Comment fais-tu pour choisir ? me demandait hier un ami hésitant. Je ne lui ai pas assez dit que pouvoir choisir est une chance ! Choisir n’est pas jouer sa vie au jeu de dés. La fuite n’est pas un choix mais une urgence avec laquelle il faut composer. Devoir s’assumer n’est pas un choix mais une question de survie, de respect de soi ou quand c’est impossible prive de liberté. Vue comme un problème parce que la peur peut contraindre à la passivité ou la procrastination, la question du choix montre en réalité cette merveilleuse chance de pouvoir démontrer par l’action que nous existons et pouvons décider. Épisode 2, de la semaine consacrée à réfléchir à la question du choix.
La torture du choix
Un autre ami au restaurant : pour lui, le menu et ses choix sont une torture. Commander au serveur, dire ce qu’il veut, est un moment dur à passer. Il devient blême. Il attend toujours de voir ce que nous commandons pour tenter de se rallier à nos choix et encore c’est difficile lorsque si nous sommes plusieurs, nous ne commandons pas la même chose. Il se rallie le plus souvent à moi qu’il connaît depuis longtemps. À une époque, connaissant son handicap, je modifiais mes choix parce que je connaissais ses goûts. Sacrifice idiot. D’autres fois, presque dans l’agacement, je faisais exprès de commander des plats qu’il n’aimait pas. Il commandait comme moi. Je me sentais sadique et culpabilisais. Lui proposer le choix dans une sortie, deux films au cinéma, c’est le plonger dans le désarroi, presque la panique. J’ai tenté de lui en parler. La seule négociation possible c’est de préparer le choix longtemps à l’avance pour qu’il puisse “vraiment” choisir.
Nous connaissons toutes et tous ces personnes qui ont laissé le vendeur ou le coiffeur choisir la tenue ou la coupe de cheveux à leur place. À 20 ans, j’avais rapporté une salopette bleue qui fit beaucoup rire. On aurait pu y mettre trois Vincent. Le vendeur m’avait persuadé que ça m’allait formidablement bien et que c’était la dernière mode…
Certains choisissent parce qu’il faut choisir quelque chose. Le parcours est balisé. C’est une sorte de conformisme, une façon de se débarrasser, de ne pas s’interroger. On ne réfléchit pas vraiment. Ça viendra plus tard.
Plus de la moitié des jeunes vont choisir la même banque que celle de leurs parents, plus de 40% des clients ne changeront jamais de banque bien que la fidélité ne paie pas.
Dans un monde où les sondages sont très présents, où des personnes se présentent comme des influenceurs, on voit bien que la tentation est grande de faire pression sur nos choix le plus souvent pour des raisons commerciales.
Le refus de se remettre en question conduit parfois certains couples à se séparer. Des partis politiques refusent de négocier confondant compromis et compromission. A contrario des couples continuent d’exister alors qu’ils ont été fondés sur une erreur de départ ou qu’ils ont évolué de telle façon qu’il faut que chacun-e prenne un chemin différent. On voit des personnes se rallier à d’autres, les girouettes de peu de conviction… Tout cela montre une certaine confusion quand l’opportunisme fait dépendre ses choix d’autrui.
L’exil
Rester, se soumettre ou partir ? Quand Hugo fait le choix de l’exil, il en a encore la possibilité. Mais il n’avait pas vraiment le choix.
Parfois il faut sauver sa peau ou celle de ses enfants. Cela ne mérite aucun mépris. On ne reste pas dans sa maison en flammes sous prétexte que c’est sa maison.
Partir n’est pas toujours partie de plaisir et le risque peut-être démesuré. S’évader du camp est le courage suprême. L’instinct de survie commande la prise de décision. On cherche des miettes d’espoir et l’on trouve l’énergie nécessaire sans savoir forcément ce qui est devant.
Choisir de mourir n’est pas une véritable liberté quand la souffrance commande. La recherche de dignité est autre chose. Individuelle. L’irréversibilité terrifiante de l’autolyse est un message à la société toute entière. Mais qui peut juger ?
Choisir c’est refuser le jeu de hasard
Il n’y a aucun mérite à gagner au loto. Et c’est d’ailleurs assez rare pour que l’on puisse démontrer l’idiotie du jeu à l’aide d’un calcul de probabilités.
J’ai connu une personne qui jouait beaucoup, a gagné, perdu… mais de fait ne plaçait pas son énergie dans de vrais choix pour elle. Les jeux à gratter c’est si facile. Et pas loin d’eux, il y a la tentation du petit verre. Les addictions se marient bien entre elles.
C’est tout différent avec la capacité de voir comment par son action “les choses s’alignent”. Par une sorte de disponibilité dynamique aux bonnes opportunités, aux bonnes rencontres, on va pouvoir en quelque sorte aller “chercher sa chance”.
