Parfois je cherche des mots. Ces mots qui tiennent sur le bout de la langue et qu’on ne saurait regarder sans loucher. Petits signaux de fatigue. On se diagnostique le pire mais en réalité, ce qui compte est là, solide. Les messages secrets de mon cerveau surviennent quand au hasard de la balade, il me retrouve un poème, un bout de chanson. Là, c’était la vieille poste du vilage de Najac. Et le poème de Desnos est revenu droit comme je l’avais appris.
C’était en 1926
Peut-être à cause de cette histoire d’ancienne poste… C’est revenu, ce texte là :
C’est les bottes de 7 lieues cette phrase « Je me vois ».
Les gorges froides
A Simone
A la poste d’hier tu télégraphieras
que nous sommes bien morts avec les hirondelles
Facteur triste facteur un cercueil sous ton bras
va-t-en porter ma lettre aux fleurs à tire d’elle.
La boussole est en os mon cœur tu t’y fieras.
Quelque tibia marque le pôle et les marelles
pour amputés ont un sinistre aspect d’opéras.
Que pour mon épitaphe un dieu taille ses grêles!
C’est ce soir que je meurs, ma chère Tombe-Issoire,
ton regard le plus beau ne fut qu’un accessoire
de la machinerie étrange du bonjour.
Adieu! je vous aimai sans scrupule et sans ruse,
ma Folie-Méricourt, ma silencieuse intruse.
Boussole à flèche torse annonce le retour.
Robert Desnos
Le poète avait 26 ans quand il l’écrivit ! Te rends-tu compte ? Simone, la dédicace me faisait un effet bizarre. À l’époque c’était un prénom moderne…
Et le poème tient encore dans ma tête et dans les livres comme l’un des plus importants. La parodie est douce à mon cœur. Poète sage qui se moque de nous et de nos inquiétudes à chercher du sens.
Tu crois comprendre ? Tu parles, les images se renversent comme dans un tableau de Dali où l’anecdote se surpasse et laisse surgir l’essentiel inaliénable, celui du rêve, la double vie que nous vivons chacune et chacun.
Je l’aime ce poème et comme j’ai aimé cette vieille Poste, mon cerveau est allé m’envoyer un signal joyeux. » Tu n’es pas si gâteux, je t’envoie des signaux, fais en ce que tu veux… « Mais ce vieux cerveau s’est tout autant moqué de moi et de mes apparences raisonnantes.
Tant de rêves
Mes rêves sont colorés et surréalistes. Versant double de ma vie, je n’en capture que des bribes qui me laissent entrevoir un autre monde extraordinaire. Plus loin que les contes. Dans les rêves je suis présent, je vis des situations étranges ou rocambolesques dont je pourrais chercher les clés des heures en vain comme dans le poème de Desnos.
« La boussole est en os, mon cœur tu t’y fieras ». C’est la boussole des rêves. Je reviens souvent ébahi, éberlué de ce que je semble vivre au plus profond de cette vie onirique…
Mais dans ce vieux village de Najac, sorti de la brume d’hiver, j’étais à mon rêve éveillé. J’étais avec les vers sur les lèvres, récitant à voix basse sans chercher…
Si je cherche, je ne trouve pas…
Intelligence officielle
Je n’ai pas besoin d’artifices, si je laisse le cerveau chercher, relier, signaler… si je le laisse me guider de son intuition, il est mémoire, meilleur que la boussole et les machines électroniques, le voilà capable de se rire de moi, de faire preuve de sérendipité et d’élargir à l’infini mon horizon de sensations et d’impressions.
Longtemps on nous a fait croire que passé vingt ans c’était le début de la décrépitude. Point du tout. Il a des réserves, il est résilient, malin, fidèle…
Je sais que le logiciel intime peut faillir, que peut-être un jour « je mélangerai mes amis avec ceux du cinéma » comme l’écrivait Marc Alyn… mais pour l’heure, j’aime ces petits bonheurs. Ils ne sont pas de la nostalgie. Ce n’est pas du passé qui remonte. C’est présent, c’est disponible, ça se retrouve quand il faut… Parfois avec l’apparence d’un mode involontaire ou automatisé…
Ne pas trop chercher le pourquoi du comment. Juste se dire, « c’est là, à soi ». Je vois quelque chose, ça me fait penser à autre chose. Le langage humain fait de la pensée avec ce qu’il voit. Mystère…
Juste s’épater de cette possibilité formidable. Cette présence de ce que l’on a appris un jour et qui reste. Voilà pourquoi, il ne faut pas priver les enfants d’apprendre toujours. Et encore ! La mémorisation n’est pas obsolète.
Et les poèmes et les chansons viennent en illustration, apporter leur touche… un clin d’œil et si je repasse devant ce bureau de Poste d’antan, je penserai forcément à Desnos et réciproquement, dans une sorte de boucle affectueuse… Tu sais, les « associations de pensées ».
Je voulais juste noter ça, dans un coin, comme ça…