Des poètes et de la poésie

Publié le Catégorisé comme de la poésie
Hortensias

Considérations du jour, à propos des poètes et de la poésie

Il y avait le poète des routes, des sentiers, des fugues. Le poète reclus, des soupentes, des chambres closes, des prisons. Il y avait celui des échoppes, qui faisait son commerce et ses académies.

Le poète des concours, des médailles, des salons. Le poète de ville, sentant le rat et le fleuve humide. Le poète des champs sentant la brume ou le blé tendre.

Le poète qui se plaignait, qui gémissait sur la tombe, souffrait de rhumatismes, le maudit. Le poète qui glapissait, se moquait et se révoltait. Et la femme poète qu’on écoutait peu, est-ce à cause d’Homère le poète aveugle ?

Poète publicitaire

Aujourd’hui, les poètes font de la publicité, des slogans. Ils vendent des formules choc et lavent plus blanc.

A l’aphasique revenait un vers, un bout de chanson, une fable. Le numérique se substitue à la mémoire humaine.

Il y a des enfants qui ne savent plus de poème qui feront des vieillards creux dans les maisons médicalisées.

Puisque c’est fini j’vous dis !

Nous parlons de la poésie. Cet objet mort. On a tout inventé. Il n’y a plus rien que des redites, de pâles imitations, des formules toutes faites, des parodies de poésie. Le poète cherche à faire avec la glaise des mots mais cela ne tient pas, ou c’est du déjà vu, les gens détournent le regard. Ils reviendront plus tard. Ou jamais.

Un jour, on aura épuisé toutes les musiques, joué tous les accords.

Le poète s’évertue qu’il s’enferre dans la métrique ou se croit automatique. Mais il est à côté de son geste à la fabrique. La poésie est en panne faute de sponsors valables. Pas rentable.

Problèmes

Le problème de la poésie c’est qu’on veut la dire alors qu’il faut la laisser parler.

Le problème de la poésie c’est qu’on veut l’illustrer dans des cahiers d’écolier alors que la métaphore ne se dessine pas.

Le problème de la poésie c’est l’image. L’image tuerait les mots si on la laissait faire.

Mais un jour, peut-être plus tôt que prévu, les écrans s’éteindront. Les rares privilégiés seront ceux qui auront conservé une bibliothèque de papier.

Car le recueil de papier se touche et donne de l’odeur au poème.
Dans le secret de leurs appartements ouatés, des érudits en seront réduits à renifler les pages des livres de poésie. Car ils seront devenus aveugles.

Il y a des poètes imbuvables qui ont laissé une œuvre sublime. Ou juste un poème, ou juste un quatrain. Moi je ne laisserai rien.
Rimbaud s’est arrêté d’écrire autre chose que des livres de comptes qui sont la véritable poésie immuable et infatigable.

Des poèmes ont passé outre la mémoire humaine, ils nous ont traversé anonymes. Nous les avons dans la bouche sans savoir ce qu’ils disent. Nous les mâchonnons.

Ce qui a marché un temps avec la religion, c’est qu’elle pouvait se réciter comme un poème.

L’Ecclesiaste sonne bien !

Il y a un temps pour tout, un temps pour toute chose sous les cieux: un temps pour naître, et un temps pour mourir; un temps pour planter, et un temps pour arracher ce qui a été planté; un temps pour tuer, et un temps pour guérir; un temps pour abattre, et un temps pour bâtir; un temps pour pleurer, et un temps pour rire; un temps pour se lamenter, et un temps pour danser; un temps pour lancer des pierres, et un temps pour ramasser des pierres; un temps pour embrasser, et un temps pour s’éloigner des embrassements; un temps pour chercher, et un temps pour perdre; un temps pour garder, et un temps pour jeter; un temps pour déchirer, et un temps pour coudre; un temps pour se taire, et un temps pour parler; un temps pour aimer, et un temps pour haïr; un temps pour la guerre, et un temps pour la paix.

Alors quoi ?

c'est un poète
« Portrait of the Poet Emil« / CC0 1.0

Où est-il le jeune poète, le vin nouveau de la poésie, la fille ou le garçon de seize ans qui saurait inventer un nouvel espace, un nouveau langage, un art poétique renouvelé ? Dans quels cafés se retrouvent-ils ? Quels carnets tiennent-ils ?

Les poèmes d’aujourd’hui sont des spasmes, des tentatives de différer le point final. C’est une affaire de temps.

Les urgences sont saturées.

Les jeunes gens ne s’ennuient plus. Ils font tout pour masquer leur véritable solitude, par peur.

Les vieux dévorent ce qu’ils achètent avides au marché. Ils agitent leurs mandibules pour faire croire qu’ils sont vivants et utiles. On les salue, on les remercie puis on les enterre vite fait pour passer à l’actualité suivante.

En réalité, nous n’avons plus besoin de la poésie pour finir le travail. Les insectes méconnaissent la poésie.

Mais ils paraît que la première cellule née lors de la conception d’un homme bat déjà son rythme.

Une pulsation.

Une pulsation qui se mesure.

La poésie se mesure, se soupèse.

En réalité il ne faut pas un cœur, pas une âme, il faut des mains. Et un ventre. La poésie se tient dans le ventre humain. La poésie est notre microbiote. Sans elle le cancer progresse vite.

Le vrai con, c’est celui qui est incapable de poésie, d’y être sensible, de la comprendre, de se laisser aller au verbe. C’est l’assassin de son enfant intérieur.

Je regarde ces types qui vivent avec un enfant mort en eux. Il ne leur reste plus que le ressentiment.

Je reprends ma question : il sont où les nouveaux poètes, les inventeurs d’autre-dire, ceux qui pourraient nous sauver, ceux qui se taisent la tête entre les cuisses du désir, ceux qui ont bu leur honte jusqu’à la lie ?

On ne peut pas les débusquer comme des lièvres de leur terrier de sable.

Ils ne veulent pas se montrer.

Il va falloir attendre un peu mais je crains toutefois d’être mort avant. C’est cela qui m’ennuie. Ou c’est cela qui leur permettra de sortir du trou et d’exploser à la lumière, enfin libérés !

En juillet on cause de poésie ici

Vincent Breton

Par Vincent Breton

Vincent Breton auteur ou écriveur de ce blogue, a exercé différentes fonctions au sein de l'école publique française. Il publie également de la fiction, de la poésie ou partage même des chansons !

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