Pouvoir choisir est une chance qui appelle la reconnaissance
Il faut se libérer d’abord des visions culpabilisantes.
“Elle avait des capacités, elle n’a pas su saisir sa chance.” “Il avait le choix, il a sombré dans la délinquance.” “Pourquoi restes-tu dans ce métier alors que tu pourrais progresser ?”
Personne ne peut ni ne doit choisir à notre place. Si enfant, certains ont fait de mauvais choix pour nous, notre existence nous appartient, elle est unique. Elle ne doit pas être mue par l’idée de compétition mais de réalisation.
Pouvoir choisir, c’est se reconnaître comme une personne unique, exister pour soi-même. Et c’est quand même mieux que d’être sans âme, sans capacité d’intention et d’invention.

C’est le chemin qui compte
Il faut se méfier des objectifs ou des projections figées. Je n’ai pas passé tel concours pour devenir ceci ou cela, mais pour vivre une expérience.
Ce qui m’importe c’est ce que chaque choix peut apporter pour enrichir ou élargir ma vie (en termes d’expérience pas d’argent) et surtout sur ce qu’il pourra ouvrir ensuite de possibles. La question n’est pas le but mais le chemin. Parfois ce chemin va me proposer des croisements, se transformer en sentier, parfois il faudra débroussailler, j’aurai le sentiment d’être perdu ou de revenir sur mes pas… Je ne comprendrai souvent qu’en marchant mais quelle chance de pouvoir marcher !
J’aurai le droit aux haltes, il faudra que j’observe où je marche et il y aura des rencontres.
Choisir est de la résilience en action
Je peux identifier dans ma vie quelques moments hautement douloureux. Ils ont touché mon entourage et ma vie propre. Ces drames, j’aurais pu en faire des excuses et végéter dans la plainte. Je ne dis pas que j’ai fait des bonds de joie, mais j’ai vu à chaque fois comment ils m’ont placé face à mes propres choix, une sorte d’appel à l’action en réalité optimiste. C’était comme dans la chanson de Bécaud : ” et maintenant, que vais-je faire ? “
La chanson peut sembler négative mais il dit :
Et maintenant, que vais-je faire?
Je vais en rire pour ne plus pleurer
Je vais brûler des nuits entières
Au matin, je te haïrai
Et puis un soir dans mon miroir
Je verrai bien la fin du chemin
Pas une fleur et pas de pleurs
Au moment de l'adieu
Il vient ce moment où l’on voit bien que l’on peut agir (pour soi d’abord).
Eh, bien ! Si je peux choisir c’est que je ne suis pas mort ! Je peux m’emparer de mon destin !
Ce n’était pas insulter les disparus que de revendiquer poursuivre la route et chercher autre chose en donnant du sens à ce que je faisais.
Choisir c’est d’abord s’accepter de bonne compagnie. On place souvent l’estime de soi à toutes les sauces. C’est plutôt se faire confiance, évaluer mais agir assez vite, non pas sur un coup de tête mais comme on dit “Adelante !“
On s’engage. Dans tous les sens du terme.
Tout petit, j’avais beaucoup lu d’histoires de pionniers capables de tout quitter pour aller défricher une terre au bout du monde et y bâtir une cabane.
Oui pouvoir choisir est une chance
J’allais presque dire, “peu importe le choix”. Le simple fait que l’on puisse choisir est une vraie chance. Cela prouve que l’on peut être autrice ou auteur de sa vie.
Parfois, Isis la chatte s’arrête longuement sur le seuil de la porte, elle évalue si elle peut sortir sans danger dans le jardin. Luxe des chats qui possèdent un jardin. Mais toujours, elle finit par sortir. Galou le chien, qui aime les friandises, pourra refuser celles qu’il n’aime pas ou moins. Luxe que n’ont pas les chiens de rue. Plus tard, il viendra me chercher avec une insistance épatante pour que j’aille jouer avec lui. Quelle capacité de persuasion, quel volontarisme ! Mais tous les deux ne tiennent leur liberté de choix que dans l’espace concédé par leur maître.
Choisir est une chance, mais il n’y a pas de jugement moral à porter. Le moment du choix appartient à chacune ou chacun, son expression également. Il n’y a pas de hiérarchie, pas de petits ou grands choix…
L’enjeu, une fois que l’on a conscience de cette richesse, c’est de pouvoir orienter son choix vers ce qui élève, grandit… Ma question sempiternelle : est-ce que ça va me permettre d’apprendre, de créer, de partager tout en prenant soin de moi et d’autrui ?
Je suis reconnaissant à la vie de pouvoir choisir et chaque jour de pouvoir le faire encore. Richesse !