Je vous faire une confidence. Ce journal peut servir à ça. Je suis celui auquel on fait toujours des confidences. Si vous saviez combien de fois et le nombre de personnes qui ont cru pertinent de se confier à moi ! Ça ne date pas d’hier. C’est une marque de confiance, certainement. Parfois le sac des confidences reçues pèse un peu, on ne sait pas où le ranger. Ça ne peut se vider à la rivière, même pas celle du roman.
Ce moment là
Mon détecteur à confidences sait que ça va se produire. Un signal s’allume discrètement mais omniprésent. Il ou Elle va parler.
Un des moments que je redoute presque le plus, c’est, une fois le repas terminé, quand on a débarrassé la table, on glisse vers la cuisine, on essuie la vaisselle, on range les plats. L’autre a rendu service comme jamais. Comme par hasard les autres sont au salon. Ou partis. On est bien dans l’intimité chaude et douce de la cuisine. L’heure est en général calme. Propice comme on dit dans les romans, propice aux confidences. Et puis, voilà, ça va venir, mine de rien, le torchon à la main, entre deux banalités à propos du rangement des bols ou des cuillères, la confidence est lancée. Hop ! Ça y est ! C’est sorti ! Un caillou dans la marre ou en réalité une bouée. L’aveu, la révélation… « Tu sais, en réalité… »
C’est dit. Maintenant je sais.
Bon sang de bois ! Pas elle ? Pas lui ? Pas toi ? Si !
Ça parle
Ce ne sont heureusement pas toujours de grands crimes ni de grandes révélations. Mais tout de même, ça peut secouer la maison, orienter mon regard autrement. Je sais. Maintenant je sais. Si j’avais pu imaginer. Si en fait, je me doutais un peu. Mais à ce point…
Entendons-nous bien, je n’ai rien sollicité. Je déteste soumettre autrui à la question. J’ai trop subi ça, les espèces de questionnaires de police du père soupçonneux ou d’autres mus par la jalousie… Les indiscrets je déteste. Au travail, ceux qui voulaient tout savoir de ma vie privée. Occupe-toi de tes pieds ! …
Non, mais du coup, comme je ne demande rien, c’est à moi qu’on parle. Je prête mon oreille. J’aurais dû être psy, j’aurais mieux gagné ma vie. Le prêtre reçoit aussi en confession. Mais il y a chez lui ce jeu malsain et pervers qui consiste à prendre le pouvoir sur autrui avec son absolution ou à donner des conseils… Ça m’a toujours amusé le curé qui donne des conseils pour gérer son couple.
Non, ça parle. Il faut croire que je suis la bonne personne, le bon endroit pour qu’on me déverse ce flot. Et puis ça rajoute des détails. Moins je demande, plus on m’explicite, on me précise, on me fait l’inventaire des turpitudes et leur historique… Je n’ose évidemment pas interrompre. L’heure est grave. C’est un aveu. Une libération de la parole. Le chemin vers la résilience. Je reçois, cinq sur cinq, vas-y vide ton sac !
Il n’est en général pas tellement attendu que je commente, oriente, juge. On sait que je ne juge pas. J’écoute, je comprends, c’est surement difficile…
Heureusement d’ailleurs que je n’ai pas à conseiller. Si on me sollicite, je reste légèrement en retrait.
Que reste-t-il de leurs aveux ?
Parfois, il faut revenir vers le salon, le sourire au lèvres en se trouvant un sujet de bavardage assez intéressant pour ne pas donner le sentiment de faire diversion, pas trop anecdotique.
Mais à ce moment là on entend toujours une voix qui va mettre le doigt là où ça fait mal : — Tu sais qu’avec E, on fête nos 15 ans de mariage ? 15 ans d’amour , de bonheur et de fidélité, hein ma chérie ?
Je sais moi qu’E vient de m’avouer quelques coups jolis de canif au contrat de ton mariage mon beau. Avec P qui est dans cette même pièce et qui reste sagement le nez dans son verre. Alors je fais « han, han » bêtement, petit regard en coin vers la fautive, une plaisanterie à l’autre dans son verre. Il n’est pas si beau en plus, qu’est-ce qu’elle lui trouve ?
C’est comme si c’était moi maintenant qui devait gérer ça… et veiller par dessus tout à ne pas gaffer, éviter toute allusion même indirecte, changer de sujet sans donner le sentiment de vouloir masquer quelque chose, faut-y aller en finesse, avec doigté… mais tu as toujours un enfant qui va dire un truc énorme ou Tante Adèle qui a flairé la vérité depuis longtemps et est en piste, bien intrusive, prête à sortir les gros titres.
Et cette fois où cet ado parfait nimbé de son diplôme qui venait de m’avouer qu’il se ruinait en cannabis. Cet autre qui n’aime plus son conjoint. Hé, je maquille un peu, car sinon, certains vont se reconnaitre !
Plus dur, I ne veut pas dire sa maladie à ses enfants. Z qu’elle a été licenciée. O m’a avoué qu’elle n’a jamais eu son bac et qu’elle n’a jamais osé l’avouer à ses propres enfants.
Que reste-t-il de leurs aveux une fois prononcés ? Est-ce qu’ils en ont plus légers ? Est-ce que ça les console ou les fait avancer ? Qui doit gérer ça ?
Les confidences rendent vulnérables
Il m’est arrivé de faire des aveux. Surtout d’état d’âme. De regrets. De déprime. C’est une posture un peu niaise. Outre que je n’y ai guère trouvé de consolation, j’ai souvent compris trop tard que ces confidences m’avaient mis à la merci notamment de personnes toxiques.
Je m’étais trouvé beau « maitre chanteur » à m’exposer ainsi. Certaines failles sont propices au placement de couteau. Et vas-y que je remue pour voir si tu as vraiment mal quand je farfouille dans ta plaie.
Il est vrai que parfois le passé put être douloureux. Mais on ne vient pas avec l’aveu de ses malheurs passés pour trouver une excuse à ses difficultés présentes.
Par chance, vivant peu dans le mensonge, je n’ai pas eu à faire de « coming out« . J’ai d’ailleurs toujours trouvé cette démarche idiote. Révéler ce qu’on est, pourquoi ? pour qui ? Pour des personnes qui n’avaient pas ouvert les yeux , pas compris, donc ne s’intéressaient pas vraiment…
Il y a des confidences qui n’ont pas lieu d’être.
Et je n’ai jamais aimé non plus « balancer » sur autrui… « Tu savais que Machin, ben, il ne boit pas que de la tisane ? « . Ça c’est affaire d’éthique.
Tu te doutes bien…
Hier soir, ça n’a pas loupé. Et je me suis trouvé embarrassé car cette confidence défaisait soudainement une fausse image de réussite et de bonheur que je me faisais.
Alors, ils miment juste le bonheur ceux-là.
Hé bien, je vais vous faire une confidence, sans la mettre par terre, ça m’a chiffonné la journée tout ça.
Ne te fâche pas, personne ne peut te reconnaitre. Personne ne t’a vu.
Est-ce qu’il m’arrive de me faire des confidences à moi-même ? Ce serait que je ne me dis pas tout ? Que je me cache des choses ?