Je relis Une saison en enfer. J’ai trouvé une petite édition de poche au supermarché. Oui, messieurs dames, car on vend du Rimbaud au supermarché. C’est pas cher ! C’est pour l’anniversaire de la Saison. C’est dans une petite édition de poche. Rimbaud se moque du mage en lui, mais son texte relève de la magie, de la métaphysique gracieuse dit en substance Yannick Haenel qui le préface si justement.
Ironie féroce
Il n’avait pas dix-neuf ans quand il écrivit « Une saison en enfer ». Verlaine lui avait tiré dessus. Ça vous le saviez. Mais cet écrit n’est pas loin de l’accident. Rimbaud du côté de la vie, du langage comme combat. L’échec nommé pourtant.
« Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux – Et je l’ai trouvée amère. – Et je l’ai injuriée. »
Sur quel ring a-t-il lutté ?
Mon beau sarcastique, que viens-tu secouer de mon adolescence naïve ? J’ai toujours quinze ans.
Je ne relis pas ce texte tous les matins mais des morceaux en reviennent parfois à l’improviste. Ta petite écriture fine. Je l’ouvre encore et j’y redécouvre des pans insoupçonnés. Une Révolution qui ne cesse pas.
J’écris en deçà
J’écris en deçà de ce que je devrais, de ce que je pourrais. Il y a quelque chose qui se retient chez moi. Des bassesses de fonctionnaire. J’aurais bien voulu être digne d’un seul vers de Rimbaud. Et il est mort, insaisissable dans ce siècle que j’aimais. J’aurais aimé je crois vivre à la fin du dix-neuvième. Son siècle où il lisait déjà le sombre avenir.
Qui n’a pas été amoureux de Rimbaud, mais qui a été vraiment amoureux de sa langue sans avoir peur de l’ivresse ?
« Il a peut-être des secrets pour changer la vie ? »
Moi, je n’ai fait que travailler besogneux.
« Un jour peut-être, il disparaîtra mystérieusement ».
J’oscille entre le pire de Verlaine buvant son vin de messe et toi, échappé, sur ta route au loin, chérissant qui ?
J’écris en deçà. Demain matin, je pourrais arrêter et me trouver quelque Éthiopie…
Relire une « Saison en enfer » est utile à ne pas s’embourgeoiser. Rester fidèle à l’enfant de cinq ans que j’étais. Secouer l’adolescent timoré. Renouer avec soi. J’écris sans honte, mais j’écris en deçà. D’où tiennent-ils leur génie ces grands poètes ?
Car dans son cri, sa révolte, il tient la juste note. Rimbaud marche, résolu, mais il ne veut rien montrer. Il nous accompagne un temps sur le chemin. Il a disparu, on se retrouve seul, puis il revient. J’ai retrouvé Rimbaud au supermarché. Pour 5 euros et 61 centimes. Pas cher ! Le livre est à ma main gauche.
« La morale est la faiblesse de la cervelle »
Il n’y aura pas de morale à l’histoire. Que cette vie chercheuse de vie. Je bois dans les flaques. Je frôle quelques vivants à des parodies mercantiles. Se défaire de tout orgueil et puiser dans la fugue, le chemin, quelque chose qui se dirait sans s’outrager. L’amour de la vie, sous l’amour des autres et l’amour du langage. L’homme est langage.
« Ma vie est usée. Allons ! Feignons, fainéantons, ô pitié! Et nous existerons en nous amusant, en rêvant amours monstres et univers fantastiques… »
Dans ce passage, plus loin, il parle de son lit d’hôpital. Déjà. Mais juste quelques lignes après, Rimbaud se révolte contre la mort.
Et c’est bien de cela qu’il s’agit.
« La vie et la mort cheminent ensemble, la mort n’a qu’une peur, que la vie la dévore ! »
Je crois bien que Colette Magny chante ça quelque part… (Dans « Rap’toi d’la que je m’y mette« )
Dans mon pauvre esprit, les citations se mélangent. Il arrive même que je ne reconnaisse pas bien ce qui est de moi.
Une saison en enfer est le seul livre dont Rimbaud poussa la publication et dont les exemplaires restèrent à dormir trente ans au risque d’être brûlés ou jetés. D’autres poèmes sûrement se sont perdus.
On aurait pu très bien ne jamais rien savoir de lui.
Et je me demande où se cache le Rimbaud des temps modernes… sous les traits d’une fille ou d’un garçon ? Où es-tu ?
Car c’est ce qui manque à l’époque. Une Révolution du langage pour nous réveiller et nous révéler partisans de la Vie et de la Nature.
Rimbaud, qui ne voulait pas travailler reprenait ses textes. Il ne nous faisait pas la morale et savait se secouer dans ses propres écrits, et voilà qu’il admoneste encore notre propre époque. Il vise juste !
Les saisons ont leur cycle. Elles passent et reviennent.
Rien n’est plus salvateur et roboratif que de relire Rimbaud.
Est-ce que ça suffira pour dépoussiérer mon écriture et pour vivifier ce que je tente en toute maladresse ?
C’est ne pas s’interroger qui serait triste. Allons !
Liens à voir :
- Un article d’Albert Gauvain
- « Une saison en enfer » avec Yannick Haenel sur France Culture (28 minutes)
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