Parler de plaisir des mauvaises herbes dans ce journal surprendra la lectrice comme le lecteur. D’abord, il y a celles et ceux convaincus à juste titre par l’écologie qui me diront qu’il n’est pas de mauvaises herbes même s’ils concèderont que des adventices dans le maïs c’est prendre des risques… D’autres, férus de psychologie, soupçonneront une dérive masochiste inquiétante. À toutes et tous, je réponds, non, il y a du plaisir à la rencontre des mauvaises herbes. Explications !
La distinction du jardinier
Permettez Mesdames et Messieurs que ma conférence du jour distingue grosso modo deux situations :
Il y a celle des haies, des massifs, voire des jachères laissées sciemment, des platebandes tracées dans un jardin et puis celle des allées, notamment de gravier ou des terrasses qui entourent les maisons ou traversent les jardins.
Haine dans les haies
Dans les haies, c’est une guerre sans-merci mais inégale, non sans dommage pour le jardinier, contre les ronces qui surgissant des buissons, s’en prennent aux passants côté chemin ou côté jardin. Tailler ne suffit pas. Il faut plonger parfois loin pour extirper provisoirement la bête qui vous aura griffé sauvagement au passage. Sûrement utiles, les ronces étouffent les haies de leur haine innommable. Elles poussent vite, un rien de chaleur et d’eau et les voici gagnant cinquante centimètres à la semaine…
Le liseron plus séducteur mais bien pervers viendra enlacer les plus belles de vos fleurs jusqu’à les étouffer d’amour. Le laisser prendre le pouvoir, c’est renoncer aux plus faibles…
Soyons clairs, la beauté de ces combats n’est juste que s’ils sont menés à mains nues, à la rigueur gantée. Je refuse le produit chimique, le feu…
Patience dans les allées
Une pluie a suffi et voici que les adventices apparaissent dans les graviers ou les cailloux. Incroyable éclosion si rapide. Tiges vertes verticales ou stratégies rampantes, elles sont là et souvent la racine est profonde, tenace.
Cela fait quelque désordre. À moins d’ôter le gravier et de tout céder, elle sont là, s’imposent… Il faut agir. Choix esthétique.
Le vinaigre blanc qu’on alliera peu au sel pour ne pas altérer les sols, peut provisoirement assécher les feuillages… et il faudra enlever ce qui aura jauni.
Dans la réalité, le mieux, même si certains outils peuvent aider, c’est de venir à la main, ôter les clandestines une à une en tentant d’extirper les racines…
Malin plaisir
Et c’est là que je peux avouer à la lectrice et au lecteur incrédules, là dans ces allées, que peut venir un plaisir indicible.
Il faut savoir ne pas courber son dos à le briser mais s’acroupir à l’orientale. Je n’y pense pas toujours à mes dépends. Et conduire le travail à l’ombre. Mais là, vient un plaisir qui n’est pas loin d’approcher celui que procure la méditation.
D’abord, la main va au contact de la plante, elle cherche, elle extirpe. C’est presque intime. Il faut du temps, de la patience… On gagne, on récolte.
Dans un premier temps, on pense au geste. Il s’agit de faire de petits tas des herbes que l’on ramassera ensuite. Puis lorsque le geste s’automatise, le flux des pensées vient. Celles qui viennent d’abord ne sont qu’un trop plein de ces diverses idées saugrenues qui nous encombrent. Des déchets qui s’écoulent et se déversent. Les petits et grands soucis, les nouvelles de l’un, les pas de nouvelles de l’autre, la liste des choses à faire, des trucs qui encombrent et ne permettent pas de lâcher vraiment prise… Et puis, au fur et à mesure que la tâche se prolonge, elle absorbe ce flux extérieur, une sorte de vide se fait où le geste guide. Le cerveau trouve sa récompense dans le seul fait de voir les brins d’herbe disparaître. C’est observable, mesurable, gratifiant… On ne pense plus à rien. On est absorbé, on vogue presque, sans douleur, dans la toute patience du temps habité, de l’éternité.
Il faudra recommencer
Et c’est tant mieux ! La vie n’a de cesse d’envoyer ses messages. S’il n’y avait plus rien, plus de semence, pas de réapparition tôt ou tard de cette manifestation, c’est que le sol serait devenu un espace stérile.
Certes, le temps passé à ce travail relativement ingrat, peut sembler du temps perdu. Les désherbants d’antan savaient vous flinguer un espace en une seule heure. Plus de plantes, Plus d’insectes… Et éventuellement toucher la santé du jardinier ou de ses animaux… mais en réalité, c’est une reconquête du temps, c’est à dire du lien à cette éternité qui tient dans le petit caillou que l’on saisit, dans la vie de cette plante que l’on ôte mais à propos de laquelle, on pourra ensuite apprendre des choses… car la rencontre aura éveillé la porte de la curiosité. L’enfant intérieur veut apprendre et encore…
Certaines de ces plantes ont des vertus… et l’on peut trouver diverses propositions d’usages… avec lesquels il faudra rester prudents…
C’est aussi le temps de se pencher de près sur un espace que l’on surplombe habituellement sans ‘y arrêter vraiment, découvrir le passage d’un insecte, la chute d’une branche, un peu de mousse…
Il y a dans le retrait de l’adventice, quelque chose du chapelet que l’on égrène.
Certes, on pourra reprocher à l’homme d’imposer son ordre, d’organiser l’espace à sa façon. Mais s’il respecte la vie, alors, il pourra trouver un peu de zénitude !