Les déménageurs en commando

Publié le Catégorisé comme sur le vif
Piano

Il y a un an je quittais la Bretagne pour l’Occitanie. Ce changement de cadre et de vie, je m’y étais bien préparé. Rompu aux déménagements, celui-ci me confronta à l’univers des plateformes véreuses qui exploitent des travailleurs venus de l’Est, avec une bonne dose de stress en plus, histoire de me faire des souvenirs… Les déménageurs en commando sont arrivés le lundi 16 octobre 2023 à l’aube pour une intervention qu’on aurait pu filmer pour une série américaine…

3 jours de suspense

Il y avait eu ce samedi où les déménageurs ne s’étaient pas présentés le matin comme prévu. Il avait fallu que j’insiste et mente pour obtenir l’arrivée d’une équipe en fin de journée… Le camion était parti vers vingt-heures avec mes trois « amis » moldaves dont le jeune Piotr et ses 20 ans. On s’était dit « à lundi ! ».

Prenant la route à mon tour le dimanche, j’avais fait mes adieux à la Bretagne. Le trajet long de plus de sept heures de route sans compter les pauses, s’était fait sous les miaulements (pour ne pas dire les hurlements) de la chatte, avec l’inquiétude lancinante de savoir si je reverrais bien mes meubles… J’avais lu sur Internet des commentaires sur la société de déménagement qui venait de changer de nom pour la deuxième fois, lesquels ne me rassuraient pas du tout…

Entre le samedi 22h et le dimanche 22h, les camions n’ont pas le droit de rouler. J’avais donc fait l’hypothèse que probablement les déménageurs n’arriveraient que dans la journée de lundi. Je me demandais où ils auraient passé leur dimanche, pressentant qu’on les laissait dormir dans leur camion plutôt que dans un hôtel.

J’étais rassuré par le fait que la taille du camion lui permettrait de « passer le pont » pour rejoindre la maison. Un pont de fer à voie unique, tout près de la maison, interdit le passage aux plus de vingt tonnes.

Il faisait à peine jour

Il n’était pas huit heures. Devant la maison, venait de se garer un très gros camion. Je crus à une erreur. Ce n’était pas le camion de mes trois moldaves en Bretagne. Ce gros machin ne risquait pas de pouvoir entrer dans le jardin. Il fallait l’admettre, mes trois moldaves s’étaient mués en quatre tous différents qui tenaient plus du commando de choc que des mousquetaires.

Cette fois, le plus jeune qui devait être un trentenaire et qui conduisait, était aussi le chef. Son français était encore plus sommaire que celui de Piotr. Il ne comprenait pas l’anglais. Il fallut quelques gestes pour se comprendre…

Je compris vite leur impatience. Ils ne voulurent pas du café d’accueil. Ils étaient pressés. Pressants. Ils trépignaient. Je leur montrais où déposer les cartons et les meubles. Il n’était pas prévu de déballage ou d’installation dans les pièces…

Chemin

Il fallait qu’ils portent tout depuis le chemin. Le camion bloquait le passage.

Équipe de choc, équipe mastoc, équipe rapide ultra pressée et soumise visiblement à un tempo terrible. Mon déménagement avait dû se rajouter à la liste. Je me demandais quand avait pu avoir lieu le transfert entre le petit camion et le gros. Impossible d’avoir été là sans rouler à des heures indues. Le chef ne faisait pas grand chose. Les gars étaient vifs et comprenaient vite comment faire, où déposer les meubles et comment empiler les cartons. Il leur manquait la possibilité de pouvoir lire ce que j’avais écrit pour aider au tri. C’était juste le petit défaut…

Sauf l’un d’entre eux… Je compris vite que je devais quasiment le guider personnellement pour ne pas retrouver la brouette dans le salon. Il était fort ce monsieur. Seulement fort. Et pas très adroit. J’ai sauvé la porte fenêtre…

Je bénis le fait d’avoir soigné mes emballages et que mes cartons soient bien fermés. Je compris vite que je devais renoncer à ce qu’ils soient séparés selon leur pièce d’affectation. Le tri, ce serait pour moi, après.

