Soyons guetteurs de poésie

Publié le Catégorisé comme de la poésie Étiqueté
Reflets

Hier j’invitai : « relions-nous grâce à la poésie ! ». Percevoir la poésie suppose d’être en état de curiosité, disponible dans son quotidien quitte à susciter des moments dédiés. La poésie vient souvent d’elle même à notre rencontre, parfois elle se débusque, elle se guette. C’est pourquoi j’aime à dire, « soyons guetteurs de poésie ».

Qu’est ce qui est poétique ?

La violence et la haine, le cynisme, ne sont poétiques que transfigurés, sublimés par la tragédie. La mort n’est poétique que lorsque le poète la décrypte provocateur. Le joli, le décor convenu, ne seraient poétiques que dans la dérision, le pastiche.

Ce qui nous inspire nous touche, nous trouble, c’est inattendu. Notre imagination s’allume. La métaphore n’est jamais loin, le conte, le chant, l’aventure ou le risque d’ouvrir en soi l’heureuse surprise. La poésie est souvent née de la sérendipité.

Ce qui est poétique peut sembler luxe. Certaines villes sales et froides se sont enlaidies savamment. Il est des portes sinistres et affreuses si on passe un peu vite. Elles sombreront dans l’oubli. Puis, c’est le brin d’herbe entre deux pierres, le métal rouillé qui signe une larme, un volet que le vent claque, une jeune femme qui attend le bus. Un souffle dans le couchant. Et la poésie est là. Sûre et tranquille. Dans l’instant. Éternelle.

Hier à la promenade

Je ne nie pas ma chance. Au bord du Lot près de la maison, il y a des jardins. Certains sont entretenus, d’autres à l’abandon. Voici trois grilles de jardin, rencontrées par hasard hier soir et qui sont des objets de poésie, source de bonheur…

Il faudra se pencher pour passer sous le lierre de la première. Derrière le jardin semble touffu mais un passage existe. En revanche, comme pour protéger son entrée, vous voyez bien que la grille du milieu, avec son fer forgé, est devenue inaccessible. Je crois bien que j’en voudrais à celle ou celui qui déciderait de nettoyer l’espace pour libérer le passage. Ce qui touche ici c’est le mystère. Une histoire, une peine peut-être ou des bonheurs anciens. Oser regarder au travers de la grille, vers le jardin, n’est pas que pénétrer une nostalgie, mais une intimité. La dernière grille enfin semblerait presque aisée à ouvrir. Sauf que l’observateur attentif aura vu que des roseaux se sont dressés, juste derrière, bloquant le passage, ils sont là au garde à vous, dressant leur haute barrière infranchissable.

Jardinfleuri

Et ce jardin fleuri, entrevu par dessus une haie… que laisse-t-il entrevoir qu’une joyeuse symphonie entre fleurs et légumes mêlés dans un ordre approximatif ?

Au fond, à droite, il y a la chaise. Et l’on se plait à imaginer le jardinier-poète qui préside au destin de ce lieu.

Avec les enfants

Lorsque j’étais maître d’école, nous allions de temps à autre, dans l’environnement proche de l’école, dans l’école elle même, guetter ces objets inspirants. Ils seraient source d’inspiration, là pour un croquis, ailleurs pour quelques vers…

Les enfants aimaient aussi chercher des mots, des phrases dans les textes qu’ils lisaient et qu’ils aimaient pour leur poésie. Collecte était faite et nous en faisions beau partage. Nous avons joué avec « les mots délicats » , que nous aimions pour leur douceur, leurs sonorités ou ce qu’ils suggéraient… Le dictionnaire était exploré avec délectation.

D’aucuns rapportaient une image, un objet, une reproduction de tableau…

Je pense que je tenais cette habitude de mon enfance, quand nous allions par les sentiers guetter les fleurs ou le passage d’un chevreuil.

L’émotion partagée

Dans ces époques de disputes accrues, pouvoir aller guetter et faire cueillette de poésie est une chose. Pouvoir partager en est une autre.

Nous avons à apprendre les uns et les autres. Nous pouvons tirer des bonheurs partagés de ces collectes, de ces cabinets de curiosité, de ces musées…

Nous pouvons d’égal à égal, nous montrer, admirer, regarder un ciel étoilé, le vol d’un oiseau, un reflet sur la vitre…

Pour cela, il faut aussi ne pas mépriser ces diversions apparentes qui grèveraient la rentabilité de l’écolier à sa table ou de l’employé à son établi.

S’émerveiller est une vitamine et le faire ensemble nous ramène à la joie d’être vivants.

Célébrer

Alors guetter la poésie, et cela peut commencer en beurrant une tartine de confiture de mûres, en sautant d’un bus ou en écrivant au tableau, guetter la poésie c’est faire fête à la beauté du Monde, à la beauté de la vie.

Car on aura beau faire, dans le sang, dans le pire, dans la haine, dans l’horreur effarante dont nous sommes capables… il n’est pas un humain qui ne serait capable de retrouver la petite note sensible.

C’est terrible à dire, presque indécent, mais sous le pire bourreau peut se cacher un humain, un enfant intérieur capable de poésie. Je sais bien que certains brûleront avant même le moindre remords, la moindre réparation. Nous ne pourrons rien pour eux.

Combien nous on dit que dans la prison, dans les camps, dans l’abjecte, la poésie que ce soit celle d’une araignée complice, d’un texte dont on se souvient, d’une phrase que l’on imagine, d’un petit objet tenu dans la paume de la main… combien nous ont dit à quel point la poésie avait été là, près d’eux, soufflant son haleine consolatrice et les sauvant parfois d’eux-mêmes ?

Alors, la poésie peut nous inviter au remerciement. À la ferveur. À ce sentiment de communauté, de fraternité, avec le vivant.

Vincent Breton

Par Vincent Breton

Vincent Breton auteur ou écriveur de ce blogue, a exercé différentes fonctions au sein de l'école publique française. Il publie également de la fiction, de la poésie ou partage même des chansons !

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