« J’aimerais assez cette critique de la poésie, la poésie est inutile comme la pluie ». Ces mots sont ceux de René Guy Cadou. Instituteur et poète. Poète du végétal, de l’amitié, de l’amour, de la solitude, celle qui est nécessaire à l’écriture. Poète de la liberté fauché à 31 ans par la maladie. Je possède de lui les œuvres poétiques complètes. Si vous ne le connaissez pas encore, osez le découvrir !
Le Carnet de poèmes
Dans son merveilleux « Carnet de poèmes », paru en 2020 la chanteuse Michèle Bernard reprend et interprète plusieurs poèmes de Cadou.
« Cadou s’est endormi
Sans éteindre la lampe
Les ânes sont partis
Avec Jammes au Paradis

Et leurs milliers d’oreilles
Dessinent des pétales au soleil
On referme le bouquin
Le poème poursuit son chemin… »[Michèle Bernard]
À l’instar d’Aragon, Cadou est un poète qui se chante. Mais sa lecture apaisante peut aussi se goûter dans le silence d’une chambre.
En réalité on ne s’assoit pas pour lire un recueil de poèmes tout entier comme on le ferait d’un roman. Je vais aux poèmes de Cadou comme à la source fraîche en été. Il faut me désaltérer ou me consoler.
Ou bien s’assurer à travers lui ce que c’est aimer.
« Si facile d’aimer
Le vent
La porte ouverte
Et la lampe allumée
La même voix
La même plainte
Et les deux mains tendues où dépassent les pointes… »

Le livre de ses œuvres a des pages un peu plus marquées, des pliures qui font qu’il s’ouvre « spontanément » sur un certain nombre de ses poèmes qui sont mes préférés.
« Cette fleur dans la main devient source et cheval
Levez les yeux
Le ciel est un piège infernal »
Nul doute : il n’avait pas oublié son enfant intérieur.
Oui, je reviens souvent à ses poèmes. Les uns comme on regarde un album de photos familières pour se rassurer, les autres pour y plonger, les redécouvrir, sentir l’odeur du foin coupé, le frisson d’un cheval, la lumière de la neige…
L’instituteur
Je me demande quel maître était-il ? Quels vers donnait-il à apprendre à ses élèves ? Comment était son écriture au tableau ? Faisait-il rire les enfants ? Était-il bon ?
Surtout, ses élèves eurent-ils jamais conscience d’avoir devant eux un maître-poète ?
De nombreuses écoles portent aujourd’hui son nom. Y apprend-on seulement encore quelques uns de ses vers ? Dit-on aux enfants qui il était ?
Le poète
« Je ne conçois d’autre poète que celui pour qui les choses n’ont de réalité que cette transparence qui sublimise l’objet aimé et le fait voir non pas tel qu’il est dans sa carapace d’os, de pulpe ou de silence, mais tel qu’il virevolte devant la bille irisée de l’âme, cet œil magique béant au fond de nous. »
Il ajoute :
« On écrit d’abord pour se connaître, puis pour se reconnaître puis pour se disculper. »
« Le travail.
Le poète ne doit pas se lever chaque matin en disant : « Aujourd’hui je ferai ceci »ou bien « je ferai cela », mais bien plutôt : »Je ne ferai pas cecic, j’éviterai cela. »
J’aime encore lorsqu’il exprime clairement sa lucidité critique à propos de ces poèmes si bien écrits qui ne touchent pas :
« Pourquoi tant de poèmes, pourtant si admirablement construits, nous laissent-ils à ce point indifférents ? Sans doute y perçoit-on un peu trop l’intention, cette volonté préétablie d’agencer des matériaux dans l’apparence du chef d’œuvre. Mais ces fenêtres si hautes, si claires, si ordonnées, sont murées de l’intérieur. L’obscurité est partout dans cette demeure. »
Pour les poètes qui se plaignent du manque de reconnaissance il dit :
« Les poètes restent persuadés que le désaccord entre la poésie et le public vient du public. Ils ne veulent faire aucune concession à celui-ci (et ils ont raison) comme si celui-ci demandait d’ailleurs quoi que ce fût. Mais le poète s’en tient à un mode ou une mode. Or, la vraie mode n’est comprise ou rejetée que par rétrospective, ainsi de l’apollinarisme accepté vingt-cinq-ans après la mort du Mal-Aimé. Il y a toujours divorce entre la poésie du moment et le public du moment. »
Vivre en poésie ?
J’aurais aimé, petite souris, pouvoir me glisser dans l’arrière boutique de la pharmacie de Jean Bouhier où se retrouvaient René Guy Cadou, Michel Manoll, Jean Rousselot, Marcel Béalu, Lucien Becker, Luc Bérimont … et juste les écouter.
Se montraient-ils leurs derniers écrits ?
« Je n’invente pas, je crée. Qui dit invention dit intelligence. Qui dit création dit amour. »
Alors, le poète est celui qui sait se désarmer pour se laisser traverser. Aimer. On ne peut être poète et haineux. Le ressentiment ne pourrait habiter la poésie et si elle peut parfois être sarcastique c’est pour chercher l’homme sous l’uniforme.
Comme elle dut être touchée Hélène lorsqu’il lui montra le manuscrit d’« Hélène ou le règne végétal ».
« A la place du ciel
Je mettrai son visage
Les oiseaux ne seront
Même pas étonnés »
Un jour, pour une amoureuse, j’avais écrit un petit cahier de poésies, rien que pour elle. Qui parlait d’elle. Il était impossible qu’elle ne le comprenne pas. J’y avais passé du temps. Je lui offris. Quelques jours plus tard, elle me le rendit : « C’est vraiment très beau et j’ai adoré les décorations, c’est bien écrit. »
Un iceberg s’effondra en moi et le cahier a disparu. Le poète n’avait pas rencontré son public.
Ce qui m’étonne encore aujourd’hui, ce dont je ne me souviens pas, c’est le moment où le recueil de René Guy Cadou a rejoint ma bibliothèque. À l’époque, on payait encore en francs. J’avais peut-être lu quelques poèmes de lui, forcément entendu son nom. Aujourd’hui, il est là comme une pierre blanche et douce rapportée de la plage et je tiens le livre comme un morceau de moi même.