La maison secrète

Publié le Catégorisé comme lieux d'enfance
Maison en ruines

Cette semaine, je vous ai conduits voir quelques uns des lieux de mon enfance. Un ami m’a dit : « mais tu n’as pas parlé de la maison de ton enfance, là où sont tes racines, on aurait aimé savoir… ». C’est que je ne me connais pas de telle maison, j’en ai une plus secrète, plus intime…

La mémoire

Je sais que la mémoire est une réécriture. Il n’en reste pas moins que les images sont ancrées, fortes, précises, puissantes.

Un jour, j’avais su décrire à mes grands parents une de leur maison, le bureau du grand-père, l’espèce d’échelle de meunier qui menait sur le toit, la terrasse qui regardait la ville. Je n’avais pourtant que trois ans et demi quand j’étais dans cette maison, mais la description faite bien plus tard leur parlait des années après. « C’était bien comme ça » avait dit mon grand-père.

Je suis étonné de voir combien de souvenirs sont emmagasinés. Je les croyais remisés, effacés ou estompés… Cinquante ou soixante ans après c’est précis. Et je m’étonne de les retrouver avec tous ces détails de couleurs, d’odeurs, de sensations…

Tout est là, en moi.

Mais tout ne doit pas être dit, les souvenirs ne doivent pas tous être ravivés.

Pas de maison de famille

Je ne suis pas le seul à ne pouvoir désigner de maison de famille, ce lieu de référence où l’on peut aller se ressourcer et retrouver les siens. Il y a bien eu la maison de la grand-mère maternelle et son accueil formidable, mais ce n’était pas vraiment chez moi. Le lieu a été vendu…

J’ai posé la question. Impossible de me souvenir de l’endroit où je vécus bébé. Mes parents avaient-ils un appartement ou étions nous hébergés chez les grands parents à Paris ?

Nous avons beaucoup déménagé quand j’étais petit. Ma mère se débrouillait avec peu pour créer son ambiance. Tout tournait autour de sa bibliothèque. Tant qu’elle put, il y eut aussi la cuisine, les recettes, les bonnes odeurs, les saveurs, les parfums… Il y eut de jolies maisons. Je me souviens de l’une d’elle où les papyrus gigantesques faisaient un rideau devant la fenêtre de la cuisine…

Mais je ne peux pas vous parler d’une maison de mon enfance. Elle n’a pas existé.

Un petit garçon incroyable

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Personne n’a jamais su vraiment ce que ce petit garçon vécut et comprit très vite des adultes et du monde. Un petit garçon, ça ne sait pas ce qui est normal ou pas. Mais ça voit. Ça ressent à défaut de comprendre. Je compris très vite quand les adultes mentaient. Et qu’ils mentaient énormément. Le coup du Père Noël, je le ressentis comme une insulte personnelle. J’avais 4 ans et déjà je n’aimais pas les fake-news. Les grands me faisaient un peu pitié. D’ailleurs, ils croyaient n’importe quoi. L’hypocrisie. Je fus vite assez révolté et j’ai très vite détesté la violence. Je ne veux pas détailler mais la meilleure chose que firent mes parents fut de se séparer. Certains ont conçu de la tristesse de n’avoir pas leur deux parents. Pour moi ce fut le contraire. Une libération même si elle resta longtemps « conditionnelle ». J’y ai gagné en liberté, en autodidaxie, en capacité à me débrouiller. Une vraie chance !

Si elle n’était pas spécialement tendre, ma mère répondait absolument à toutes mes questions. Ainsi j’appris à lire très tôt, à repasser mes chemises à l’âge de douze ans. Surtout, j’appris que j’étais libre de choisir de faire ce que j’aimais avec qui j’aimais. Je ne fus pas tellement encouragé, pas félicité mais accompagné. Ça faisait un petit garçon créatif, causant bien et capable (trop tôt) d’affronter de vrais problèmes et trouver des solutions. Je ne souhaite à personne de vivre mon enfance ou mon adolescence mais ce sont les miennes. Je m’en suis sorti pas si mal grâce à mon goût des histoires, à ma curiosité et à l’amitié.

Mes amis sont ma maison secrète

Parmi mes amis, je compte mes amours qui sont des « amitiés particulières ». Il peut se trouver aussi dans ma famille des personnes qui deviennent ces amis. J’ai toujours préféré la « famille choisie »à la famille obligatoire qui ne m’apporte guère.

Aussi loin que je remonte, il y a toujours eu un ou une amie pour me sauver.

Si je fais la liste, les oubliés vont être vexés. Alors je ne vais pas vous la donner ici. Nous ne sommes pas à une remise de prix. La liste, je la fais défiler mentalement. Elle commence très tôt en enfance. Dès mes trois ans.

Toutes ces personnes ont en commun leur absence de violence, leur côté apaisant et leur capacité si on se retrouve après des mois d’absence de renouer en confiance instantanément. Aucune compétition, aucune jalousie. Je n’ai connu que de très rares disputes.

J’ai toujours jubilé dans la complémentarité de l’amitié, dans les confidences, la possibilité de s’inventer un monde, de partager le plus souvent des moments dans l’intimité de la tasse de thé ou de l’escapade et de temps à autres, dans la joie quand des amitiés se relient…

La troupe du théâtre, ce n’était pas que des intimes, mais comme nous nous aimions bien, nous nous soutenions avant d’entrer en scène, ça nous soudait.

La belle époque ce fut au Boulevard Saint-Martin. Tour à tour refuge, lieu de confidence, de longues soirées chaleureuses… Il y eut des secousses, des départs, des accidents. Les liens restent.

Si par accident je mourais demain, veuillez noter que j’eus la chance de rencontrer des gens formidables, non seulement par leur talent créatif, leur liberté de penser, leur capacité à s’inventer un univers mais aussi par leur générosité et leur douceur. C’est assez rassurant de savoir que des gens chouettes, humanistes et souvent drôles peuplent notre planète… surtout en ces moments de doutes…

Quand le monde montre ses pires côtés, quand l’affreux et l’épouvantable se disputent la vedette, il y a eux, mes pacifiques, mes attachants. Certains me manquent. D’autres je peux les appeler… Et c’est toujours la même joie quand un nouvel ami entre dans la vie. C’est arrivé il y a peu, ça me donne alors l’impression que la maison s’agrandit ou plutôt que je m’agrandis de l’intérieur. L’amitié ouvre en nous des espaces nouveaux qui nous consolident. Il n’y a pas ce risque de l’amour qui peut devenir possessif.

J’ai connu cette personne qui tenta de me couper de mes amis… mais c’est de moi que cette personne finit par se couper.

Ça me rappelle lorsque nous étions mômes : « tu veux venir jouer avec moi ? tu veux être mon ami ? tu veux qu’on soit copain ? « 

« Si ça te dit, on sera copains pour toujours ! « 

Mais oui, depuis l’enfance, j’ai cette maison secrète dont les murs et les fenêtres sont mes amis.

Je leur dois d’avoir passé le gué, de ne pas m’être noyé en mer ou perdu dans les rues de la grande ville.

Ils savent que je tiens de mon côté leurs secrets les plus précieux ou les plus inavouables. Je les tiens dans un sac si serré que je n’oserais même pas les raconter dans un roman ou une nouvelle.

le pont sur l'Aveyron

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Vincent Breton

Par Vincent Breton

Vincent Breton auteur ou écriveur de ce blogue, a exercé différentes fonctions au sein de l'école publique française. Il publie également de la fiction, de la poésie ou partage même des chansons !

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