Le livre était une mauvaise traduction. Il se lisait vite. Il n’échappait pas aux poncifs de l’époque. Pourtant Patrice et son avion qui raconte comment un petit garçon construit de ses mains un petit avion fut certainement un livre déclencheur et qui a nourri mon autodidaxie comme ma capacité à rêver.
J’avais appris à lire en autodidacte
Je fais partie des chanceux. Dès l’âge le plus tendre ma mère me racontait et surtout me lisait des histoires « à volonté ». Comme nombre d’enfants j’aimais me faire relire à l’infini certaines d’entre elles dont un album racontant l’histoire de Blanche Neige.
À force, je connaissais le texte par cœur et sus très vite déceler les erreurs si ma mère sautait un mot ou en lisait un pour un autre. À quatre ans, j’ai su ainsi faire le lien entre les mots écrits et les mots lus et j’ai appris à lire sans vraie méthode et surtout sans aucune souffrance, en demandant « c’est quoi ça ? »
La technique était donc question/essai/vérification et il fallut peu de temps pour que je comprenne comment ça fonctionnait. Cela me dispensa du cours préparatoire et très tôt je pus accéder à tous les livres que je voulais, y compris ceux de la bibliothèque de ma mère.
Je reste convaincu que si les bonnes conditions étaient réunies, cela marcherait pour tout enfant en nous épargnant nombre de souffrances et de dramatisations autour de la lecture… mais c’est un sujet hautement politique en réalité et nous sommes incapables de l’aborder sans disputes idéologiques…
Vers cinq ou six ans, je lisais donc tout ce qui me tombait sous les yeux. Parfois on m’offrait des livres et je me désespérais parce que souvent ils étaient mièvres, sans intérêt ni enjeu.
J’aimais les livres qui me faisaient rêver, les contes, les histoires d’aventure… Il n’y avait pas de télévision ou alors vaguement quelques minutes de programmes pour enfants qui ne m’intéressaient guère…
J’ai construit mon avion !
Mal traduit, sans talent, comportant pas mal de poncifs communs à l’époque, avec ses illustrations conformistes, le bouquin était une traduction d’un album du suédois Ulf Löfgren qui a beaucoup publié et dont je ne savais rien…
Ce n’est pas pour son intérêt littéraire que j’aimais ce petit livre mais parce que le petit garçon de l’histoire se débrouillait tout seul pour fabriquer de ses mains un petit avion et voyager. Il avait fait des plans sur une feuille dont une des faces était blanche, il avait récupéré des planches, des vieux fauteuils, de quoi faire une hélice avec une pagaie brisée et même un vieil aspirateur pour faire le moteur. C’était le roi du recyclage avant l’époque !
Bien sûr, il avait réussi à construire son avion pour aller chercher son père à Zanzibar et le ramener à la maison en passant acheter des cadeaux à Rome et à Paris. Passons sur la symbolique qui aurait amusé un psy (ramener le père à la maison), moi je ne pensais pas du tout à ça, mais bien à faire comme Patrice et construire mon avion…
C’est ce que j’ai fait. Et je me suis installé dans le jardin. Je crois bien que j’avais dû trouver des clous et un marteau et fort heureusement personne n’est venu m’ennuyer avec ça. J’ai trouvé des vieilles planches, des cartons… et je suis parvenu à le fabriquer cet avion.
Bien sûr qu’il volait !
Je vous vois venir. Patrice dans son avion avait eu la chance de trouver un vieil aspirateur comme moteur. L’histoire avait fait un peu l’impasse sur l’énergie nécessaire pour faire fonctionner ce moteur… mais je me suis passé de moteur ! J’en avais un autre dans la tête aussi efficace qu’économe !
Mon avion volait très bien sans moteur ! Et je peux vous dire que j’ai fait des voyages extraordinaires avec lui !
Plus tard, avec mon ami François, nous en ferions d’autres très intenses dans la 4CV de ma tante garée au fond du jardin. Elle nous en veut encore d’avoir parait-il mis du sable dans le réservoir de la voiture la rendant inopérante… Ce n’est tout de même pas de notre faute si le pétrole s’est transformé en sable.
Est-ce que ça joue encore à construire des avions ?
Je ne sais pas si le peuple enfantin continue de fabriquer des avions ou des voitures en carton. Je l’espère. Il faudrait que je retrouve la chanson où je raconte comment j’avais observé sur la plage des enfants ayant construit un radeau et repoussant visiblement une attaque de pirates.
Je crois bien que plus grand j’ai continué d’essayer d’apprendre des choses par moi même, de bricoler, de recycler, d’assembler… je crois bien que je joue encore souvent et que je ne m’interdis pas de rêver grâce à ce que j’ai pu vivre et expérimenter enfant…
Et je crois bien que c’est essentiel, parce que c’est un instrument de liberté et d’autonomie… apprendre à voyager et quitter ses parents a toujours fait partie de mes jeux préférés !
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