Tout village se retrouve autour de ces lieux dédiés à la promenade des chiens. Chiens libres, chiens en laisse, chiens à la longue longe ou tenus serrés. Les petits, les gros, les chiots ou les seniors, tous vont se croiser et derrière eux des humains. Du bonjour poli à la conversation qui se noue, nos chiens ne sont pas que des médiateurs. Derrière chaque chien, une représentation sociale, une manière d’être… une opinion, une ouverture d’esprit ou une peur de l’autre.
Des amitiés canines
Bonne pâte et bonne patte, Galou a toujours bien aimé croiser d’autres chiens depuis qu’il est petit. Peu agressif, privé de gonades, cela l’oblige tout de même à s’imposer, mais ses quarante kilos et sa stature l’aident. En général, ce sont les petits chiens d’extrême-droite qui l’agressent. L’un d’eux une fois vint le mordre à sa patte. Au sang. En laisse, il répliqua sans blesser. Sa maîtresse osa protester… Mais qui avait laissé son cabot courir à nous furieux ?
La plupart du temps, on se renifle poliment. Les plus craintifs s’aplatissent. Il y eut un jour cette malinoise qui tomba en amour et ne voulut plus nous lâcher … sa maîtresse était confuse et un peu vexée de voir « sa fille » renoncer pour un beau garçon à toute sa belle éducation. Je pense que la belle nous aurait suivis jusqu’à la maison.
Mille rencontres, autant d’épisodes…
Ce jour où Galou crut reconnaître sa mère dans les traits d’une dame labrador noire…
Hier, c’était drôle. Nous marchions tranquilles Galou reniflant tout ce qu’il pouvait, décryptant le moindre brin d’herbe. Surgirent deux chiens libres. Un poil ras et un poil long, races non identifiables et peu importe, un jeune, un vieux…
Le plus jeune pour faire connaissance, intimidé par Galou, joua de la séduction ludique, mille tours à trois mille à l’heure autour de nous invitant au jeu. Les cercles se raccourcirent progressivement jusqu’à ce qu’il vienne s’agenouiller devant son nouveau maître, oreilles relevées. Le vieux retrouvant jouvence trouva ça plaisant et voulait bien jouer.
Le plus vieux, plus sage, entra directement en communication. Moment à la fois amusant et étrange que ces interactions animales faites de mille codes. Ces conversations nous échappent.
C’était clair, Galou les trouvait sympas et en aurait bien fait des amis de jeux. Pour le coup, il aurait aimé que je le détache.
Il a toujours préféré les chiens un peu délurés, pas trop coincés, ayant le sens de l’humour aux chiens tristes confinés dans de petits univers sans surprise. Je vois bien vers qui vont ses amitiés.
Et sa tendresse pour les jolies malinoises fines et douces…
Des humains
Un peu ébouriffé, surgi de nulle part, le maître des deux chiens survint en courant et s’excusant. Enfin, il n’était le maître que de l’un des deux chiens mais connaissait l’autre et l’ayant trouvé dans la rue, avait pris sur lui de l’inviter à la promenade.
Un monsieur joyeux, communicant, avouant qu’il ne maîtrisait pas vraiment le jeune chien fougueux qui n’était pas le sien mais aimant bien les chiens et connaissant tous ceux du coin.
Je le rassurais, il n’y avait rien que du jeu et des échanges amusants. Je voyais bien que Galou était tout joyeux de la rencontre…
Arrivèrent face à nous un couple de jeunes retraités tenant dignement et réglementairement leur chien en laisse. Ils marchaient très droits, le chien entre eux deux tenu court. Lui nous contemplait avec quelque chose de résigné et de timide. Trois chiens qui « plaisantaient » entre eux, deux hommes qui devisaient.
La rencontre fut brève.
Je ne parvins pas à arracher le moindre salut au couple sérieux.
Je découvris à ma surprise, dans les yeux de la dame – ceux de son compagnon semblant éteints- , le regard le plus noir de désapprobation que je n’avais pas vu depuis longtemps. Pas contre moi, mais contre cet homme qui me parlait et de ses chiens. Ses chiens libres… bravant l’interdit même s’ils ne divaguaient pas et ne présentaient aucun danger… on aurait dit des criminels en puissance…
J’imaginais presque le courrier rageur qu’elle allait écrire le soir au Maire pour protester contre cette délinquance à quatre pattes.
Heureusement, l’homme qui m’accompagnait ne sembla pas percevoir toute la haine, tout le mépris, le dédain et la disqualification que ce regard de détestation profonde envoyait. Un vrai missile. Un scud sans pitié. Il me parlait et avait à raconter.
En y repensant, je reste encore surpris d’avoir ressenti de mon côté, à ce point, une telle violence dans un échange si bref. Car j’ai trouvé ce regard très violent.
Automatiquement, cela me fit relancer la conversation avec l’homme qui m’accompagnait. Comme pour le placer dans la boucle protectrice de ma sympathie.
Il ne s’était rien passé qu’une confrontation rapide, un instantané. Personne ne s’est insulté ni tapé dessus.
Et pourtant, il y avait là la plus sinistre illustration du rejet et de l’exclusion sociale… parce que oui, ça se voyait bien que le monsieur qui marchait à mes côtés, « n’était pas de la haute »…
Ils sont où ?
L’homme et ses chiens prirent une autre direction. Nous avons continué notre chemin et mille fois Galou s’est retourné cherchant si ses nouveaux amis allaient passer par là et enfin arriver. Il les attendait. Ils ne vinrent pas. Il se fit une raison. Il y avait tant d’autres choses à renifler.
Un peu plus loin, un chat nous observait. Galou s’arrêta pour le regarder à son tour. Il aime bien les chats. Et ce qui est étrange, c’est que celui-ci nous suivit un moment alors que d’habitude ils se mettent à distance…
En marchant encore dans le village, Galou fit sa récolte de saluts et d’exclamations admiratives. Des enfants sortaient de l’école et ils ne se privent pas de dire qu’il est gros et beau. Alors forcément, il se rengorge un peu.