Je pensais que cette journée commencerait bien mais je viens d’apprendre par son épouse, la disparition aussi tragique qu’imprévisible de Umlar Pugnassol. Umlar n’était pas seulement un grand spécialiste de philosophie et de psychanalyse c’était aussi et d’abord un très grand poète et avant tout un ami très cher. Je ne peux que penser à lui ce matin et ma tristesse est immense.
Une œuvre à part
Les ouvrages qu’il a publiés sont évidemment en lien étroit avec son parcours professionnel et personnel. Pour lui, tout a commencé lorsque jeune étudiant à Paris, cherchant sa voie, il fait la rencontre de Jean-Chrysostome Dolto, à la sortie de l’un de ses concerts. Jean-Chrysostome était chacun le sait, le fils de la célèbre psychanalyste Françoise Dolto dont il écoutait déjà les chroniques radiophoniques. Cette rencontre certes fugace, car l’artiste pressé lui refusa un autographe, fut comme une révélation pour lui. Elle lui permit de mettre en évidence ce qu’il appelait avec son inimitable accent, « le lien atavique entre la fantaisie et la psychanalyse ».
Une grande partie de son travail acharné consista à relire Freud sous l’angle de la poésie de Jean-Chhrysotome Dolto.
Il déclamait ainsi souvent avec emphase, de sa voix un peu rauque, les vers célèbres :
Tirelipimpon sur le Chihuahua
Tirelipimpon avec la tête avec les bras
Tirelipimpon un coup en l’air un coup en bas
Touche mes castagnettes moi je touche à tes ananas!
C’est ce poème qui inspira dit-on le plus célèbre de ses ouvrages qui fit polémique à la fin des années 80 au sein de sa propre famille : « Les castagnettes de Freud ». Un magnifique texte mêlant lyrisme, poétique et politique.
D’autres de ses ouvrages ne connurent pas toujours le succès escompté : « Apophtegme de l’exutoire » connut un succès modeste mais mon médecin accepta d’en disposer deux exemplaires dans la salle d’attente de son cabinet. Umlar, jamais découragé, tenta alors la poésie surréaliste avec son très bel opuscule « Flagornerie des latrines ». J’ai moi même participé à son édition en effectuant le tirage de cet ouvrage à l’aide de ma vieille ronéo à alcool. C’est les mains tâchées d’encre que nous allions le vendre à la sortie des bars du dix-huitième arrondissement ou des universités. Il s’en vendit environ trente exemplaires en deux soirées mémorables qui finirent en beuveries dont il avait le secret.
Il trouva enfin le chemin du succès sinon de la notoriété avec son célèbre « Guide de mise en route et d’entretien de l’aspirateur LREM 823 K101 » d’une grande marque d’électro-ménager. Ce guide remis à la vente de chaque appareil fut de fait largement diffusé et a rejoint nombre de foyers qui s’étaient équipés, l’aspirateur peu onéreux pouvant être facilement acquis par les milieux populaires. C’est ce qui avait convaincu Umlar de s’engager avec la résolution qu’on lui connaissait dans la rédaction de ce très beau guide. Facétieux, mais reconnaissant, il avait glissé une allusion au poème précité. Je cite (p24- deuxième alinéa), « pour une bonne aspiration déplacez le tube de l’aspirateur un coup en l’air un coup en bas ».
J’ai toujours le guide à la maison, je le conserve précieusement car Umlar me l’avait offert avec une très belle dédicace. Il n’avait pu m’offrir l’aspirateur car il l’avait acheté à sa mère et ne roulait pas sur l’or. Il s’en voulut un peu car dépourvue du précieux guide, sa maman s’électrocuta dans des circonstances atroces en voulant déboucher la cuvette des toilettes dans laquelle, un jour de désespoir, Umlar avait déchiré et jeté les deux exemplaires qu’il lui restait de « Flagornerie des latrines ».
Cet épisode fut particulièrement douloureux pour mon ami car on sait combien il est difficile de trouver un plombier à Paris. Nous nous cotisâmes avec sa cousine pour l’aider à rétribuer le plombier qui se montrait menaçant et ce d’autant plus que le corps de la pauvre maman n’avait pas été retiré des toilettes et que la manœuvre s’avérait délicate.
Une enfance difficile
C’était mon ami. Je l’appréciais autant pour ses qualités que pour ses défauts. Je savais qu’il avait connu une enfance difficile. Né à Klow la même année que moi, sa mère ayant un amant bordure avait fui dans des circonstances peu claires. Né de père inconnu, il avait été confié aux religieuses du couvent royal dont il fut vite le petit souffre douleur. L’une d’entre elles l’hébergeait dans sa cellule et il dût partager sa couche. Ce n’était pas tant cela que les difficultés à supporter l’halitose de la religieuse éprise de boisson qui lui fut difficile. Il me raconta comment après la messe il volait des hosties consacrées et buvait le vin un peu aigre laissé par un abbé débonnaire qui aimait à le prendre sur ses genoux. « Il sentait l’ail, me confia-t-il, mais c’était plus supportable que la religieuse qui me faisait mal avec ses doigts ».
Très pudique, Umlar ne me dit pas tout. Je sais qu’il échoua au certificat d’études à six reprises. Il restait évasif sur les circonstances qui conduisirent à son expulsion du pays. Je sais qu’il rejoignit Paris où sa mère vivait dans une chambre de bonne mise à disposition par un généreux ami notaire m’avait-il confié : « Le monsieur aimait bien maman, il m’aimait aussi beaucoup, ce qui était plus simple car nous dormions dans le même lit ».
Cafétéria
C’est bien plus tard, à la cafétéria de l’Université que je fis sa connaissance presque par hasard. En effet, je renversais sur lui mon plateau par mégarde, et il me demanda l’autorisation de terminer les restes qui s’étaient répandus sur sa veste et au sol. À l’époque il était très maigre et il était pour moi plus simple de le laisser faire. Il se régala des quelques frites tombées sur le carrelage, il fut à ce point reconnaissant que nous nouâmes une belle amitié.
Je n’avais pas d’aspirateur, mais il faisait très bien le ménage chez moi.
Puis il rencontra Simone au salon de coiffure. Elle avait trente ans de plus que lui, c’était une femme solide à l’époque. Il m’avoua qu’elle lui rappelait la religieuse de sa jeunesse perdue. Il s’installa chez elle à Bagnolet mais je ne fus jamais invité.
Décès
C’est donc ce matin que le téléphone a sonné très tôt ce qui m’a surpris. C’était son épouse. Je n’ai pas bien compris les circonstances du décès d’Umlar. « Il pouvait parfois être énervant, alors je me suis un peu énervée, mais c’est mieux ainsi » m’a-t-elle révélé de sa voix grave. Elle m’a demandé si je pouvais participer aux frais des funérailles, Umlar toujours distrait n’ayant évidemment rien prévu.
Je me demande si je pourrais tirer quelque chose de son recueil dédicacé.
On est peu de choses tout de même.
Je vous tiendrai au courant pour la date d’enterrement. Son épouse m’a demandé également si on pouvait faire ça dans le jardin. L’ennui, c’est que je n’ai pas de pelle.
Bon lundi !