Sur un quatuor de Ravel le soir
Ce récit mille fois lu Un quatuor de Ravel Des violons de certitudes J’ai dévalé la pente du siècle Tout ce que ma fatigue fustige Ce que mon cerveau brûle Ton visage limpide Les mains douces de ton sourire Les musiciens imperturbables Le ressac du pré sous la houle du vent Le soir qui bleuit ta nuque Ce foulard tombé dans l’herbe Ce récit Je ne peux le retenir entre mes lèvres Les musiciens avancent Leur menton cale l’instrument Ici La rivière a le ventre large Mais elle n’enfante plus Que des Vouivres muettes Parfois, un vieux fantôme passe sous les arbres Le chien voit des ombres Il aboie Les musiciens continuent de jouer Dans le jour qui décroît Mon enfance est là, debout Près du fantôme sous les arbres Et je suis ce fantôme Et je suis l’enfant Je suis l’arbre L’arbre qui s’est échappé Et que poursuivent les violonistes De leur tendresse convertie À la litanie À l’enfant que j’étais reclus J’écoutais la musique Des arbres, des violonistes Et la rivière m’est venue Consolation lente et glacée J’y plonge les hanches droites J’y noie l’enfance abrupte des mensonges L’épuisant secret des adultes Dans la rivière immense et profonde Dans l’onde au ventre maladif Je touche la vase Je l’effleure de la plante des pieds Et les algues Les algues enserrent mes mollets Des ragondins passent furtifs entre mes jambes Livides et nubiles Les musiciens impavides jouent au loin dans la campagne L’ombre se déploie sur ma jeunesse infirme Mon désir agonise Je suis un arbre, je flotte et nage dans mon feuillage épris d’eau Je flotte, Je m’éloigne, Laissant derrière moi le château Le champ mouillé, les ragondins Et les violonistes Dont les stradivarius éclatent sous les premiers rayons de lune Je glisse doucement, la tête renversée Le visage peuplé d’étoiles Je glisse sur l’eau Au loin les musiciens s’agitent dans le pré Lucioles tremblotantes aux trilles acides Je descends le fil du fleuve Je dénoue le foulard de mon enfance Comme on défait le cordon ombilical Avec le goût du sang sur les lèvres Une sève de garçon qui va glissant Vagissant Je croyais m’être endormi C’était l’enfant