Une journée des droits de la femme avec le scellement dans la constitution du droit à l’interruption volontaire de grossesse, qu’aurait pensé ma mère de tout cela ? Elle fut victime de son éducation et du patriarcat. Elle aurait aimé voir les progrès… sans oser la faire parler près de quarante ans après sa mort, je ne doute pas que nombre de sujets l’auraient encore agacée, affligée, énervé…
Surtout, ne nous payons pas de symboles, de mots et de promesses. Il reste tant à faire…
Ce que ma mère a vécu
Elle était étudiante mais se trouva trop vite poussée au mariage. Non pas dans l’idée de se marier tôt, mais si l’on aimait, fallait se marier. Et avec quelqu’un de « présentable ». Elle eut à choisir entre un artiste drôle et créatif, coloré et un futur professeur, triste, coincé qui se plaignait de son sort. Elle se rangea avec une prudence toute catholique dans l’ambiance jésuitique qui baignait son éducation du côté du « raisonnable ». Erreur fatale. Elle en eut l’intuition dès les fiançailles. Jusqu’à vomir. Le mariage, elle l’avait voulu le plus discret possible. Rien d’une fête ! Et pour cause, c’était en quelque sorte son enterrement vivante. Elle déchanta vite. Les enfants, elle écrivit dans son journal intime qu’elle n’avait pas souhaité le deuxième , pas si vite, et nota ensuite plusieurs fois combien ils pesèrent et l’empêchèrent de vivre sa vie, notamment ses aspirations professionnelles. Surtout une fois seule à tout gérer.
À l’époque, il fallait encore l’autorisation du chef de famille pour ouvrir un compte en banque. Divorcer était lourd, compliqué, traumatisant. C’était fort mal vu et même les enfants de divorcés étaient regardés de travers. La pension alimentaire, il fallait souvent l’attendre. L’ex la revalorisait au centime près pour rester dans la bonne tranche d’imposition. Comme tant d’autres il avait été violent. Le mauvais numéro.
Avorter… non, impossible.
Oui pour une jeune fille, il fallait être raisonnable, suivre le chemin tracé… Jeune femme elle comprit qu’on pardonnait à l’homme ses incartades. Ses propres parents tentèrent de la convaincre de ne pas divorcer… Ils voulaient bien faire… Pour ton bien, pour celui des enfants…
Plus tard, l’ostracisme social se montra fort : une femme seule surtout avec deux enfants, c’était suspect.
Dans ses difficultés, ma mère avait pour elle une ligne de conduite, construite grâce à des livres que j’ai encore : Benoite Groult, Gisèle Halimi, Alexandra David Néel ou Françoise Mallet-Joris comme tant d’autres peuplaient la bibliothèque. Elles n’étaient pas bien vues à l’époque. Ce n’était pas ce militantisme bavard pétrit de moraline qu’on voit parfois aujourd’hui mais tout partait du réel, d’une appréhension concrète du quotidien.
Élevé sans violence de sa part mais pas sans valeurs, j’eus la chance d’apprendre à manier le fer à repasser dès l’âge de douze ans. (« Tu aimes avoir des chemises repassées ? Voici le fer… »). Les tâches domestiques, j’ai même appris sinon à les aimer, du moins à les mener sans souci… On se sent plus autonome. Je me souviens de mon grand-père qui ne savait pas vraiment où les petites cuillères étaient rangées…
Ma mère parvint plus tard à se libérer de la mainmise des hommes. Elle prit grand soin de ne pas se remarier. Ce ne fut pas toujours simple…
Je ne peux m’empêcher de penser, même s’il est impossible et idiot de refaire l’histoire, que ma mère aurait certainement pu être beaucoup plus heureuse, serait probablement encore vivante, si elle avait évité de se marier, s’était consacrée à la philosophie qu’elle aimait plutôt qu’à sacrifier sa vie pour élever ses enfants. Avoir des regrets, notamment pour autrui, ne mène à rien, mais quelles souffrances inutiles, quel triste destin !
Aujourd’hui encore
Combien de types se contentent-ils « d’aider » leur femme au lieu de partager les tâches à la maison ?
Combien d’adolescentes se sont trouvées enceintes car méconnaissant les principes de base de la contraception ?
Combien de filles sont elles assignées à des parcours, des métiers, des tenues vestimentaires et subissent la dictature domestique incestueuse des pères et des frères ? Cela n’existe pas qu’au sein de familles « religieuses » mais on retrouve nombre de stéréotypes dans la plupart des classes sociales… Si la situation peut-être pire ailleurs, la question des féminicides par exemple, reste l’aveu terrible que quasi tout reste à faire.
Combien de chefs d’entreprise osent-ils encore ne pas payer leurs employé-e-s à travail égal, salaire égal ? Pourquoi ne subissent-ils quasiment aucune sanction ?
Combien de fois ai-je entendu des paroles condescendantes vis à vis des mères célibataires ?
Je pourrais décliner la liste à l’infini…
Il y a encore cette hypocrisie à penser qu’un système fondé sur la compétition n’aurait pas d’incidence sur cette question de l’égalité...
Et la fraternité (ou la sororité) dans tout ça ?
On agite la devise républicaine. Mais « la fraternité » en reste le parent pauvre. Elle est malmenée y compris par ceux qui nous gouvernent et qui utilisent la défiance et la division pour imposer un projet qui vise à maintenir le même modèle économique.
Les réactionnaires sont en réalité les serviteurs les plus zélés de ce modèle. Sans éthique, sans morale mais juste avec l’anathème, la moraline et le ressentiment comme viatique, ils polluent le vivre ensemble de leurs représentations toxiques, simplistes et réductrices… Une fois qu’on a dit ça, on n’a rien dit si on ne se montre pas capables non d’être sur la simple défensive, mais beaucoup plus dans l’action…
« Agir » disait le président dans son discours… Lui Roi de l’impéritie !