Un jour d’été. Un jour de soleil cru. Un jour provisoire. C’était hier. Ou bien un avant goût des canicules à venir. Cela n’a pas duré. Ce matin déjà la pluie, deux coups de tonnerre. On parle du temps qu’il fait et même là l’incertitude s’invite. Nous nous assénons des lieux communs pour l’espoir de retrouver de la confiance dans quelque chose de banal.
Des enfants, des vieux et le chien
Au bord de la rivière les batraciens pataugeant dans la joie se faisaient entendre , tonitruants. Dans un jardin, sous de grands arbres, un homme jouait à l’harmonica des chansons des années trente pour des très vieux réunis là dans leurs fauteuils roulants.
Parfois il avait du mal avec la mélodie difficile de certains couplets, alors il prenait la tangente puis se raccrochait comme il pouvait. Les vieux reconnaissaient la chanson.
Plus tard, nous les reverrons dans la ville poussés par leurs accompagnants. Un jeune homme transpirait en tentant d’arracher le fauteuil dont la roue agrippait à une ornière trop profonde creusée dans l’herbe.
Comme dans un tableau, des enfants jouaient un peu plus loin, sautant par dessus des fils, lançant des ballons. Robes roses et pantalons bleus. Je n’y peux rien.
Le chien humait tout ce qu’il pouvait, tout à son bonheur. Mais la chaleur lui est maintenant vite difficile à supporter.
L’ombre des rues
Pour trouver de l’ombre, il faut se réfugier dans la vieille ville.
C’est curieux, mon hameau est de l’autre côté de la rivière, la commune où je vis n’a pas de commerces. Alors, on va ostensiblement vers le village, pôle d’attraction. Mais il fait si chaud que les rues sont quasi désertes.
Au bout de la ruelle, il y a la grosse mairie. Elle a l’allure débonnaire. Devant elle, les panneaux pour les élections avec les affiches des candidats. Des facétieux se sont déjà amusés avec. Il y a quelque chose de désuet à continuer d’afficher ces images qui semblent d’un autre temps. Qui peut aujourd’hui orienter son vote par la force d’une affiche ? Un sentiment de gaspillage et de discours sans rapport avec le réel. Dimanche, je crains l’abstention. Mais j’irai voter dans ma commune.
Il fait chaud, les yeux emplissent le cœur d’une incroyable poésie. Il y a tant à voir et voir encore. On se perd, on furète, loin des bêtises et de la violence du monde. Le chien halète si fort que cela résonne dans les rues.
Pas un clampin n’ose divaguer sur la place de l’église. Quand ils ne sont pas au bord de l’eau, ils sont dans les cafés, de l’autre côté. Quelques marcheurs de Compostelle se perdent parfois avec des sacs à dos plus hauts qu’eux. Le chien les regarde étonné. Ils transpirent dans des chemises aux couleurs vives.
L’incroyable escalier
Je ne me lasse pas de l’admirer, et la façade… Cette maison dans son petit renfoncement, protégée par l’église. Les herbes qui envahissent les marches, la petite boite aux lettres. Le facteur doit monter puis redescendre les marches. Des volets clos, puis là haut une fenêtre entrouverte derrière le secret de ses rideaux et c’est là tout un monde de mystère et de poésie.
Juste en face le clocher veille. En traversant les ruelles, il y a cette maison où d’habitude sur une chaise, placée de côté, une vieille dame semble comme dans une salle d’attente. Toujours muette, les yeux dans le vide. Aujourd’hui, il fait trop chaud, elle n’est pas là. Son absence inquièterait presque. Le chien souffle plus fort. Avec l’âge son larynx s’ankylose. Avec la chaleur, respirer devient plus difficile, il renifle tout pourtant avec délices.
Un peu plus loin, je me retrouve pris dans une discussion avec deux dames, comme si nous nous connaissions depuis toujours. La plus âgée parle à vive allure et mille souvenirs se déversent de sa vie, de ses petits enfants, des gendarmes, des stops non respectés, de la vitesse. Elle parle un peu de politique, de ses rideaux, une énorme voiture américaine remonte la rue et lui rappelle celle de son mari. Une brume passe dans ses yeux puis un autre sujet vient.
Le chien halète, il faut rentrer lui donner à boire. Je me demande si je ne suis pas entré par hasard dans le décor d’un film qui raconterait l’histoire d’un village paisible au bord du Lot, un jour d’été. Si loin de Paris, si loin des disputes et des guerres imbéciles… Un jour d’été, d’insouciance feinte. Mais si elle est feinte, ce n’est pas de l’insouciance…