Je fis un feu

Publié le Catégorisé comme sur le vif
Feu

Je fis un feu. Ce matin, deux degrés. Et c’est loin d’être déplaisant lorsqu’on peut se réchauffer. Les animaux se rapprochent de la cheminée avec ferveur. Et comme à chaque fois, le poème de Paul Éluard me vient aux lèvres. Je le tiens pour l’un des plus beaux… Il m’accompagne depuis l’adolescence et son mystère se perpétue. J’y retrouve ce que j’aime et de quoi méditer.

Paul Éluard – Pour vivre ici (1918)

Je fis un feu, l'azur m'ayant abandonné,
Un feu pour être son ami,
Un feu pour m'introduire dans la nuit d'hiver,
Un feu pour vivre mieux.

Je lui donnai ce que le jour m'avait donné:
Les forêts, les buissons, les champs de blé, les vignes,
Les nids et leurs oiseaux, les maisons et leurs clés,
Les insectes, les fleurs, les fourrures, les fêtes.

Je vécus au seul bruit des flammes crépitantes,
Au seul parfum de leur chaleur;
J'étais comme un bateau coulant dans l'eau fermée,
Comme un mort je n'avais qu'un unique élément.

Je me le dis souvent ce texte. À voix basse, face au feu, je ne connais pas de moment plus intime et apaisant. En réalité, il vient seul. Si je cherche les mots je me trompe, il doit couleur de lui-même. On guide un peu la flamme, on s’y réchauffe autant qu’au poème. Ce que j’aime, c’est qu’il permet d’habiter sans peur sa propre solitude tout en la plaçant comme un élément de la vie.

Ce poème tient le présent, le réel du feu et l’éternité du monde, il est la clé de l’hiver, la lumière qui semble lui manquer. Surtout, il est consolateur. Il contient la vie. La nature et les bêtes sont proches. On pense au feu des premiers hommes qui s’y réchauffaient et y trouvaient protection. Et ce feu qui contient la mort est à nos sens : odeur, chaleur, lumière, crépitement, flammes ou braises. Tout est dit dans ce feu des espérances futures.

Adolescence

Est-ce que je le comprenais ? Je n’avais pas treize ans, j’aimais déjà le chanter m’accompagnant sur deux cordes. Il doit y avoir quelque part des enregistrements sur de vieilles cassettes. Non, je ne les ai plus que dans ma mémoire. Cela suffit.

Julos Beaucarne l’avait un jour chanté a cappella.

Éluard dit un peu plus loin :

« Aucun homme n’est invisible
Aucun homme n’est plus oublié en lui-même
Aucune ombre n’est transparente… »

Éluard est toujours du côté de l’espoir. Malgré les horreurs de la guerre qu’il a pu connaître. Il est resté du côté de la paix et de l’amitié, un poète de l’amour. Je me souviens qu’à l’oral du baccalauréat j’avais eu à lire et commenter le poème « Finir ». Je l’avais dit en chuchotant presque car un autre candidat était interrogé à l’autre bout de la salle. Je me souviens que l’interrogatrice avait été émue par ma façon de lire et de cette étrange intimité entre le poème où Éluard se tenait debout, mon auditrice et le garçon de 17 ans. Ce fut l’épreuve la plus marquante de cet examen.

Et ce matin, j’ai fait un feu sous la protection de l’image de mon grand-père alors jeune homme et contemporain du poète…

mon gand-père

Par Vincent Breton

Vincent Breton auteur ou écriveur de ce blogue, a exercé différentes fonctions au sein de l'école publique française. Il publie également de la fiction, de la poésie ou partage même des chansons !

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