Quand on n’a pas de racines, la fragilité de l’étranger c’est un peu celle de ces buissons secs qui virevoltent portés par le vent. Parfois malgré eux. Le touriste passe, puis se sauve une fois son intérêt asséché. D’autres s’installent comme des colons, imposant leurs manières. Alors, quand on pose ses bagages quelque part, on ne sait pas à l’avance si on prendra sa place. Peut-on écrire ici, s’arrêter, rester peut-être ? C’est affaire d’apprivoisements, de confiance. Pourtant, j’ai osé, l’autre après-midi, admirant la douceur des causses du Quercy me dire « si bien dans le paysage ».
Mon ami le chêne
J’ai déjà parlé de lui. Il est à ce point épatant que même le chien le reconnaît et sait que nous allons marcher vers cet ami silencieux qui nous ouvre grand les branches. Il habite un lieu extraordinaire, ouvert aux vents, à deux pas des moutons, des chevreuils et des sangliers. Il voit passer du monde, mais il sait qui nous sommes maintenant.
Ou dans la ville…
J’ai des amitiés secrètes, presque amoureuses, avec Figeac, Cahors, Villeneuve d’Aveyron ou Villefranche de Rouergue. La liste n’est pas close. Je n’y vais pas pour les mêmes raisons, ni pour les mêmes échanges. Depuis peu, quelque chose s’est passé. Quelque chose qui se dénoue. Et l’on me parle de plus en plus, les gens se livrent. J’aime les écouter.
L’été, ils ne savent pas. Il y a tant de monde, ces touristes plus ou moins pressés. Les gens du coin ne sont pas forcément disponibles. À présent, c’est novembre, nous nous reconnaissons davantage. Quelque chose qui s’inscrit dans le temps. La durée permet les confidences.
Si bien dans le paysage, vraiment ?
J’ai aimé tant de lieux. J’aime ici ce mélange de pudeur et de générosité. Je ne veux pas enfermer les gens dans une image. Je ne suis qu’au tout début de cette exploration. Il faut se prémunir de préjuger.
Est-ce que cela tient au sentiment de liberté, à cette beauté poétique qui surgit partout ? Ici c’est un pays de pierres, d’herbes et d’animaux. C’est un pays de rivières, de falaises, de grottes, de châteaux, de légendes… Chaque ruelle a son histoire, chaque porte parle. Et les visages sont traversés de cette beauté. Malgré eux.
Quand je marche dans les rues de Villefranche de Rouergue, si je passe pas loin de l’hôpital où mourut Colette Magny, je pense à sa voix. Elle n’était pas vraiment d’ici non plus… Ce n’est pas une évocation triste, bien au contraire. Je pense à elle, à son exigence inspirante et son profond respect des personnes.
Oser dire que l’on se sent bien quelque part, prétendre à ce bonheur lorsqu’en toile de fond l’actualité du monde gronde ses horreurs, c’est prendre une sorte de risque.
Je ne suis pas immobile. Je veux traverser et traverser encore ce paysage, écouter les personnes, les vieux, les jeunes et les chiens qui viennent saluer Galou…
Je suis bien dans le paysage. Je suis bien au gré des saisons. Le soleil dans les yeux, ou la tête dans la brume coincée entre les causses quand la rivière nous souffle son haleine au visage.
Je suis bien dans cette paix, dans cette récompense, dans cette promesse. Attentif. Attentif comme jamais.
Je suis certainement éphémère, provisoire, passager… mais mine de rien, après ces premiers mois, je commence à pouvoir me le dire, rassuré, je suis si bien dans le paysage…
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