Dans les librairies, les espaces réservés à la poésie sont devenus peau de chagrin. Mal éditée, mal distribuée, la poésie se vend mal. Alors, on la voit réapparaître avec Internet, sur les réseaux, un peu partout mais de façon aléatoire et inégale… Que faites-vous de vos poèmes ? Lesquels gardez-vous ? Pour quoi faire ?
Le poète n’a pas d’horaires de bureau
Contrairement à l’idée répandue par certains sites débiles, on ne s’assoit pas à sa table en se disant que l’on va écrire un recueil de poésie et encore moins un recueil à succès.
Si l’inspiration est invoquée, le poème se travaille. Ou pas.
« J’ai vu le menuisier
Tirer parti du bois.
chante Guillevic dont les textes sont hautement travaillés.
Moi, j’assemble des mots
Et c’est un peu pareil.«
Conclut–il.
Parfois j’écris en me donnant des règles du jeu plus ou moins ouvertes. certains sont improvisés… Je me suis prêté (rarement) au jeu du concours de poésie, surtout pour y puiser un prétexte, un amusement pour chatouiller la créativité… Des textes viennent, par bribes ou d’un seul mouvement. Il faut seulement pouvoir être « disponible » à l’écriture.
Feuilles volantes, carnets, numérique… parfois un ticket de caisse. Tout est bon pour noter. Mais tous les brouillons ne méritent pas d’être conservés !
Tri de textes
Certains textes seront éliminés d’emblée. Ou « ça ne vient pas ». Les inachevés sont nombreux.
Je pourrais jouer à faire des collages d’inachevés…
Sélectionner, trier, éliminer n’est pas chose aisée. Le regard d’autrui n’est pas toujours convergent avec le mien. Il arrive que des personnes apprécient des textes dont je suis peut-être l’auteur mais que je trouve mièvres… Cela pouvait m’inquiéter sur moi-même…
J’ai toujours été agacé par des lectures « premier degré » comme des interprétations à la limite du toxique.
Dans un poème, on peut trouver une belle métaphore, un vers réussi… mais le reste à jeter.
Je pourrais aller prélever des petits bouts… Mais que feraient-ils tout seuls suspendus dans l’air ?
Pire encore est cet enthousiasme qui vous prend une fois le texte terminé… jusqu’au lendemain où il faut bien admettre que le texte est nul.
J’écris et puis j’oublie
Heureusement que je reconnais mon écriture ou que je sais que le fichier numérique m’appartient… Il m’arrive de redécouvrir des textes des mois après. J’ai tout oublié du moment où j’ai pu les écrire, comment et je redécouvre leur contenu. Parfois content. Souvent effaré.
Oser jeter
Lors du dernier déménagement je me suis résolu à balancer à la déchetterie peut-être trois-cents ou cinq-cents textes… Œuvres de » jeunesse », du temps de l’adolescence mais aussi plus tardives… Au fond, le critère premier était de balancer tout ce dont je ne serais « pas fier » si on les trouvait après ma mort. En me disant que de cela ne concernait pas les curieux et allégerait mes héritiers… Notamment ces poèmes gnan-gnan ou larmoyants…
La poésie c’est vite nunuche.
Il est vrai que la sévérité du lundi peut-être amoindrie par la tendresse du mardi.
Des tas
Il m’est arrivé de faire des tas entre ce que je jugeais bon, passable et à jeter… L’ennui devant la masse de textes, c’est la difficulté de trier sans s’épuiser à lire des écrits sans rapport les uns avec les autres…
Certains textes me touchent car je sais dans quelles circonstances j’ai pu les écrire. C’est plus ce à quoi ils renvoient que ce qu’ils disent qui compte. Cela, un lecteur extérieur n’en peut rien savoir.
Il faut accepter de toute façon qu’un texte sera compris autrement par un autre.
Mais pourquoi écrit-on de la poésie ?
Cela revient à la question de savoir pourquoi écrit-on de la poésie ?
Pour traduire des émotions ? Pour se surprendre avec des métaphores et des sonorités ? Suggérer des images ? Ouvrir des portes en soi ? Se relier à l’Universel ? Entre chant et prière, soliloque, mélopée, théâtralisation d’un moment ou recherche du silence, de l’espace mystique… le texte tient du petit caillou laissé sur son chemin… mais peut se muer en rivière qui coule vers l’océan ou finir en épopée.
