Il a plu, il a plu tellement. Difficile d’aller loin quand l’eau du ciel vous confond avec la rivière. Au fil de l’eau, la voisine sur son vélo mouillé pestait. Il faisait hier un vrai grand soleil. J’ai rapporté de la peinture. Qu’en ferais-je ? Je suis resté, le pinceau en l’air.
Le texte
Mon pas dans la pelouse rouge
A creusé une entaille
Jusqu’au lit de la rivière
Dans la falaise les chevreuils ont signé un passage
Au canif de leurs ergots
Le chien boit consciencieusement à cette cicatrice fauve
Je voudrais savoir comme lui
Humer
Sait-il nommer tout ce qui passe ?
Une citadelle d’herbe et de feuilles mortes
Recouvre mon enfance
Demain matin, je rajeunirai sous les courbes de tes paupières
En attendant, j’écoute la voisine, un chapeau sur la tête
Médire et maudire, son vélo contre ses hanches
Saleté de pluie !
Au bord de la route
Elle fait de grands gestes qui effraient les oiseaux
Quelque chose s’effondre,
Le cormoran a plongé la tête la première
L’automne se noie dans les franges de l’hiver
Mes mains sont rouges
J’ai touché la terre
Ou tes lèvres
J’ai rapporté de la ville des tubes de peinture
Parce que tout est parfaitement logique
Entre l’ocre, les conciliabules, les traces,
Il faut que je peigne
C’est ma destinée
Je peins sur la paroi de ma grotte
De vieux souvenirs méconnaissables
La peinture sent l’huile douce
Une odeur d’amande et de glycérine
Il fait nuit déjà sur la pelouse
Alors je doute
Quelle couleur choisir ?
Il pleut
Sur le carrelage le chien a déjà peint son empreinte
J’hésite à l’effacer
Parce que je veux que mon chien survive à l’hiver
Je crois que la voisine est partie au village maugréant sur son vélo
Elle n’a pas vu le chevreuil caché à cause de la pluie
Ni mon enfance qui courait sur l’herbe
Menue
Je reste le pinceau en l’air
Écoutant l’averse
Et le chien qui soupire
Le pinceau en l’air
Mes yeux dans la pelouse noyée dans la nuit