Il y a un an jour pour jour (le 15 octobre 2023) c’était le départ pour l’Occitanie. La veille, après une journée d’inquiétudes, le déménagement était finalement parti avec les trois moldaves et leur vieux camion. Ce dimanche là, c’était le changement de vie marqué symboliquement par l’ultime trajet du Morbihan à l’Aveyron. Sur la route, j’étais dans ce mélange de sentiments qu’on à tous vécus lorsqu’on quitte une région, où se mêlaient la tristesse des adieux, le plaisir de la page qui se tourne et celui d’une nouvelle installation à venir… et les questions lancinantes tout de même à propos de mes meubles… Je me demandais si j’allais les revoir.
Les adieux aux lieux et aux personnes.

Avec Galou, les jours qui avaient précédé le départ, nous étions allés dire adieu à nos lieux préférés. Il y avait notamment cette plage qu’il aimait par dessus tout du côté de Plouhinec même si avec l’arthrose y courir devenait plus difficile.
Nous avons tant marché dans le Morbihan que ce soit pendant le confinement ou à d’autres moments. Il en a vu des sentiers côtiers ! Jamais sali un seul. Chien des montagnes où il est né, chien de la mer qu’il aimait – il avait peur de voir ses humains entrer dans l’eau -, aujourd’hui il est chien de la rivière dont il aime aussi les odeurs… Galou, c’est le chien des explorations. Dix ou douze kilomètres ne l’effrayaient pas… Nous nous en tenons à trois au mieux aujourd’hui…
Quelques temps avant, j’avais vécu dans le Finistère. J’ai tellement aimé ses vents sauvages. Une forme de rudesse. Galou n’était pas né. Je n’ai pas de liens réels avec la Bretagne mais j’y aurai vécu une douzaine d’années…
Le Morbihan, nous y étions venus pour mon métier, pour répondre à une demande aussi de la personne avec qui je vivais. J’y avais pris mes fonctions en 2015. J’y suis resté donc de l’été 2015 à l’automne 2023. J’ai toujours eu la chance d’habiter des lieux superbes. Pouvoir aller travailler à Belle-île-en-Mer, l’Ile d’Houat ou Carnac… ce n’était pas rien. Hélas, Le sud du Morbihan devient une sorte de Côte d’Azur… La carte postale comme à Quiberon, a son envers qui n’est pas que facile. Sur-tourisme, employés saisonniers exploités, vie chère… Chaque pays est complexe traversé de tensions multiples. Nous y avons vécu l’épreuve du COVID. Là où j’ai vu les locaux se démener, j’avais honte de l’impéritie gouvernementale. Ce fut mal compris, mais je rendis mon tablier plus tôt que prévu, las de porter les mensonges de Paris dans ce territoire qui ne méritait pas ça… Ce furent des années mélangées. Sur le plan personnel aussi… Des ruptures, des changements aussi forts peut-être que ce que j’avais pu vivre quand j’avais quitté la Haute-Provence pour Paris en 1987 ! Les changements sont signes de renouveau pour moi.
C’est symbolique. Je sais qu’à chacune des grandes étapes de ma vie a pu correspondre un lieu, une région différente. À chaque étape, la ligne continue de ma vie, les permanences et la chance d’évoluer grâce aux découvertes et aux explorations facilitées ou forcées par un nouveau cadre de vie, un nouveau contexte… Une nouvelle dimension, un élargissement, le cheminement. Vers moi. Avec moi. La contrepartie, c’est que je n’ai pas de racines, pas de « lieu »où je pourrais revenir… Ainsi quand on me demande d’où je viens, je ne peux dire que mon lieu de naissance… pour lequel je n’ai pas d’attachement particulier. J’ai aimé chaque lieu où j’ai vécu, mais il n’y a pas de lieu où je pourrais revenir comme un enfant ayant grandi rentre à la maison familiale.
J’ai cependant aimé chaque région où j’ai vécu et m’y suis trouvé au bon moment. J’ai choisi le lieu où j’ai vécu. Ou mieux, il m’a choisi. Une sorte d’adéquation à ce moment de ma vie… J’y reviendrai. Ce sont un peu des histoires d’amours ces rencontres avec des régions…
Adieu ou au-revoir…
Quand j’ai quitté la Bretagne, ce qui fut touchant ou révélateur, ce fut l’attitude des personnes… que ce soit des relations, des connaissances ou des proches…
Pour certains, les quitter ce fut comme une trahison. « Tu pars, on t’oublie », ou du moins, plus de signes. Comme s’ils ne pouvaient comprendre ou admettre qu’on quitte « la plus belle région de France »…
Mais j’eus droit par ailleurs à des adieux touchants, parfois inattendus. Des personnes qui se sont révélées me renvoyant une image chaleureuse, réconfortante. Des confidence parfois. L’un me disant « jalouser » mon indépendance ou l’autre avoir apprécié que je prenne ma place dans le paysage…
Quelques autres aussi ont promis de conserver le lien, ont donné des signes, accompagnant l’aventure avec bienveillance…
Mes amis… eux, ont l’habitude. Ils ne s’étonnent plus.
