L’autre jour je parlais des projets de rentrée. Je disais que je voulais tenter d’éliminer l’inutile, l’indigne et le vulgaire. Je reviendrai plus tard sur l’indigne et le vulgaire. Mais on me dit fort justement sur un réseau social, « ne pas trop se débarrasser quand même de « l’inutile » Le futile peut être utile ». Et je vis très vite les limites de ma réflexion. Tout tient dans le sens que l’on met sur ces mots. Retour sur ce qu’il me parait important d’éviter…
Se méfier de l’utilitarisme et du bon sens
Ce qui m’est utile dans la vie dépend du contexte, de mon projet, de ce que je recherche…
Le problème c’est que je peux penser qu’une chose est inutile car elle ne procure pas d’avantage à court terme alors qu’elle l’est : apprendre le latin ou le grec ancien peut sembler inutile, sauf que cela apporte non seulement des connaissances sur la langue, la grammaire… mais enrichit le raisonnement, permet l’accès à des pans de culture etc.
Dans un but utilitariste, nous voulons « optimiser » le rendement d’une activité et nous pouvons le faire avec des outils ergonomiques, en nous donnant des objectifs, en rythmant la production… jusqu’au risque de perdre en qualité et d’engendrer des difficultés.
Un peu d’analyse systémique de base, nous montre combien nous payons aujourd’hui le fait d’avoir voulu optimiser les couts et la vitesse de production en délocalisant l’industrie…
« Perdre du temps » peut-être utile pour relancer, se reposer, mais aussi développer la créativité ou simplement regarder les choses autrement. Des activités « futiles » comme le jeu, les loisirs… sont en réalité source d’épanouissement et de développement. L’ennui lui même peut conduire le cerveau à « chercher autre chose »… La curiosité, la sérendipité, ont besoin d’esprits disponibles à la surprise.
Le bon sens qui accompagne l’approche utilitariste, le pragmatisme… nous prive souvent de la capacité d’aborder les choses sous l’angle de la poésie ou tout simplement de l’attention à la dignité de l’autre. Par exemple, il peut sembler de bon sens d’imposer une société de la surveillance, sauf que cela reviendrait au final à nous emprisonner tous.
Un objet inutile reprend vie parce qu’il est recyclé sur un autre usage ou devient un objet d’art par le détournement ou la transformation…
Les retraités peuvent être regardés comme utiles à l’économie quand ils aident le tourisme, des poids inutiles quand ils pèsent sur le coût de la santé, des inutiles puisqu’ils « ne font rien » ou au contraire très utiles car ils assurent des tâches auprès des familles, des associations… Comme leur activité n’est pas toujours contrôlable, elle est suspecte…
Futile ?
Quelques jours avant sa mort, mon grand-père dit à ma grand mère qu’elle était une personne futile. Elle fut vexée comme un pou.
C’est à dire qu’il lui reprochait de n’avoir que des préoccupations liées au quotidien, aux dépenses de la maison et pas à l’élévation de l’esprit… C’était terrible et assez injuste car elle avait beaucoup travaillé à sa propre ouverture d’esprit et à l’accueil autour de sa table, faisant là une œuvre pédagogique auprès des siens…
Sous le futile apparent de la table ou de sa maison ouverte, elle offrait de façon désintéressée, un refuge à des personnes qui n’étaient pas ses enfants mais se sentaient « accueillies » et reconnues. Ce n’était donc pas futile même si cela prenait des allures anodines.
Il peut y avoir un rôle consolateur dans le futile à la condition que l’on ne sombre pas dans le vulgaire de l’abrutissement addictif (vision un peu emprunte de moraline). Il ne faut pas confondre la joie de la vraie fête où les personnes communiquent entre elles avec d’autres où le but n’est pas la fête mais « l’ivresse » qu’elle procure en coupant avec le réel. Une vraie fête relie.
Pouvoir choisir ce qui est bon pour moi
Mais on voit bien qu’on se piège tout seul à tenter de définir ce qui serait utile ou pas utile.
Je vais donc dire que, surtout lorsqu’on souhaite changer de vie – mais aussi parce que de toute façon il faut questionner sa vie, son habitus – , mener à bien un projet,faire évoluer sa vie vers un but que l’on se fixe (même si c’est le chemin qui compte)suppose que nous devons repérer les personnes, les situations, les activités, les objets qui nous empêchent de cheminer ou nous font perdre de l’énergie… Ces distracteurs, ces perturbateurs qui nous coupent de notre projet réel, et sont inutiles dans le sens où ils ne vont pas nous faire avancer mais nous faire régresser…
Par exemple, il ne faut pas attendre qu’une personne toxique change. Il faut poser ses limites. Rompre les liens si besoin.
Il y a des rituels qui méritent d’être questionnés, abandonnés ou transformés…
C’est souvent le cas au travail dans des habitudes installées, inutilement chronophages… On se crée de l’administratif, on rajoute de la norme au boulot… et parfois à la maison ! On confond souvent nécessité de règles, de repères, de limites avec rituels non justifiés et sclérosants.
- regarder une émission de TV quotidienne ce n’est pas grave sauf si cela devient une habitude non choisie et que je la regarde même si l’invité ne m’intéresse pas (le pire, ce sont ces personnes qui vont allumer leur TV quand c’est l’heure de leur émission même si elles ont de la visite)
- dialoguer sur un réseau social n’est pas grave et peut être intéressant ou amusant sauf je suis dépendant des notifications, si mon objectif est d’augmenter mon audience pour augmenter mon audience ou si je me laisse happer par des débats stressants et énervants pour tout le monde
- m’empiffrer de gâteaux n’est pas grave sauf si après je vais devoir agir sur ma santé pour « réparer »…
- regarder un vieil album de photos n’est pas utile si ça me renvoie à de tristes souvenirs
- ressasser des regrets ou des reproches à tel ou tel, dire du mal de l’un ou de l’autre… au final ne me libèrera de rien
…
- Ce serait pour moi aussi sans conformisme, me complaire dans des activités qui seraient contraires à mes valeurs humanistes ou ma vision de la vie en société…
D’une façon plus générale c’est veiller à m’interroger y compris dans le quotidien sur l’intérêt de telle ou telle activité, de ce que je vais pouvoir en retenir de positif, de plaisir.
Je peux regarder une série bête à la télévision, ce sera pour faire la sieste… donc ne pas la voir.. en revanche, je n’ai pas envie de perdre mon temps devant une ânerie. Il en va de même pour les livres ou la musique. je n’écoute pas seulement un concert vivant pour « me distraire ». Je préfère lire un écrivain qui va m’augmenter, m’enrichir, m’apporter un petit plus que seulement me « flatter »… C’est un choix, pas un jugement moral…
Pourquoi je fais ça ?
Ça peut-être simplement amusant de choisir une heure dans sa journée et de se demander pourquoi on fait telle ou telle chose à ce moment ? Par devoir ? Par automatisme ? Par choix ?
C’est un peu comme pour ses repas. S’il faut évidemment veiller à sa santé, est-ce que je mange parce que j’ai faim, en choisissant ce que je mange sans me forcer à manger plus que de besoin ?
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