Si tu hésites, n’écris pas !

Publié le Catégorisé comme sur le vif
rideau bleu
"Blue Pattern" by Kai%20Oberh%E4user/ CC0 1.0

Sur un réseau social une personne sans doute bienveillante et bien intentionnée avait écrit quelque chose comme « Si tu étais en train d’hésiter sur le fait que tu doives écrire ce livre ou non, je t’en supplie arrête d’hésiter. » Ce à quoi je réponds, si tu hésites, n’écris pas ! En tout cas, ne le fais pas forcément dans l’idée de te soumettre à la torture en voulant publier à tout prix !

Invitons Rainer Maria Rilke

Tout le monde connait la fameuse lettre à un jeune poète. La relire de temps à autre ne fait pas de mal, car tout y est et ne concerne pas que les candidats poètes.

Rilke

Personne ne peut vous apporter conseil ou aide, personne. Il n’est qu’un seul chemin. Entrez en vous-même, cherchez le besoin qui vous fait écrire : examinez s’il pousse ses racines au plus profond de votre cœur. Confessez-vous à vous-même : mourriez-vous s’il vous était défendu d’écrire ? Ceci surtout : demandez-vous à l’heure la plus silencieuse de votre nuit : « Suis-je vraiment contraint d’écrire ? » Creusez en vous-même vers la plus profonde réponse. Si cette réponse est affirmative, si vous pouvez faire front à une aussi grave question par un fort et simple : « Je dois », alors construisez votre vie selon cette nécessité. Votre vie, jusque dans son heure la plus indifférente, la plus vide, doit devenir signe et témoin d’une telle poussée. [Rilke, « Lettre à un jeune poète » extrait 1929]

On n’écrit pas pour les autres !

— Provocation ! Comment ça tu n’écris pas pour les autres ?

— Non, être lu, c’est une autre affaire, être compris, un luxe !

— Alors, tu écris pour toi ?

— Pas vraiment. J’oublie ou jette souvent ce que j’ai pu écrire. Et je n’écris pas tout à fait par « devoir » comme le dit Rilke mais j’écris parce que je ne peux m’en empêcher ou parce que si je ne le fais pas je souffre. Je souffre presque physiquement.

C’est comme lire. Je ne peux me passer de lire, n’importe quoi, peu importe, je dois lire, je ne peux m’empêcher de lire, tout ce qui passe, un emballage, une affiche, un horaire, une revue idiote dans la salle d’attente, un roman…

Si je n’écris pas, je constate que je souffre. Et je souffre toujours plus de ne pas écrire que d’écrire même le plus douloureux et difficile des textes.

C’est une sorte d’addiction, de maladie et le cerveau réclame sa dose… Certes, le texte terminé l’hormone de la récompense peut parfois s’activer… Ou pas.

Lire et écrire, tous les hommes ne le font pas. Certains ont structuré un oral qu’ils transmettent courageusement de bouche à oreille. Cet oral se transforme, se perd parfois, il n’a rien d’indigne et c’est aussi une forme de littérature… Nous sommes nés du Conte et de la Poésie. Aucun animal n’est capable de cette évocation, de faire trace ainsi d’une histoire. C’est notre destin, nous, les humains. Nous faisons récit.

Écrits intimes et domestiques

Il existe tant de journaux intimes, de cahiers de recettes, de livres de maison, de petits cahiers de poésie ou de chansons. Transcriptions, listes, carnets, comptes, choses à faire, à penser… La littérature épistolaire devient chose rare.

Dans une nouvelle j’avais raconté l’histoire réelle d’une vieille dame qui notait tout dans ses cahiers, notamment des choses, des horreurs, pour son fils à propos de sa belle-fille. Une sorte de testament brulot.

D’ailleurs, on écrivait aussi son testament qu’on laissait dans le tiroir de la table de nuit ou du petit secrétaire.

Les enfants jouent à écrire sur des cahiers, dès le plus jeune âge, des écritures inventées.

À la frange, adolescents et adultes partagent leurs confessions sur les réseaux sociaux. C’est une littérature étrange, à réponses ou silences, où parfois les unes ou les autres viennent se soumettre à la torture sadomasochiste de l’exposition, de la confession ou de la dénonciation comme du pseudo débat et du mensonge organisé.

Et puis, avec la médiatisation de certains écrivains, on voit aujourd’hui fleurir des ambitions. Et si je devenais écrivaine ou écrivain ?

Les margoulins vous attendent

Sur les réseaux sociaux on voit des académies qui vous promettent (pas gratuitement) les clés et la formation pour devenir écrivaine ou écrivain. Des plumes célèbres prêtent leurs noms. J’ai pu accéder une fois à un cours assez indigne qu’on n’aurait pas proposé à des élèves de collège (ce n’est pas insulter les collégiens). Mais le marché de l’édition comme celui de la chanson est tenu par des commerçants et une très faible minorité d’auteurs vivent de leur plume.

Pire encore, des officines qui se prétendent éditeurs, ne font en réalité qu’aider à l’impression ou la numérisation des œuvres, sans véritable correction, sans véritable conseil… Les fameuses éditions à compte-d’auteur cachent souvent leur véritable vocation.

Les éditeurs eux-mêmes, se livrent à une guerre commerciale fort rude et le pilon est le sinistre révélateur d’une production faite pour le buzz, les prix, les concours…

Tout cela pour souligner que l’écrivain, s’il n’est pas célèbre doit penser que l’écriture n’est qu’une partie du travail. Il faut convaincre, se faire connaître… courir derrière son public pour des clopinettes. Au mieux, un auteur gagnera 12%…14 % s’il est connu sur le prix de vente… Tout ça sur 200, 300…500 exemplaires .

