Puisque Juillet est ici sous le signe de la poésie, après vous avoir demandé hier « Quel est ton poème préféré ? » la question du jour est sur mais… « qu’est-ce qu’un poète? »
Quelle question !
Encore une de ces questions banales ou bancales qui restent difficiles à démêler. Je ne connais personne qui un jour s’est décrété poète apposant une plaque sur sa porte.Quoique… je peux aussitôt me contredire.
Il n’y a pas de diplôme de poète. Pourtant beaucoup se prétendent poètes et ne sont que versificateurs ou au mieux des poétereaux Ils allaient autrefois dans les salons. Aujourd’hui on les trouve sur Facebook et ils pensent qu’avec deux ou trois rimes gentilles, une belle calligraphie, une musique douce, cela fera poésie…
Il existe des poètes officiels, de cour ou servant la dictature. Sont-ils poètes ?
Pour d’autres nous sommes tous poètes, c’est à dire que nous possédons tous cette capacité de produire de la poésie.
J’écris des vers, je ne me vois pas poète et je ne sais pas si c’est toujours de la poésie…
Mourriez-vous s’il vous était défendu d’écrire ?
C’est la question que pose Rainer Maria Rilke dans sa célèbre « Lettre à un jeune poète » l’invitant à l’humilité, au rapprochement de la nature. Mais le poète n’est pas juste là pour représenter la nature. Il intervient. C’est ce que fait Henri Michaux (Intervention – L’Espace du dedans) , lorsque l’ennui le pousse à imaginer des chameaux dans Honfleur. Le poète s’amuse du désordre causé par son imagination. Guillevic lui, qui veut « vivre en poésie » est comme le menuisier, un assembleur de mots. Il a le geste sûr et patient de l’artisan. Il rabote, il allège. Il limite les effets.
Andrée Chédid va jusqu’à analyser l’effet justement de la ponctuation dans sa célèbre « Grammaire en fête » où elle examine dans « Pavane de la virgule » cette virgule qui a « la forme d’une Péninsule » et qui fait basculer la phrase.
Ce qui fait poème
Petite image du haïku, sonnet travaillé respectant la rime, texte libre qui s’enflamme de métaphores, tout semble possible. On sait pourtant reconnaître le poème, même traduit. Poème écrit, poème dit, le poème est un geste…
Pourtant tout peut basculer. J’écoutais hier une lecture de Ma Bohème si hésitante et maladroite qu’il était difficile d’y retrouver la liberté de Rimbaud. Mais je me souviens gamin, m’être ridiculisé en lisant avec emphase « La charogne » de Baudelaire.
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Il me semble me souvenir que dans « Le petit chose » de Daudet, le jeune héros cherche à se faire éditer. Vivre de ses vers. La belle affaire !
Il y avait pourtant autrefois chez les libraires, de vrais rayons de poésie où l’on découvrait des plaquettes avec souvent des mises en page originales, des formats étonnants qui faisaient que le support était aussi objet de poésie.
Le poème se met en forme, se met en scène, se chante… On donne des lectures, des récitals.
Souvent c’est barbant.
Expliquer la poésie
S’il faut des clés à la littérature et s’il peut être intéressant de savoir comment se construit un poème, il ne suffit pas de respecter la métrique pour faire un bon poète… Pourtant, on aurait envie de secouer l’indigence de certains prétendus poèmes dont l’auteur a pensé qu’il fallait simplement que « ça rime ».
On trouve dans les programmes scolaires et parmi les professeurs, quelques bons assassins dont le métier semble d’enseigner le dégoût de la poésie en dépiautant à l’excès des textes de poètes de préférence morts.
C’est que la poésie peut-être révolutionnaire et il ne faudrait pas trop secouer les jeunes âmes !
Le cahier de poésie avec ses illustrations est souvent un appauvrissement des images. L’écriture selon des jeux peut en provoquer d’inattendues… ou pas. La récitation ânonnée est parfois terrible … et pourtant, la poésie devrait être présente chaque jour dans toute classe dès la maternelle. Il n’y a rien de plus apaisant et de reliant dans toute classe. Rien de plus libérateur pour un enfant que d’allumer la curiosité des mots et la joie provoquée en les assemblant…
Le poète est dans ce va et vient entre l’intime et le Monde, il laisse les sensations venir à lui, en images, le dépasser comme certainement le musicien est dépassé par sa propre musique… il donne le poème que le lecteur réinvente à son tour…
Le poète pense-t-il à son lecteur lorsqu’il écrit ? S’il le fait avec le souci de « faire joli » ou de flatter, c’est l’échec assuré. Le poète n’est pas là pour plaire. Il est là pour tenter de se sauver, pour tenter de se relier au présent en touchant l’éternité du doigt.
Et des centaines d’années après nous pouvons encore être touchés par Du Bellay quand dans « La complainte du désespéré » il interroge, « Qui prêtera la parole à la douleur qui l’affole ? » ou plus loin « Et vous mes vers dont la course, A de sa première source Les sentiers abandonnés, Fuyez à bride avalée… »
Mais toute la difficulté du poète n’est-elle pas de « saisir » comme le dit Supervielle ? « Saisir, saisir le soir, la pomme et la statue, Saisir l’ombre et le mur et le bout de la rue… »
« Dire un homme c’est dresser une échelle contre le vide » écrivait Marc Alyn. Il en va de même pour le poète. Il faut accepter de l’être un peu, parfois, subrepticement… l’étincelle ne vient pas toujours, la flamme ne sait résister au vent.
Je m’inquiète de savoir où se cache le Rimbaud du vingt et unième siècle ? Comment le laisse-t-on s’exprimer, éclore ?
Ou de toutes ces graines de poètes qui resteront dans leurs sachets de plastique, stérilisés…
Peut-être bien qu’il y aurait plus de paix s’il y avait plus de poésie…
Je crois que Cocteau disait : « Un poète se souvient de l’avenir ».
Et pour vous ? Qu’est ce qu’un poète ?