Ravel – poème

Publié le Catégorisé comme au fil de l'eau
rideau bleu
"Blue Pattern" by Kai%20Oberh%E4user/ CC0 1.0

Sur un quatuor de Ravel le soir

Ce récit mille fois lu
Un quatuor de Ravel
Des violons de certitudes

J’ai dévalé la pente du siècle
Tout ce que ma fatigue fustige
Ce que mon cerveau brûle
Ton visage limpide
Les mains douces de ton sourire

Les musiciens imperturbables
Le ressac du pré sous la houle du vent
Le soir qui bleuit ta nuque
Ce foulard tombé dans l’herbe

Ce récit
Je ne peux le retenir entre mes lèvres
Les musiciens avancent
Leur menton cale l’instrument

Ici
La rivière a le ventre large
Mais elle n’enfante plus
Que des Vouivres muettes

Parfois, un vieux fantôme passe sous les arbres
Le chien voit des ombres
Il aboie
Les musiciens continuent de jouer
Dans le jour qui décroît

Mon enfance est là, debout
Près du fantôme sous les arbres
Et je suis ce fantôme
Et je suis l’enfant
Je suis l’arbre

L’arbre qui s’est échappé
Et que poursuivent les violonistes
De leur tendresse convertie
À la litanie
À l’enfant que j’étais reclus

J’écoutais la musique
Des arbres, des violonistes
Et la rivière m’est venue
Consolation lente et glacée

J’y plonge les hanches droites
J’y noie l’enfance abrupte des mensonges
L’épuisant secret des adultes

Dans la rivière immense et profonde
Dans l’onde au ventre maladif
Je touche la vase
Je l’effleure de la plante des pieds
Et les algues
Les algues enserrent mes mollets
Des ragondins passent furtifs entre mes jambes
Livides et nubiles

Les musiciens impavides jouent au loin dans la campagne
L’ombre se déploie sur ma jeunesse infirme
Mon désir agonise

Je suis un arbre, je flotte et nage dans mon feuillage épris d’eau

Je flotte, 
Je m’éloigne,
Laissant derrière moi le château
Le champ mouillé, les ragondins
Et les violonistes
Dont les stradivarius éclatent sous les premiers rayons de lune

Je glisse doucement, la tête renversée
Le visage peuplé d’étoiles
Je glisse sur l’eau

Au loin les musiciens s’agitent dans le pré
Lucioles tremblotantes aux trilles acides

Je descends le fil du fleuve 
Je dénoue le foulard de mon enfance
Comme on défait le cordon ombilical
Avec le goût du sang sur les lèvres
Une sève de garçon qui va glissant
Vagissant

Je croyais m’être endormi
C’était l’enfant

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les ouïes du Violon
Vincent Breton

Par Vincent Breton

Vincent Breton auteur ou écriveur de ce blogue, a exercé différentes fonctions au sein de l'école publique française. Il publie également de la fiction, de la poésie ou partage même des chansons !

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