Certains poèmes sont beaux à force d’être navrants de naïveté. Ils ont été écrits par des poètes du dimanche, persuadés qu’il fallait écrire quelque chose de « joli ». On les voit parfois dans certains maisons, dans des encadrés ou brodés…
Ruisseau dérivé du journal intime, la poésie peut vouloir se clamer au coin de la rue.
Souvent, j’ai aimé composer de petits recueils que j’offrais à mes amis – je ne le fais plus depuis un moment- , mes amours.
Les gens étaient plus embarassés qu’autre chose…
Les recueils de poésie ont souvent des têtes de cercueil de poésie.
Je pris dans la figure un sacré camouflet lorsqu’à seize ans j’offris un recueil travaillé et composé de mes mains spécialement pour elle à la belle DF. [Elle avait attaché une collection de pompons multicolores à mon écharpe de laine. Je crus à l’époque qu’elle m’aimait bien]. Elle le prit, l’emporta quelques jours, le lut et me le rendit avec délicatesse. « C’était bien ». Les textes parlaient d’elle. Comme elle fut pudique dans son retour.
Plus tard, Colette Magny me renvoya des textes que je lui avais envoyés en amitié car disait-elle, « elle connaissait le prix des photocopies ». Elle avait peur que je lui demande de les chanter. Ce n’était pas mon intention. Le prosaïque avait dominé l’échange.
Quand on partage des textes, il y a toujours ce risque du malentendu.
Je m’en suis fait voler aussi. Au moins deux fois j’ai retrouvé mes propres textes sur d’autres sites… pas facile toujours d’obtenir retrait…
Je ne sais pas dire pourquoi j’écris de la poésie, comme je le fais depuis tout petit.
Avec mes élèves, nous aimions écrire ensemble de la poésie. Tout le monde était embarqué.
Il se peut que la poésie soit un sixième sens, une façon de se ressentir…
Le piège du numérique
Sur les Internets, on en voit fleurir des poèmes. Le texte court ose se glisser aisément… mais il faut le capter quand il passe dans le flux. C’est fugace.
Ici je donne de la poésie. Extraits de recueils, approches thématiques, jeux… poèmes donnés « à l’unité »…
La curiosité
Il faut compter sur la curiosité de la passante ou du passant, le bon titre… J’ai même parfois donné des versions audio.
La fugacité
Il suffira que le site crashe, ou ferme car je n’aurai pas payé l’abonnement, que je disparaisse et les textes disparaitront dans les limbes du numérique. Amen.
J’en ai certains en fichiers numériques… mais il faut cliquer pour voir.
Et de toutes façons personne ne sait dire combien de temps pourront « vivre » nos documents numériques… J’en avais même sur disquettes…
Papier
J’en ai d’autres (pas tous) tirés en papier pour diverses raisons, notamment si je veux m’amuser à les chanter… Je les classe comme je peux, je les range dans des porte-vues…
Tous n’ont pas de titre et je ne les date pas toujours…
J’ai d’ailleurs « un tas » de textes que je dois ranger, classer… ou éliminer. C’est ce qui m’a motivé d’ailleurs à écrire la chronique du jour.
Ambition ?
J’ai pu, il y a des années, donner des poèmes à des revues… je n’ai même pas conservé les publications. Je n’ai aucune motivation à éditer les textes et je ne relis pratiquement jamais ce que j’écris… Il y a tellement d’auteurs de grand talent que je trouverais prétentieux de laisser un livre édité qui ne serait ni acheté ni lu, encombrerait les bibliothèques.
Il arrive que je me sente comme ces ruisseaux qui vont s’éteindre sans bruit dans le sable. Je suis une fin de race
Le mot d’ambition m’est étranger. Je fais ce que je dois pour le moment présent. Il faut être détaché de ce que l’on écrit.
Je dois me résoudre à ranger un peu tout ça. Quelquefois il faut ranger pour écrire de nouveau…
Mais vous qui écrivez des poèmes, qu’en faites-vous ?