Posée à l’autre la question peut sembler faite d’une exigence qui n’entend pas de contestation.
– Suis-je assez explicite ?
— Suis-je assez clair ?
On n’est pas loin de la « remontée de bretelles » ! Mais posée à moi-même pour tenter d’analyser ce que j’exprime et mon mode de communication, ce peut-être un bon outil de régulation. Utile aussi si je regarde le site…
L’implicite entre langage et codes.
Les profs connaissent bien ça : entre les mots qui manquent aux élèves pour comprendre de quoi on parle et les codes nombreux qui régissent la vie d’une classe, l’enfant-élève se demande souvent ce que l’on attend de lui.
Qui ne se souvient de l’ambigüité quand on parle en grammaire de déterminant ou d’article…
Ou que pour s’exprimer les élèves doivent lever la main et avoir l’autorisation claire de parler…
Ou de la terrible question quand l’enfant dans sa copie arrive au bas de la page du cahier et demande ce qu’il doit faire.
Les adolescents pour « se venger » ont à leur tour inventé un langage et des codes indéchiffrables aux adultes. Ils sont parfois régis par des règles complexes qui ne tiennent pas qu’à l’assassinat de l’orthographe académique. C’est pensé, c’est structuré. Il faut la clé de décodage.
Quand je lis des forums de spécialistes du numérique ou des « pouets » sur une instance Mastodon, entre termes plus ou moins techniques, abréviations, acronymes et anglicismes, il me faut souvent du temps pour comprendre de quoi on parle. Et en général, c’est beaucoup plus simple que les formulations « dans le vent » ne le laissaient entendre.
C’est d’ailleurs paradoxal de noter que parfois des militants du numérique libre ou de causes sociales, environnementales vont user et abuser de ces codes souvent hermétiques pour le quidam inculte que je suis. Il y a là souvent une volonté de se positionner dans le « happy few » ou une façon de considérer que pour comprendre ce que je dis « ça se mérite ».
C’est en réalité assez « bourgeois » comme posture.
Le « savoir-vivre » n’est pas seulement destiné à bien vivre ensemble, il est souvent un filtre qui permet de classer, catégoriser… hiérarchiser autrui.
L’accessibilité
Sur les réseaux sociaux du Fediverse, il est apprécié d’associer une description écrite à l’image que l’on publie pour qu’un mal-voyant s’en sorte. Ce matin, en testant ce site, je notais que le choix d’une couleur que je pensais pourtant jolie, posait en réalité des problèmes en termes de contrastes. Autrement dit, je demandais un effort trop important à certains lecteurs et de fait posais une barrière excluante.
Ce sont les fameuses « clauses » écrites en tout petit au bas d’un contrat…
Être bien compris
Dans la nouvelle « Agent secret » je raconte un souvenir d’enfant. Je jouais à l’agent secret avec un ami en m’inspirant d’une série de la bibliothèque verte. Beaucoup ont focalisé là-dessus. Pourtant le cœur de la nouvelle n’était pas là. Il portait sur un drame vécu par un enfant… L’enfant jouant en partie pour dissimuler ce qu’il vivait. Tout le monde ne l’a pas vu.
D’autres lecteurs ont compris en avançant dans les textes, qu’il ne fallait peut-être pas s’en tenir au premier degré ou aller jusqu’au bout du court texte pour en avoir la clé et que soudain celui-ci prenne un tout autre sens.
Il peut y avoir un jeu entre ce que je veux dire et ce que j’espère voir perçu ou compris dans cette complicité entre auteur et lecteur…
J’ai souvent été très étonné de voir comment certains interprétaient des textes de poésie que j’avais pu écrire. La relecture étant alors une sorte de réappropriation…
En classe, les maîtres connaissent souvent ces moments où les enfants prennent une expression dans le sens littéral.
L’humour suppose un sacré décodeur.
Il peut parfois prendre des formes subtiles et élaborées.
Avec une classe, nous avions une belle complicité. Lorsque certains élèves me demandaient trop souvent d’aller aux toilettes, je faisais mine de mal comprendre : – Comment ? Tu veux aller cueillir des pâquerettes ?… ou jouer au basket ? En pleine classe ?
