Poésie et mémoire

Publié le Catégorisé comme de la poésie Étiqueté
Hortensias

Je continue jusqu’à la fin du mois, à prendre le risque de parler chaque jour de poésie. Et voici que je parle de poésie et mémoire…

Il y a ceux qui répètent en boucle : « ah, la poésie c’est bien, ça entretient la mémoire ! » . Ils voient à la poésie une fonction utilitaire. Autant apprendre l’annuaire. Il n’y a plus d’annuaire. Ou des dates historiques. Ou… Ne laissez pas au numérique le pouvoir d’être notre seule mémoire.

Mais ce qui m’intéresse, c’est comment le poème appris un jour se fraye un chemin et revient sans crier gare. Comment et pourquoi des vers remontent presque malgré nous à la surface…

Tu ne te souviendras pas…

Si tu cherches. Mais surtout si tu n’as rien appris. Misère des écoles où les cahiers de poésie ne contiennent à la fin de l’année que six ou sept poèmes. Il en faudrait au moins un par semaine. Choisis par le maître, choisis par l’enfant. Mais les maîtres d’aujourd’hui n’aiment pas la poésie, ils n’en ont pas été assez bercés. Les comptines ont quasiment fui les maisons des nourrices et les écoles maternelles. Ils disent qu’ils n’ont pas le temps alors qu’ils perdent beaucoup de temps…

Et le poème pour commencer à s’apprendre bien s’écrit à la main.


En observant la langue, en regardant comment le poète a choisi de l’écrire, message de la forme au fond, groupes de souffle…
Il faut écrire le poème à la main pour s’en souvenir !

Nous le savons, il vaut mieux passer du temps à apprendre des poèmes qu’à les expliquer de travers.

Pour se souvenir, il faut avoir appris non pour se souvenir juste le lendemain, mais pour entrer dans le temps du poème, le faire sien avec sa bouche et ses yeux. Revenir dans le florilège. Un patrimoine de poèmes et de chansons. C’est ce que nous devrions avoir chacun. Loin de la mode…

C’est une chose qui se fait bien enfant. La légende soutient que François Mitterrand apprenait un poème par jour.

Il y a des poèmes qu’on apprend par devoir, devoir qu’on se donne ou devoir reçu.

D’autres entrent dans la mémoire, souvent par bribes à force d’être lus et relus.
J’ai des poèmes qui sont des compagnons, des compagnons d’arme pour m’encourager, des compagnons de larmes pour me consoler.

Par leurs rythmes, leurs sonorités, des poèmes s’installent en nous à la manière des chansons.

Aphasique ma mère avait souvent la musique, pas les paroles. La mélodie est plus forte que le texte pour s’imprimer en nous.

Me voici notant sur ma feuille à mémoire cette injonction : lire encore de nouveaux poèmes, en apprendre. Relire.

Tous les poèmes ne s’apprennent pas. Ceux qui sont très graphiques notamment. Certains sont difficiles à la mémoire.

Ce qui revient

Ce qui est incroyable, c’est ce qui revient et quand ça revient.

J’ai des « bouts » de Marc Alyn qui reviennent souvent. Ses poèmes chantent. En tout cas, ils ont cette ligne claire qui s’imprime aisément. Pas sûr que ce soit toujours de la grande poésie. Quelque chose de la formule trop bien troussée…

Hugo revient. Souvent. Figure paternelle et débonnaire. Surtout ses « Chansons des rues et des bois ». Avec une force étonnante. J’ai peiné pourtant gamin avec la « Légende des siècles ».

Ou Baudelaire « Rappelez-vous l’objet que nous vîmes mon âme… » La charogne. Quel poème difficile et souvent mal dit ! Je n’aime pourtant pas tellement Baudelaire. Enfin, je pense ne pas l’aimer parce que son œuvre m’intimide.

Verlaine, Rimbaud, Fombeure (ça c’est l’école), Éluard (c’est ma jeunesse).

Ce n’est pas en cherchant à me souvenir que ça revient le mieux… au contraire.

Mais parfois c’est en marchant, en regardant le monde…

Plus surprenant, c’est au détour d’une conversation quand des mots s’insinuent et en appellent d’autres.

Des déclencheurs. Mais c’est là, en moi, enfoui.

Je récite des poèmes en rêve. Mais parfois ce sont de faux poèmes…

Les poèmes laissent des traces en nous

Le cerveau a-t-il digéré ce qu’on lui donne ? Si j’écris, suis-je bien certain que ce ne soient pas seulement des réminiscences ?

C’est affaire d’influences, d’éducation puis de révélation.

Le vers qui revient soudain et qui éclaire la pensée.

Ces bribes qui incitent à retrouver le livre, renouer avec, reprendre le texte.

Parfois en relisant le texte dans un vieux « Lagarde et Michard » la mémoire redescend soudainement en nous. Presque jusqu’au moment, au lieu où le poème fut appris. Et je n’ai plus besoin de lire la suite du texte pour savoir le réciter. Il était là. Enfoui.

Je ne me souviens pas de mes propres textes

Les gens s’en étonnent. Une fois écrit, dit… j’oublie le texte au point souvent, si je n’avais pas la certitude d’une signature ou d’un enregistrement, de ne pas être toujours certain d’être l’auteur de ce que j’ai pu écrire.

Arthur Rimbaud en signant le manuscrit de sa Bohème était-ce pour ne pas oublier en être l’auteur, pour revendiquer le texte ? Le connaissait-il par cœur ?

autographe de la main de Rimbaud

Se souvenir pour dire

On entend parfois des comédiens faisant appel à leur mémoire pour restituer un texte. C’est souvent une catastrophe pour faire découvrir et partager le texte.

Calvaire des récitations en classe où la mémoire bute, où l’enfant se bloque ne comprenant pas ce qu’il dit… Le poème souvent brûlé à la déclamation, singé dans sa rythmique, théâtralisé à outrance ou au contraire débité de façon navrante.

Il faudrait laisser le texte s’emparer de soi. Lui laisser les commandes. Lâcher prise.

S’apprendre

Je n’apprends pas seulement des vers. Je m’apprends au travers de ce que je mémorise du poème. Je laisse le texte me visiter de l’intérieur, imprimer sa marque et ressortir vainqueur. Le texte s’expulse.

Il est venu s’imprimer en moi mais il a bu en moi. Le poème est un être vivant qui se transforme de bouche en bouche puis reprend sa liberté.

Et je le regarde s’évanouir au loin.

Ma peur, c’est de tout oublier; Mais je n’oublie rien. C’est juste qu’il faut s’y retrouver…

Vincent Breton

Par Vincent Breton

Vincent Breton auteur ou écriveur de ce blogue, a exercé différentes fonctions au sein de l'école publique française. Il publie également de la fiction, de la poésie ou partage même des chansons !

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