Cartons

Je frémis quand je les vis porter le piano comme un sac et je sauvai in extremis la plaque en verre du bureau sur lequel j’écris ces lignes…

On aurait dit un ballet en accéléré. Les cartons de livres volaient de mains en mains. Les étagères semblaient glisser dans l’air. Costauds les gars. Avec mes muscles en fromage blanc, j’admire la force.

De tous mes déménagements, je n’en ai jamais vu d’aussi rapide. On pourrait dire : expéditif, fulgurant, hâtif, instantané. Tout fut déposé à toute allure. On aurait dit une opération clandestine. Un film en accéléré.

Une fois tout déposé, les gars disparurent prestement dans le camion sans un salut. Il y avait trois places à l’avant du camion. Où allait se cacher le troisième ? Dans la couchette ?

Le « chef » se rapprocha de moi pour que j’acquitte la facture. Le chèque était déposé au nom d’une entreprise sous-traitante dont je n’avais jamais entendu parler. Quand je lui remis le pourboire assez conséquent que j’avais prévu, je n’eus de cesse de me demander si le partage serait équitable et s’il n’allait pas tout garder pour lui… Le bourgeois devient soupçonneux, c’est pas beau.

La plateforme, qui n’avait rien fait que d’appeler le sous-traitant en gérant fort mal son affaire, s’était mis quasiment 40% de la somme dans la poche… Entre l’entreprise sous-traitante et le nombre de personnes concernées, il ne fallait pas être grand mathématicien pour comprendre à quel point ces gars sont exploités.

Ils avaient dans le camion encore au moins deux déménagements à effectuer. On m’avait assuré au moment du devis qu’il n’y aurait pas de groupement. Ils occasionnent souvent des mélanges ou des pertes.

Pas de partage du Kouing-amann

Pas plus que du café, dont pressés ils ne voulurent pas, ils ne goutèrent le Kouing-amann qu’on m’avait offert au départ de la Bretagne.

Kouingamann

Le camion repartit. Il allait trouver plus haut de quoi faire demi-tour. Les déménageurs disparurent comme ils étaient arrivés. Ils avaient été encore plus rapides que l’équipe de départ. J’avais devant moi toute l’installation à organiser.
C’était fait.
Le déménagement avait pu être mené à bien. Merci la chance !

Redressement judiciaire

Sur Internet, on peut voir maintenant que la société à laquelle j’avais eu affaire a fait l’objet d’une procédure collective, un jugement a été prononcé… Un administrateur a été nommé et reçoit les créances. Tout le monde n’a pas eu ma chance. J’ai lu que certains n’avaient jamais vu l’ombre d’un déménageur. La société n’a plus d’employé… C’est à dire que non seulement profiteuse, elle était véreuse, mal gérée, incapable même de faire fonctionner son système… Reste la façon dont s’articule autour le réseau des sous-traitants… et je n’ose imaginer les artisans déménageurs à la peine…

Il m’arrive souvent de me demander ce que sont devenus Piotr et ces gars courageux, exploités, soumis à l’indignité… et je m’en veux un peu d’avoir participé à ce système à mon insu, pris par une forme de naïveté alors que je m’étais cru prudent…

J’aime ma chance

Je me dis souvent, sans sombrer dans l’irrationnel, malgré les épreuves souvent dures que j’ai pu vivre aux différents âges, que j’ai eu encore une fois de la chance.

Il faudra que je revienne sur ce concept de chance. La chance parfois, il faut aller la chercher, se montrer disponible aux opportunités…

La chance tient dans les bonnes rencontres, avec les bonnes personnes, les bons lieux, le bon moment… La chance mêle patience et détermination. Ce n’est pas juste un coup de dés… c’est une façon d’être en adéquation avec une étape donnée de sa vie. On dit souvent « il faut saisir sa chance ». Quand c’est le moment, il faut oser y aller !

Par Vincent Breton

Vincent Breton auteur ou écriveur de ce blogue, a exercé différentes fonctions au sein de l'école publique française. Il publie également de la fiction, de la poésie ou partage même des chansons !

S’abonner
Notification pour

0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires