment.
Mais la vie était dure. Ma mère dérivait. Un soir, j’entendis des bruits de casseroles qui tombaient sur le carrelage. Je me souviens très bien comment mon instinct de gamin de neuf ans et demi me fit courir à la cuisine. C’était à l’autre bout de l’appartement. Il me fallut de la force pour la sortir du four où elle avait plongé la tête après avoir ouvert le robinet du gaz.
J’eus la présence d’esprit de fermer le robinet, d’ouvrir grand les fenêtres, de l’aider en la tirant comme je pouvais à rejoindre son lit où elle finit par s’endormir en gémissant.
Elle n’avait pas pensé qu’elle aurait pu se jeter de la terrasse…
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