C’est un sport national. La disqualification d’autrui est un cancer. Dire du mal des gens même en confidence, peut donner le sentiment de se faire du bien dans un premier temps : ça permet de faire alliance, de se situer ou rassembler un camp. Mais la médisance outre qu’elle prospère sur le fumier dont la délation est l’engrais, est une plante toxique. Qu’elle soit causée par l’ennui la vengeance ou la jalousie, elle nourrit soupçons, grandes et petites guerres. Dire du mal de soi n’est pas mieux. Les autres ne s’apitoieront pas, ils en profiteront. Médire c’est une forme de mensonge sur soi même.
Victor !
Tonton Victor qui en savait long, nous a donné ce texte célèbre. Il dit tout.
Jeunes gens, prenez garde aux choses que vous dites.
Tout peut sortir d'un mot qu'en passant vous perdîtes.
Tout, la haine et le deuil ! - Et ne m'objectez pas
Que vos amis sont sûrs et que vous parlez bas... -
Écoutez bien ceci :
Tête-à-tête, en pantoufle,
Portes closes, chez vous, sans un témoin qui souffle,
Vous dites à l'oreille au plus mystérieux
De vos amis de cœur, ou, si vous l'aimez mieux,
Vous murmurez tout seul, croyant presque vous taire,
Dans le fond d'une cave à trente pieds sous terre,
Un mot désagréable à quelque individu ;
Ce mot que vous croyez que l'on n'a pas entendu,
Que vous disiez si bas dans un lieu sourd et sombre,
Court à peine lâché, part, bondit, sort de l'ombre !
Tenez, il est dehors ! Il connaît son chemin.
Il marche, il a deux pieds, un bâton à la main,
De bons souliers ferrés, un passeport en règle ;
- Au besoin, il prendrait des ailes, comme l'aigle ! -
Il vous échappe, il fuit, rien ne l'arrêtera.
Il suit le quai, franchit la place, et caetera,
Passe l'eau sans bateau dans la saison des crues,
Et va, tout à travers un dédale de rues,
Droit chez l'individu dont vous avez parlé.
Il sait le numéro, l'étage ; il a la clé,
Il monte l'escalier, ouvre la porte, passe,
Entre, arrive, et, railleur, regardant l'homme en face,
Dit : - Me voilà ! je sors de la bouche d'un tel. -
Et c'est fait. Vous avez un ennemi mortel.
« Le mot » in La Lyre.
Les risques de la médisance
Dans la confidence où l’on s’expose à dire du mal d’autrui, si l’on peut se faire un allié de qui vous écoute, on peut aussi créer des ruptures y compris avec la personne que l’on croyait associer à son point de vue. On ne savait pas que Machin était proche de Truc. On s’expose brutalement, surtout si l’on fait commerce de ragot…
Il m’est arrivé de laisser parler sur X, jusqu’à la lie, puis par une phrase laconique de souligner selon les cas : oui, c’est mon (meilleur) ami, je n’ai pas cette opinion… Panique en face. Ou de pointer une fausse information.
Le verbe emporte vite. Des hommes politiques par exemple, ont pu le mesurer au tribunal. La diffamation n’est pas dire une chose fausse sur une personne, c’est dire du mal d’une personne dans le but de la discréditer…
Certes, lorsqu’il s’agit d’argumenter, ce n’est pas médire que de souligner d’une personne qu’elle n’a pas mis ses actes en accord avec ses paroles… c’est autre chose que d’aller chercher dans la poubelle quelque chose qui pourrait la compromettre, juste pour salir sa réputation…
Je me souviens de l’une de mes « belles mères » qui en ma présence disait beaucoup de mal de ses brus. Je ne pouvais m’empêcher de penser qu’une fois le dos tourné, j’aurais le droit au même sort…
Ne pas dire du mal de soi
D’abord l’auto-dénigrement n’a jamais fait avancer les choses. Au mieux c’est une excuse fallacieuse pour ne rien changer. Mais surtout, immanquablement j’ai pu mesurer à quel point non seulement personne ne viendrait jamais vous démentir mais comment même des proches pouvaient venir nourrir avec condescendance, fausse bonne intention, ces propos et en rajouter. J’ai vu aussi comment certains pouvaient même utiliser des confidences contre moi en les partageant…
On donne alors à autrui un pouvoir sur soi. Une supériorité dont il va vite user.
Il a pu m’arriver d’adopter cette position auprès de tel ou tel ami dépressif qui se discrédite. On se croit autorisé à conseiller… à orienter la vie d’autrui…
Tout en écoutant le mal être, je dis en général à présent : « je t’interdis de dire du mal de toi car je suis ton ami et cela voudrait dire que je n’ai pas de bonnes fréquentations. Je pense le contraire ! »
Mais pourquoi ai-je été conduit à dire du mal d’autrui ?
Je crois bien que la question est là. Au niveau de mon ressenti (de mon ressentiment), de mes émotions, de mon histoire… pourquoi ai-je besoin de dire du mal d’autrui ? Pour me valoriser ? Pour laisser croire que je fais partie de « ceux qui savent » ? Parce que la personne m’insupporte ?
Il y a toujours dans la façon de médire, quelque chose du récit croustillant, de la bonne anecdote et je crois une façon de pimenter le réel, quitte à le travestir…
Il n’y a pas loin de la médisance à la mythomanie…
Retenir sa langue
Retenir sa langue n’est pas toujours aisé. On se délecte dans le dénigrement en prenant le thé ou l’apéritif entre amis. Il faut trouver autre chose à faire, sortir de la pièce, changer de conversation…
Dire du bien !
Point de flagornerie mais de la sincérité. Ne jamais manquer l’occasion de souligner les qualités de telle ou tel, ses réalisations, son action.. .c’est de fait se montrer disponible , avoir de l’attention bienveillante aux compétences ou réussites même modestes d’autrui. Reconnaître le travail mené, l’action, les paroles … voilà une énergie non polluante qui ne peut avoir que des retours positifs… pour peu qu’on sache éviter les pièges de la mise en compétition… Il s’agit d’abord de reconnaître l’autre dans sa dignité, dans son apport…
Je me souviendrais toujours de cet élève auquel j’avais dit que je voyais des progrès dans son écriture et que la page du jour avait été bien écrite dans sa première partie… Il avait trouvé assez de motivation dans ces félicitations pour refaire tout son cahier.
Je lis sur les réseaux sociaux de nombreux messages pour dénoncer tel ou tel… mais la mise en avant de ceux qui font du bien avec dignité aurait me semble-t-il plus de vertu pédagogique en s’exonérant d’une stigmatisation excluante…
Cela suppose de croire encore en le meilleur de l’homme…