Point poétique. Avant de rejoindre les fourneaux, les fourreaux , les bals ou les bulles… Avant le décompte et les artifices. Avez-vous rempli la déclaration ad hoc, le formulaire officiel, procédé à l’état des lieux de votre bilan poétique de l’année écoulée ? Il importe que vous sachiez à l’intime ce qu’il en est. Avez-vous lu de la poésie cette année, avez-vous pu écrire quelque vers, en apprendre, en enseigner ? Avez-vous offert des vers ? Avez-vous goûté la poésie de la vie ? Avez-vous vécu en poésie cette année ?
Ah, oui, la poésie !
Ce machin, ce truc pour adolescentes mièvres. Ces bouts rimés collés sur un carton et affichés sur le frigo de mémé. La poésie il faut que ça rime, que ça soit joli n’est-ce pas ?
Sur les internets on en voit des pouètes et fiers de l’être qui minaudent alanguis. Ils prennent la poésie pour de la pâtisserie, des choux à la crème. Rimbaud et Radiguet auraient bien ri. Parce que la poésie c’est savoir aussi cracher jusqu’aux étoiles… mais il faut viser juste, sinon le crachas, tu l’as dans l’œil.
C’est pour ça que nombre de pouètes certainement ont l’œil humide.
La poésie ne se vend pas au supermarché mais la publicité la subtilise pour nous leurrer.
Dans les zécoles de la République, les cahiers de poésie s’assèchent. Fombeure et Prévert ? Révolutionnaires !
« — Ah, oui, la Poésie… faudra y penser. Je mets ça sur un pense-bête. Vous auriez des poèmes à me conseiller ? »
Les tueurs de Poésie
À la télévision les serial-killers de Poésie dézinguent à tout va. Les petits haineux rances, les mêmes généraux, évêques, experts, politristes, journatristes, animatueurs de jeux niais… Les fabricants de catastrophes, les marchands de bombes et de buzz, les intelligents artificiels, les conformistes, les chouineurs, les grincheux, les sermoneurs, les intégristes, les surveillants, les gardiens du zoo…
Et nous dans le zoo.
Nous n’osons pas.
Nous moquer d’eux d’abord et grimper sur le cheval des mots pour les pourfendre avec l’épée joyeuse de l’insolence.
Car elle est subversive la poésie ! soumise à personne et sans gourou du tout !
De quoi tu te prives
Tu te prives de René Guy Cadou. D’un cheval blanc dans la prairie naissante. D’un insecte sous la feuille. De l’éternité sous la pierre ronde que laissa Guillevic, du feu d’Éluard.
Tu te prives de la rivière et du pétrichor, tu te prives du frôlement, du bruissement, de l’étincelle. Tu te prives de la miette oubliée sur la lèvre enfantine, de la note qui tinte sur le verre au restaurant, tu te prives de la soie, tu te prives du vent qui fait voler ton écharpe…
Tu te prives de toi. De ton enfant en toi. De t’accueillir. De te sauver. De l’escapade. Du sentier. Du rêve en maraude.
Tu te prives de ses yeux. Les yeux immenses qui te cherchent dans la nuit. Et de ce petit cœur d’amour qui bat vivant, encore, encore, qui bat pour toi.
T’en as pas besoin
Si tu préfères chercher un sens impossible au désastre plutôt que de donner du sens à ton cheminement.
Si préfères accumuler en fourmi avare, tu n’en as pas besoin. Si tu as le sens du sacrifice jusqu’à te nier et te priver de liberté. Tu n’en as pas besoin. Si tu as besoin de caviar plutôt que d’espoir, tu n’en as pas besoin.
Tu t’en es passé peut-être jusqu’ici. Tu as préféré les secousses de la course, l’ivresse de la vitesse aux alcools impétueux, pourvu que tu puisses t’oublier avec ardeur jusqu’à l’écœurement et la vulgarité du pouvoir. Tant pis pour le déshonneur. Tu seras Roi même si ce n’est que roi du malheur. Tu n’entraves que pouic à ces chimères démocratiques. La poésie ? Ça sert à rien. Juste … juste à faire justice avec des mots, une voix, de l’encre.
Camarade, si tu veux te fuir, fuis la Poésie ! Tue la ! En toi…
Sans Église
Il n’y a pas de clergé poétique, pas de dogme, de doxa, de mode d’emploi. C’est ça qui te fait peur ? Oser débroussailler par toi-même ? Oser te laisser surprendre ? Oser t’aimer à travers les mots et le souffle vital ?
La poésie fonctionne sans adjuvant, sans adjudant, sans cénacle ni conclave et si les stances s’organisent et les pieds se comptent, tu es libre de marcher où tu veux. C’est ça qui te fait peur ?
En Poésie tout est permis ! Quelle honte !
Juste une chose. En Poésie tu te respectes, tu ne te salis pas, tu ne bousilles pas tes valeurs pour un sac de monnaie, tu ne te vends pas. Tu peux être toi même. C’est ça qui te fait peur ?
Tu prends ta place, digne dans le paysage. Tu embrasses l’immensité de l’éternité mais avec l’humanité minuscule du souffle ultime, qui passera et restera malgré toi et au delà…
La poésie est ce risque merveilleux de toucher dans le flow du présent la mystique parfaite.
Alors ?
Alors quoi, tu sais très bien ce que je veux dire. C’est toi qui vois ma fille, c’est toi qui vois mon gars. Et même si t’as l’air non binaire. C’est ta vie, c’est ton choix. Tu n’as pas à te justifier et encore moins t’excuser. Choisis. Tu as vu, maintenant je te tutoie.
Il n’y a pas de devoir de Poésie. Il y a la vie. Et toi. Singulier et humain. Comme moi.
Car la poésie peut se partager, dans un rire ou une confidence, un murmure ou un cri. Un chant. Un accord. Si ça te dit.