À onze heures le pays tout entier est invité à se recueillir. Jour de deuil national. Les drapeaux seront en berne. À deux jours de Noël, ce moment semblerait presque dérisoire, incongru et certains voudraient repousser l’évocation d’un geste de la main. C’est facile, c’est si loin n’est-ce pas ? Mayotte et nous c’est une histoire douloureuse. J’ai le cœur en berne. Pourvu qu’on ne les oublie pas…
Je ne cesse de penser à ces enfants
On nous montre finalement si peu. Des chiffres fous courent. Faire le deuil quand on ne sait pas vraiment qui, ni combien… Des propos infamants entendus ajoutent de la honte au malheur.
Ailleurs, le poison de l’indifférence sert tranquillement l’égoïsme.
On nous montre si peu mais me reviennent sans cesse les images de ces enfants vus presque par hasard à la télévision.
Une petite fille volontaire, douze ans peut-être, qui parle de « se serrer les coudes ».
Lucidité terrible d’une enfant si courageuse qui a déjà vécu plus de drames qu’elle n’aurait jamais dû. Et qui ne se plaint pas, vouée à l’action. Une petite fille.
Et ces petits garçons offrant leur visage à la pluie salvatrice. Un peu d’eau sur le visage, ce qu’ils attendaient. Jouer avec l’eau. Oser leur sourire.
Leur beauté dans la misère, leur soif de vie où je n’ose imaginer les rats et le choléra guettant dans l’ombre. Ces autres enfants qui n’auront pas retrouvé leurs parents. L’odeur parait-il, est en certains lieux insoutenable. L’odeur de la mort.
Je pense aux maîtresses et aux maîtres d’école qui n’ont plus d’école. J’avais entendu par le passé de la bouche d’un ami les mille difficultés qu’ils éprouvaient au quotidien. On écoutait ça d’une oreille bienveillante mais comme si le climat des îles atténuait la pauvreté…
Ailleurs aussi oui…
Et ce n’est pas parce qu’ailleurs les humains déploient le pire avec ardeur qu’il faudrait minimiser, s’habituer, banaliser…
C’est juste que là, parmi les mille urgences, au delà de l’indignité de l’Histoire, l’État est responsable de sa population. Et nous savons que ce qui est fait ne suffira pas et que le mépris palpable dans la bouche de certains est un obstacle.
C’est accablant.
On dirait qu’aucune leçon ne sert à rien.
Alors il faut transformer la colère en solidarité. De petite goutte d’eau en goutte d’eau, faire rivière, faire fleuve et ne pas avoir honte d’aimer nos enfants du bout du monde.
Le cœur en berne
Nous savons si peu. On nous a si mal enseigné. Mais aujourd’hui, pas seulement aujourd’hui, nous devons penser à ces enfants, ces femmes, ces hommes de Mayotte.
Chacune, chacun après fera ce qu’il pourra, ce qu’il voudra…
Que ce ne soit pas seulement un drapeau qu’on abaisse, une minute de silence que l’on observera dans les services publics et parfois autour des mairies qui auront eu le courage d’organiser quelque chose… que ce soit un moment, un moment de ferveur citoyenne appelant à la justice. Un moment pour que la devise républicaine au fronton des écoles, des mairies ne devienne pas une insulte mais une pensée solidaire sincère et profonde. Comme le ferment d’une promesse qui nous engage à renouer avec le meilleur de nous mêmes.
Juste leur dire qu’on les aime. Et qu’on est là. Avec eux.