Puisque pour changer de vie j’ai choisi de trier mes souvenirs, notamment les textes écrits, il faut bien pour cela soulever la poussière et plonger dans son passé. Je me suis attaqué aujourd’hui au périlleux exercice des photographies, des dessins, des cartes…
Je rentre épuisé de cette chevauchée qui n’est pas tout à fait achevée.
Papier ou numérique, il faudrait être très méticuleux…
Cachés dans l’album ou de grandes boites, les tirages papier exigent un archivage de rigueur si l’on veut pouvoir dater, identifier, repérer… moi c’est fatras.
Je suis loin d’avoir la méticulosité de mes ancêtres. La faute à la démocratisation de la photographie. Je me souviens d’un album formidable chez mes grands-parents où l’on voyait des messieurs en redingote et à moustaches frisées et de dignes dames qui posaient comme des reines. Vélocipèdes et limousines achevaient de donner à l’album une délicieuse part de rêve.
Beaucoup a été perdu ou éliminé. Il restait encore à trier ces exemplaires curieusement répétés d’un même paysage insignifiant, ces images floues et tremblées qui ne sont pas pour autant devenues des oeuvres d’art.
Quelques diapositives… Des disquettes… Là j’ai renoncé. Des cédéroms tirés automatiquement avec le papier avant de s’y substituer totalement. Parfois une inscription : « Dieppe Août 2005 » ou parfois rien… Il faut explorer, parfois copier. Sur les cédéroms du commerce on ne peut effacer… Tant pis pour mes fesses.
Reste aussi la quantité d’images à trier, éliminer, organiser sur le serveur ou dans le cloud. Si certaines ont la métadonnée bavarde, d’abord il faut savoir les ranger un peu et surtout, on ne sait pas si le numérique restera accessible et fiable dans le temps…
Quelques images, rares, plutôt anciennes, ont fini dans des cadres… De temps en temps je m’y attarde : une photo de classe de ma mère, ma grand-mère petite fille sur les genoux de la sienne, mon grand-père beau comme un acteur de cinéma… Toutes ces images les visiteuses et visiteurs les voient. Mais ils ignorent le fleuve d’images dans les boites… et tout ce que ce fleuve charrie…
Peu de portraits d’enfance
Il reste très peu d’images de ma petite enfance, encore moins de mon adolescence Cela ne me manque pas. D’une part j’étais très peu photographié et d’autre part j’ai moi même détruit la plupart des clichés que j’ai pu trouver.
Quelques photos de ma mère, un peu de ma sœur… J’étais plus photographe que photographié. C’est plus facile de se trouver du côté du viseur.
Dans certaines familles on voit des albums chronologiques avec l’enfant qui grandit au fil des pages. On repère les anniversaires. Il y a toujours une photo lors des anniversaires.
J’ai eu un temps une belle mère épouvantable qui nous contraignait toutes et tous à la pose. On dit que le photographe « capture » une image et j’ai toujours détesté être « capturé ». Torture quand il faut mimer le bonheur. Je photographie toujours avec délicatesse les humains…
Les photos ont repris quand j’avais la trentaine. Et surtout quand nous habitions le petit appartement à deux pas du Canal Saint-Martin. Les amis y étaient nombreux. Souvenirs heureux d’une époque douce.
Revisiter les photos c’est revoir aussi les très nombreuses avec L venu dans ce nid douillet mais qui en tomba, durement, cruellement. Je tiens au chaud sa mémoire. Un jour je raconterai son histoire. C’est éprouvant. Mais reste une infinie tendresse qui surnage. La sienne incarnée par cette pureté diaphane et douce transparaît à chaque image.
Alors j’ai appelé les amis…
Formidable, avec le numérique on peut partager rapidement et envoyer aux uns et aux autres ces clins d’œil directement par messagerie (sécurisée s’il vous plaît) : oui, toi à quatre ans qui boudait, toi quand tu étais mince, toi qui portait une jupe japonaise, toi qui partagea un temps l’appartement…
Avec l’un des amis, on a joué à la « bataille » de photos, jusqu’à réussir à retrouver la même soirée photographiée par chacun de nos deux points de vue.
Sur l’image, nous retrouvions des objets qui ont survécu, on se souvenait du prénom de tel ou tel ami, d’autres c’était plus délicat… certains sont restés très proches.
Oui, on a joué à « souviens toi du temps passé » et renoué ainsi avec des souvenirs complices. Un peu ça va. Trop serait dangereux.
Si vite, tant d’images, tant d’années, tant d’émotions vives…
J’ai retrouvé aussi…
Ces dessins au fusain de ma mère, de chouettes autoportraits, des cadeaux que me firent des élèves… Des déclarations.
Et j’en reparlerai, des lettres de Colette Magny ! bonheur ! et même une de Jacques Bertin. Ce sont mes « stars » à moi. Rangez-donc vos vedettes de pacotille…
Rien à jeter là. Cela prend peu de place, beaucoup est déjà affiché…
Oui, j’aurais pu réduire la voilure… Mais je n’ai pas grand chose.
Épuisé !
Vous devez l’être aussi de me voir depuis plusieurs jours trainer dans mon passé. J’ai bien élagué encore. Demain je finirai de ranger cette partie…
J’ai devant moi la bibliothèque qu’il faudra expurger un peu de vieux machins vraiment sans intérêt ni littéraire ni historique… la discothèque est aussi chargée mais assez peu de scories je pense.
C’est là mon point faible : me séparer de mes livres et de mes disques est compliqué. Mais il n’y a pas de raison. Je dois garder ce qui me rassure, me conforte, m’encourage, ces livres vers lesquels je reviens parfois… pour vérifier un bout d’histoire, relire un passage, me le relire encore… mais certains autres iront trouver d’autres yeux et d’autres mains.
Je ne sais pas si ça vous fait,ça, certains livres, c’est comme une chanson, je lis les premiers mots et je retrouve tout seul la suite du paragraphe que je pensais pas savoir si bien. Pas besoin de relire le texte en détail.
C’est comme les photos, parfois, on les regarde à peine, elles servent juste de support pour réactiver la mémoire toujours vivante. Et puis soudain on se penche et découvre quelque chose qui surprend, qu’on n’avait pas vu, qu’on ne savait pas ou ne croyait pas… alors soudainement nos souvenirs sont transformés…
Mais oui, je suis revenu fatigué de cette journée dans les boites de photos…
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