Je savais pour moi-même que je voulais mettre de la distance avec certains épisodes difficiles, ou certaines personnes que je ne souhaitais pas croiser. Je voulais également qu’on ne me regarde plus dans la rue au prisme réducteur de mon ancienne fonction « officielle »… Une façon d’investir plus avant ma propre liberté.
Je me souviens du petit pincement au cœur en démarrant le dimanche matin, assez tôt, jetant une dernière fois un coup d’œil à la maison par le rétroviseur. C’était assez cinématographique comme départ.
Les hurlements d’Isis
Pourtant préparée, avec un traitement censé l’apaiser, la chatte Isis passa les trois quarts du voyage à hurler. Autant Galou a-t-il toujours été d’une sagesse exemplaire en voyage, autant marquait-elle sa désapprobation alors qu’autrefois elle était calme en auto…
Plus de sept heures au volant… mais je m’arrêtais toutes les deux heures. Je suis sage conducteur, respectueux du code.
La quatre voies jusqu’à Nantes, l’autoroute… Mais la chatte hurlait. Elle hurlait sans interruption comme savent le faire les chats mécontents dans une tonalité puissante et il fallait rester serein… Ce n’est que le lendemain qu’elle se retrouva sans voix ! Bonheur !
Dans les rares interludes paisibles, revenait tout de même ma terrible question. Allais-je revoir mes meubles ? Mes trois gentils moldaves trouveraient-ils l’adresse ? Où avaient-ils dormi et quand partiraient-ils ? À quelle heure pouvais-je espérer le camion le lundi ?
Comme je l’ai raconté hier, j’étais tombé sur une entreprise de déménagement à la limite de l’arnaque. Et j’avais pu découvrir en cherchant un peu, qu’outre son changement de nom récent, l’entreprise avait déjà changé d’appellation par le passé et à chaque fois avait été signalée comme problématique… Ce qui m’avait « rassuré » à moitié c’était que certains n’avaient jamais vu leurs déménageurs arriver et avaient perdu leur argent… les autres avaient eu surtout à déplorer des pertes ou des objets cassés… au moins mon déménagement était-il parti…
Je me perdais en conjectures… Je me disais qu’ils avaient peut-être roulé deux heures le samedi avant de s’arrêter pour gagner du temps… Allais-je les retrouver sur une aire d’autoroute ? Car je me demandais s’ils ne dormaient pas dans leur camion.
Et si je perdais tout ?
Je m’étais allégé de beaucoup de choses. J’avais peu de meubles ou d’objets auxquels je tienne vraiment dans ce camion excepté les livres et les vieux trente-trois tours.
Dans la voiture, j’avais emporté le clavier pour faire de la musique, la box Internet et l’ordinateur… Au moins, je pourrais me connecter en cas de besoin. Ou chanter mes malheurs !
Quand on roule, malgré la radio et les hurlements persistants de la chatte, on se fait des films : je me voyais déjà porter plainte à la gendarmerie, devoir racheter des meubles… Comme mon grand-père maternel, expert en la matière, je me faisais le récit du pire. Le cerveau adore se torturer avec des conjectures idiotes.
Ce qui est extraordinaire c’est qu’alors « en plus » on culpabilise : j’aurais dû payer plus cher et prendre un artisan local, j’aurais dû faire plus attention, j’aurais dû… mais de toute façon, je n’y pouvais plus rien.
Pourtant plus je roulais, plus les paysages étaient magnifiques.
D’une certaine façon, la sérénité prit le dessus au fil du voyage et je m’apaisais. L’Occitanie est une région magnifique et consolatrice. Elle mêle lumière et douceur.
La dernière partie du voyage se fait sur de petites routes, des virages nombreux, des vallées étroites, des paysages sublimes.
Les animaux étaient déjà venus à la maison, ils ne furent pas dépaysés. Le lieu est calme. Le jardin l’entoure.
Ça y est !

Comme des enfants ayant compris que nous étions parvenus au bout du voyage, il ne fallut pas longtemps à Isis et Galou pour s’installer devant la cheminée dans une maison quasiment vide encore… Galou était allé chercher de lui même ses deux peluches préférées… Ils étaient comme soulagés.
Je crois que j’ai dû leur dire quelque chose du genre « ça y est ! on est Aveyronnais ». Non. On ne devient pas aveyronnais comme ça, nous venions d’arriver en Aveyron. Nous avions franchi les premières étapes.
Le déménagement n’était pas encore arrivé ce qui était normal, nous n’étions que le dimanche… j’avais donc encore de quoi mettre au feu de mon inquiétude et en même temps, l’ombre du causse veillait déjà…
Être là, là où il faut au bon moment. C’était il y a un an. Je mesure ma chance. Je ne regrette rien… ce qui ne veut pas dire nier ou ne plus aimer son passé…
Tourner la page, ne veut pas dire qu’on oublie tout, qu’on jette tout… mais que fort des épisodes précédents, on se lance dans l’écriture d’un nouveau chapitre…
« Encore faut-il tout de même que le déménagement arrive »… C’était ce que je me dis en éteignant la lampe ce soir là.