Elle vient de mourir

Publié le Catégorisé comme sur le vif
image de Kadence

Nous nous étions rencontrés il y a si peu de temps. Nous nous connaissions à peine encore. Un amour comme il en existe peu, traversé de lumière. Entier, pur, une sorte d’évidence douce. Nous étions si bien ensemble tous les deux. Apaisés et complémentaires. C’est un ami à elle qui m’a appris la nouvelle et m’a demandé si je pouvais prendre en charge la cérémonie d’adieux. Moi qui ne vais jamais aux enterrements, je m’en suis donc chargé.

La montre s’est arrêtée

Au petit de matin de sa mort, juste après l’appel vers six heures, j’ai constaté que la montre s’était arrêtée à mon poignet dans la nuit.

Je n’ai pas eu besoin d’appeler pour vérifier que c’est à l’heure où la vie l’a quittée que les aiguilles ont cessé de tourner. J’en suis certain. Cette montre c’était la sienne. Je n’en porte jamais, elle l’avait elle-même attachée à mon poignet.

Je suis resté muet un long moment.

Je n’ai pas pleuré, je n’ai pas hurlé. L’histoire aura été si courte. Il y a des histoires d’amour qui sont des romans, ce ne sont pas forcément les meilleures. Là, c’était une nouvelle brève comme un récit de Christian Bobin où J.M.G Le Clezio serait venu mettre sa lumière.

Organiser la cérémonie

C’est donc à moi que cet ami confia le soin d’organiser la cérémonie d’adieux. Je n’ai pas eu à m’occuper des détails matériels ou des relations avec les pompes funèbres. Tout avait été réglé, organisé par ses soins.

Il n’y aurait ni messe, ni cortège, mais un discours à prononcer dans une salle dédiée. Un seul, le mien. Une responsabilité.

Je me suis rendu compte en écrivant cet adieu à quel point je ne savais rien sur elle et à quel point je savais tout.

Je ne savais rien de son histoire, de son passé, de sa famille. Mais je savais tout d’elle dans ce qu’elle m’avait donné de si entier et pur. Un échange parfait. Une communion.

L’adieu

Ce qui m’a troublé, c’est que la salle était quasiment vide. Une salle immense, baignée de lumière blanche légèrement bleutée avec un pan entièrement vitré. Il y faisait tiède. On aurait pu faire assoir plus de trois cents personnes. Les chaises vides semblaient attendre.

Pas d’images, pas de portrait, pas d’inscription, pas de fleurs ni de musique. Le cercueil très sobre était posé sur son trépied légèrement de côté.

L’ami, grand et mince, vêtu de sombre, était resté au fond, debout derrière les chaises, pour superviser. Il y avait, assise sur le côté, une seule petite vieille dame à chapeau ressemblant beaucoup à la vieille dame de Babar. Elle tenait dans les mains un livret ou un dépliant, et ce n’est qu’au bout de quelques minutes qu’elle comprit qu’elle s’était trompée de salle et sortit à petits pas de souris. Elle avait fait grincer sa chaise. C’est ainsi qu’elle attira malgré elle mon attention.

Finalement, je fus presque soulagé, parce qu’au lieu de m’adresser à une foule d’inconnus, bien que cachée dans son cercueil, j’ai pu lui parler, à elle, la remercier surtout. C’était un discours mais c’était très intime. Comme je ne parlais pas très fort avec parfois des interruptions, je ne suis pas certain que l’ami entendait du fond de la salle.

Il y eut un autre petit moment de trouble lorsque je réalisais que si je m’étais parfaitement bien habillé, j’avais revêtu un costume de lin écru, très agréable à porter, à la fois simple, pas morbide mais sobre… j’avais juste oublié deux détails terribles :

Le premier c’était que j’étais venu directement à la cérémonie, sans réfléchir, les pieds nus. Sans chaussettes ni chaussures. Personne ne me l’avait fait remarquer, mais il faut dire que je n’avais croisé que cet ami et de loin une dame qui officiait pour orienter les personnes en fonction des salles et des horaires.

Le deuxième, ce fut au moment du discours que je m’en rendis compte, c’est que je ne savais pas son prénom, ou que je l’avais oublié. Je lui disais « Tu », « Toi » ou « Mon amour »ou « ma belle » ou « ma douce » . Elle avait aussi pour moi de ces charmants noms qu’emploient les amoureux sans tomber jamais dans la mièvrerie ou la vulgarité. Le regard nous suffisait le plus souvent pour savoir que nous allions nous parler. Nous n’avions pas à nous appeler ou nous héler de loin devant des témoins. Ce n’est pas que notre relation fut cachée ou secrète, elle était à la fois simple et naturelle dans une parfaite complémentarité. Simplement bien ensemble. Une harmonie. Nous étions deux notes en plein accord.

Voilà, nous nous sommes merveilleusement aimés dans l’instant présent sans nous connaitre vraiment. J’ai dit adieu et merci à cette inconnue. Elle aura compté pour moi comme j’aurais compté pour elle. Cette histoire m’aura empli et elle m’apporta beaucoup de bien.

À la fin du discours, son ami est venu me serrer la main et m’a remercié sincèrement sans chaleur excessive mais content. J’ai demandé si mon discours bien que bref et plein d’allusions un peu énigmatiques lui avait convenu et avait répondu à ses attentes. Il acquiesça. C’était très bien.

Nous nous sommes séparés, il devait s’occuper des détails techniques.

Retour à la maison

De retour, il a été nécessaire que je me change. Le chien était content de me retrouver et me fit fête. Je me suis lavé les pieds à la fontaine, l’eau était un peu fraiche. Je suis allé chercher des sandales de cuir. J’ai rangé la montre dans un tiroir à côté des autres montres en panne, puis je suis allé me faire un café noir, fort et amer avec juste un petit carré de chocolat.

Je fais vraiment des rêves étranges en ce moment.

Fleursalsifis
Vincent Breton

Par Vincent Breton

Vincent Breton auteur ou écriveur de ce blogue, a exercé différentes fonctions au sein de l'école publique française. Il publie également de la fiction, de la poésie ou partage même des chansons !

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