De très nombreux jeunes auteurs ont perdu leurs économies en une publication ! Il faut le rappeler !

L’auto-édition peut sembler plus rémunératrice, mais elle demandera un travail énorme.

Ici, en version numérique sur le site qui a changé trois fois de nom, j’ai comptabilisé quelque chose comme 684 téléchargements cet été… mais le roman est gratuit ! et je ne sais pas si le roman a été lu derrière même si j’ai eu des retours sympathiques.

roman couverture de Mais quel est son prénom déjà

Soyons écriveurs plutôt qu’écrivaillons et certains peut-être seront écrivains… un jour !

Je ne me prétends absolument pas écrivain. Je suis auteur, j’écris de la poésie, des chansons, des nouvelles, du théâtre… des romans, un feuilleton a débuté ici… mais je ne suis pas écrivain.

J’ai eu la chance d’avoir des pièces jouées ou même une dramatique interprétée il y a longtemps maintenant sur Radio France. Je m’étais retrouvé à la SACD…

Pour autant, je n’ai jamais eu ce rêve d’être publié, je connais mes limites. J’écris sans honte ni orgueil. J’ai des facilités mais pas de talent. J’ai parfois de fugitives illuminations… mais il est évident qu’à côté d’un écrivain je peux aller me rhabiller. J’entends comme écrivains des Sylvie Germain, Le Clezio, Nothomb ou Pennac pour ne citer qu’eux parmi les contemporains. Zola n’est pas toujours parfait mais ses descriptions sont épatantes. Hugo plane au dessus et Stendhal nous éclaire doucement… Certes on me dira qu’il n’y a pas de sous-littérature et qu’on trouve des pépites dans le roman policier. N’oublions pas que Duhamel saignait à vif et tranchait dans le lard les polars qu’il faisait traduire de l’américain expurgeant sans vergogne tout ce qui cassait le rythme… un peu comme on fait avec les séries télé…

Il faut admettre qu’on met en avant des trucs qui se lisent mais n’apportent rien de neuf sous le soleil. Des écrits déjà vus, qui flattent ou veulent se donner du style. Ça fait bien rigoler… Mais je ne parlerai jamais d’un livre qui ne suscite pas mon admiration. À quoi bon dénigrer ? Chacun peut essayer, c’est le jeu du commerce. On entend trois semaines la même chanson partout, puis elle disparait.

Ce qui est un peu triste c’est de voir cette palanquée de personnes qui se ruinent et se stressent sans forcément tellement travailler leurs textes, à qui on fait miroiter qu’ils seront les grands écrivains de demain, alors que non… et ça n’a rien d’indigne d’être un écriveur. C’est à dire une sorte d’artisan engagé dans son acte d’écrire au quotidien, qui aime écrire et en a besoin, qui choisit son univers et peut-être un jour, par un concours de circonstances où la chance jouera trouvera quelque écho…

C’est difficile… Et des jeunes écrivains subissent la pression de leur éditeur. Il faut vite une deuxième livre qui sans copier le premier sera dans la même veine pour capter les lecteurs et conserver leur adhésion…

Je dirais a contrario que l’écriveur a la dignité de ne pas aller encombrer les éditeurs et encore moins de se vexer le jour où il aura osé envoyer son tapuscrit et recevra un retour négatif peu explicite Les réponses des éditeurs sont dans la plupart du temps des réponses types… ne croyez pas qu’ils vont prendre le temps d’étudier vraiment votre bouquin… surtout s’il est blindé de fautes, d’incohérences et juste narcissique… ou ni fait ni à faire… mais sachez qu’ils pourraient passer à côté d’un chef d’œuvre. Le test a été fait me souvient-il d’envoyer des livres célèbres à des éditeurs qui ne les ont pas reconnus…

Il faut de la lucidité mais aussi déplacer son ambition…

Je ne sais pas me passer d’écrire. Certaines personnes me font l’amitié d’apprécier tel ou tel texte. Je diffuse à ma façon. Peut-être y aura-t-il un peu d’auto-édition… mais je préfère être un bon écriveur qu’un écrivaillon ou un écrivain frustré et aigri.

Toutes et tous écriveuses et écriveurs !

En revanche je trouve que partout, dans les écoles, dans les lycées, dans les universités, les ateliers… on devrait inciter les gens à écrire seuls ou collectivement.

Écrire permet de mieux se comprendre, de mieux comprendre les autres, de mettre sa rage en mots plutôt qu’en coups. Écrire permet de partager des sensations et des émotions… L’Internet au lieu de se limiter aux réseaux sociaux narcissiques et violents, pourrait – il le fait un peu- constituer un joli vecteur de partage…

Les vieux pourraient écrire leurs mémoires pour les jeunes qui leur écriraient des poèmes en échange. Les femmes raconteraient leur vécu… etc.

Il pourrait naitre une sorte de littérature populaire et sociale qui irriguerait joyeusement la société et permettrait de créer du lien « par le bas ».

De temps en temps, une écriture, un texte, se détacherait, remarqué …

On pourrait faire évidemment la même chose avec le chant, la musique… plutôt que de s’enferrer dans une imbécile starification où l’on donne de la soupe sucrée à nos oreilles dans l’espoir de vendre au plus grand nombre !

Allo Rachida ?

Vincent Breton

Par Vincent Breton

Vincent Breton auteur ou écriveur de ce blogue, a exercé différentes fonctions au sein de l'école publique française. Il publie également de la fiction, de la poésie ou partage même des chansons !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *