Hier, je vous invitais à mettre de l’éthique dans votre moteur. Cette semaine le blogue fait escale sur la question de l’éthique. Comme ici on aime bien la poésie, forcément, le terme de poéthique m’est revenu, la poéthique pour changer la vie ?
Le paradoxe de la poésie
J’avais cet été ouvert quelques pages autour de la poésie. Il y avait là quelques idées maladroitement exposées pour tenter de montrer l’intérêt à la fois de donner plus de présence au « genre littéraire » tout en laissant entrer la poésie dans nos vies…
Dans les librairies le rayon « poésie » s’étiole. La poésie se vend mal. Elle est pourtant très présente sur Instagram, les réseaux sociaux ou sur scène… Tout s’y côtoie : le snobisme se mêle au sublime, l’élitisme à la poésie démocratique… La publicité vole parfois à la poésie une image, un jeu de langage…
Certains se limitent à une poésie faite « pour faire joli » un peu comme ces peintres conformistes qui exposent dans les boutiques à Honfleur… d’autres au contraire cherchent à casser les codes, les formes, pour trouver quelque chose qui nous dépasse… Une certaine virtuosité peut s’exprimer, des inconnus, souvent très jeunes nous envoient des textes brillants, étonnants, détonants et troublants… Il n’est pas toujours aisé de se repérer dans cette profusion, de retenir ce qui nous touche, l’éphémère, le fugace soulignent la fragilité d’un monde qui semble vivre en accéléré…
Ce n’est pas qu’affaire de musique…
La poéthique ?
J’ai rencontré ce terme avec Jean-Claude Pinson qui est philosophe et poète. Il s’agit de donner un sens à la vie et dans l’esprit d’Hölderlin se souvenir du fameux : «Plein de mérite, mais en poète/L’homme habite sur cette terre.» ou du « Vivre en poésie » de Guillevic.
« Vivre en poésie » ne se limite pas à lire ou écrire des poèmes ou apprécier l’art poétique comme on aimerait un genre, mais se relier à la vie et ses manifestations.
La poéthique peut-être une sorte « d’art de vivre » , de posture. Il y a les mots, le langage qui distingue l’homme des autres êtres vivants. J’y vois une démarche individuelle qui nous invite à agir pour « être dans le flow » et une démarche sociale où il s’agit de savoir « prendre soin » de l’autre… « Individuel et solidaire » chantait Colette Magny quelque part…
De la métaphore à la métamorphose.
Il y eut des poètes laquais du pouvoir. D’autres qui ont joué des sons. Puis d’autres encore, y compris dans le vers poétique le plus mesuré, cadencé, réglé ont su ouvrir des voies nouvelles, parfois contre le conformisme ou la moraline…
Les fables de La Fontaine ont osé une subversion assez policée pour qu’on les enseigne aux écoliers sages pensant les aseptiser (les fables et les élèves).
Et je pense soudain à ces vers d’Artaud :
Amour
Antonin Artaud
Et l’amour ? Il faut nous laver
De cette crasse héréditaire
Où notre vermine stellaire
Continue à se prélasser
L’orgue, l’orgue qui moud le vent
Le ressac de la mer furieuse
Sont comme la mélodie creuse
De ce rêve déconcertant...
On peut lire le poème du bout des yeux, ou réagir choqué ou s’y reconnaissant… Ce qui compte alors c’est ce que le poème ouvre en nous d’inattendu et sait nous révéler de nous même.
Et lorsqu’on accepte de se laisser traverser par le « flux poétique », on devient attentif au vivant, dans le souffle de la vie, non pas asservi à une quelconque singerie « religieuse » mais respectueux de soi, de se donner une place à soi, respectueux de la vie et des autres…
Apprendre en cheminant
Je continue d’apprendre sur moi, le vivant et les autres, non pas dans un savoir figé et rigidifié mais dans un savoir qui s’apprend…
Savoir vivre en poéthique nous enseigne que rien n’est jamais acquis. Des victimes peuvent devenir bourreaux. Des valeurs figées en principes moraux peuvent engendrer de nouvelles oppressions… La poéthique ne compose pas avec le réel, elle avance, elle marche…
Michel Deguy [Revue d’Histoire littéraire de la France, 119e Année, No. 4 (OCTOBRE-DÉCEMBRE 2019), pp. 901-904 ]
La poésie est éthique parce qu’elle interpelle la Cité, prend part dans les
débats contemporains, s’engage et se situe, en tant qu’elle prend la parole
pour interpeler le monde, dans une poésie d’action, en avant, qui montre
la voie et incite à l’action pour transformer la vie et éclairer le chemin des
hommes. Mais elle est éthique aussi précisément parce qu’elle est esthétique,
un art du langage juste qui vise à « donner un sens plus pur aux mots de la
tribu » et l’action sur le monde passe par la refonte du langage, le souci de la
langue par-delà le « numéraire facile et représentatif » permettant de changer
le regard sur le monde.
…
Si la poésie n’est plus le lieu désormais d’une morale prescriptive
et didactique toute faite, le poète se fait moraliste par son observation, sa vision
du monde : c’est son regard même qui est moral, parce qu’anthropologique et
philosophique. Le poème est une adresse aux consciences, il parle des valeurs,
des mœurs, de la condition humaine et de l’être au monde. Ses choix esthétiques
constituent en eux-mêmes une prise de position éthique, donnant une dimension
axiologique au poème, porteur d’une vision et d’un projet philosophique.
Une sagesse dans la poésie ?
Il faut de l’humilité. Ce qui est formidable c’est, dès lors qu’on ose ouvrir la porte , la capacité de la poésie non pas seulement de nous inviter à rêver la vie avec tous les risques de dérives possibles, mais plutôt à intégrer « la vie poétique » et nous transformer au présent…
Aborder la question ainsi, fait du bien. On peut théoriser à l’infini ou bien sans céder au folklore ou à l’anecdote chercher à se relier à la vie : la promenade au jardin – seul ou avec l’enfant et ses questions – , l’attention à ce qu’il y a sous la pierre comme au ciel un soir de printemps… Puis la disponibilité à la découvert de l’autre. Chaque homme est un continent.
Considérer ses contemporains sous le joug de la colère et du ressentiment ne fait que fabriquer exclusions et nouvelles guerres, se donner la chance grâce à une approche poéthique de reconnaître en tout autre une égale dignité à la sienne c’est renouer avec l’espoir du progrès humain… qui loin des compétitions fratricides doit s’émanciper du seul progrès technologique ou oser rappeler le sens de celui-ci… vertueux s’il est au service de nos besoins réels.
Mais avant de causer d’éthique et politique, faudra que je cause d’auto-éthique…