L’humour permettait à la fois de se montrer bienveillant et de pondérer amicalement le nombre de demandes.
La complicité était si belle, qu’un jour, alors que des stagiaires se trouvaient en fond de classe, un élève demanda directement : – Maître est-ce que je peux aller cueillir des pâquerettes ?
— Oui, mais pas un trop gros bouquet
Les stagiaires éberluées ne comprenaient pas ce qui se passait et prenaient leur formateur pour fou. Pourtant l’enfant avait créé une formidable boucle de communication, pleine de communication et d’humour que seuls ses camarades et moi pouvions comprendre d’autant que cela avait été dit avec un réel sérieux apparent.
Mais je pense souvent à ce petit garçon qui en classe de découverte avait fait des photos avec ces petits appareils photos jetables. On donnait ensuite le tout à développer. J’avais retrouvé l’appareil dans la poubelle et interrogeai l’enfant : – C’est normal maître j’ai terminé de prendre mes photos et comme c’est marqué « jetable » j’ai jeté l’appareil.
Mille malentendus
À partir de ce que l’on est, ce que l’on fait ou dit, les gens « supposent que ». Ils interprètent avec leur grille de lecture. Ça biaise.
Si on sort du cadre, ça surprend.
Des personnes qui me connaissaient sur le plan professionnel, n’imaginaient pas que je puisse écrire de la poésie ou des chansons. Autrement dit, on me perçoit d’un certain point de vue, d’une construction dont il est parfois difficile de s’émanciper quand on évolue soi-même.
Savoir dire non
Un des premiers actes forts de communication explicite, c’est de savoir dire « non » ou « stop ». De savoir dire la vérité.
Plutôt que « je viendrai peut-être à ta fête », « Je ne viendrai pas à ta fête, je préfère les réunions en petit comité ».
C’est parfois difficile, par peur de déplaire.
Savoir accepter que l’autre ne va entendre qu’une partie de ce que l’on va lui dire
On dit que dans une conférence un auditoire ne reçoit que 8 à 10 % du message… lorsque j’écris, j’offre souvent le texte de façon brute, sans accompagnement. Cela me gêne toujours de voir des écrivains à la télévision presque obligés de venir « expliquer » leur roman… alors que l’ayant lu, j’avais compris peut-être autre chose ou pas perçu leur intention… ce qui ne veut pas dire que le texte était mauvais.
Autrement dit c’est un équilibre entre ce qui est absolument important à mes yeux et ce que l’autre va en comprendre en fonction de sa propre expérience.
Bien sûr, il est important de comprendre les allusions historiques d’un texte ou les références à tel ou tel point artistique… C’est l’apport de la culture qui a fait dire à Gérard Chauveau qu’il fallait soumettre les enfants de milieux défavorisés à un « bombardement culturel » pour que « ça » leur parle…
Enseignant, je tentais la « simplexité » parfois pour expliquer quelque chose de complexe. Je passais par des métaphores ou des représentations avant de mener au véritable objet de savoir, à la connaissance en tant que telle… Le tout étant de respecter le sens.
L’autre ne va pas tout percevoir… faut-il encore que je ne lui laisse pas croire le contraire de ce que je voulais faire passer…
Alors il faut écouter ou susciter le retour de l’autre…
Ça ne va pas de soi
Internet et les réseaux sociaux, les disputes insensées que l’on peut y lire, les approches binaires, nous montrent que souvent ce n’est que ça, du malentendu à partir de lectures imparfaites, d’incompréhensions ou d’amalgames…
Sur un blogue, ce n’est pas forcément plus simple. Le statut de l’écrit y est particulier.
Et dans la vie de tous les jours certainement, faut-il aussi être attentif et bienveillant… sans pour autant avoir crainte de se tromper, se reprendre, réajuster.
Est-ce que j’ai su dire ce que je voulais, d’abord pour moi-même ? Ce qui passe aussi par l’art de se relire… et ses surprises…
