C’est souvent le sujet qui énerve et que l’on évite par crainte de froisser ou de s’enferrer dans des débats sans fin. J’étais d’abord réticent. Mais je peux parler politique ici. Je parle souvent de changer de vie, de choix personnels, de devoirs, de valeurs… Si pas plus qu’à une église, je n’appartiens à une chapelle ou un groupe politique, j’ai pu militer pour des causes. Je ne suis pas expert, le pouvoir ne m’attire pas, pourtant je peux, en citoyen soucieux de « vivre heureux en poésie », prendre le risque d’exprimer un point de vue singulier, si possible avec éthique et assertivité. Le but étant pour moi de tenter en citoyen, j’allais presque dire en « citoyen-poète » de mettre de la pensée sur le fait politique.
Poésie et politique
Homère a sa façon avait une parole politique. Il parlait de la guerre, des rois, des dieux, du pouvoir… Les princes souvent se sont entourés de poètes. Plus proches, des poètes comme Lamartine et Hugo ont voulu incarner leurs valeurs notamment devant le Parlement. Ailleurs et encore aujourd’hui, nombre de poètes ont été ou sont censurés, interdits, punis pour leurs écrits, leurs paroles… D’autres ont voulu bousculer les choses pour accompagner ou suggérer des transformations. Le surréalisme n’était pas qu’un « exercice littéraire ».
On a connu un président de la République publiant une anthologie poétique, un autre fut célèbre pour apprendre chaque jour des vers nouveaux.
Les uns sont allés flatter le pouvoir, d’autres ont osé le chatouiller à la manière du « fou du roi », d’autres encore se sont rangés du côté de l’humanité, insupportant l’injustice ou la guerre quitte à crier… Ont-ils aidé à éveiller des consciences, ont-ils su sortir certains de leur solitude ? « Les chants des hommes sont plus beaux qu’eux mêmes » écrivait Nâzim Hikmet. L’Utopie, l’idéal, sont souvent des lumières allumées, pour réactiver l’espoir et oser imaginer d’autres possibles surtout quand l’oppression est insupportable…
Si l’on suppose que la politique s’intéresse à la vie des hommes, à l’organisation de la Société, elle met en tension idées et concepts : liberté des hommes (liberté d’être soi, de s’émanciper pour mieux vivre ensemble, bénéficier de l’équité, vivre en fraternité), liberté de se mettre en compétition ( de la méritocratie à l’aristocratie ou ses substituts par la « fortune »et l’héritage), travail ou spéculation, confiance ou contrôle ? Alors on voit ce dialogue plus ou moins conflictuel : la paix voulue contre la guerre, la démocratie contre l’autoritarisme…
Il y a une politique, une façon de gouverner qui évacue toute dimension « poétique » sauf à l’intégrer dans une culture d’État, un art officiel. C’est le cynisme ou l’opportunisme contre le souci de la bienveillance. L’incertitude et les peurs associées, peuvent devenir un outil d’oppression et de ressentiment comme réveiller la créativité… le sursaut salvateur de la solidarité !
La parole doit sortir du cœur
Colette Magny chantait : « la parole doit sortir du cœur et non de la bouche ».
L’humanisme est souvent rétréci à l’aune de nos égoïsmes, de notre avarice. Combien de fois nous jugeons l’autre en fonction du camp d’où il est censé parler… Combien de fois nous éloignons-nous du présent, des actes, du réel… Les préjugés commandent, les idées faites. Penser contre soi n’est pas le plus aisé.
Nous « parlons sur » , de loin, sans rencontrer ni donner la parole. Des experts, des spécialistes… parlent à la place des concernés.
On ne montre pas, on commente. On fait des sondages mais on ne donne pas la parole et surtout on étouffe toute velléité d’autonomie. Ça légifère à plus soif pour ne rien résoudre.
Paroles parlées, paroles écrites… abstention et bulletins blancs. Tant sont partis, ont abandonné. À quoi bon ?
On veut essayer un homme politique ou un parti comme on essaierait une marque de lessive.
Individuel et solidaire
Je vote encore. Je vote déçu d’avance. Mais je vote. C’est un choix, souvent une négociation interne, pas un devoir au sens réducteur du terme. Je paie mes impôts même si je désapprouve la façon dont l’argent sera dépensé.
Le brouillage idéologique aujourd’hui est à son comble : entre le manque de culture et l’opportunisme, entre la façon de piloter par les urgences et la polarisation, la stigmatisation et l’anathème plutôt que le rationnel et l’attention à l’autre, la classe politique doit elle même se voir transformée… Pas de naïveté, pas de renoncement, la vigilance toujours… pas plus que la confiance aveugle, la défiance ne saurait être la bonne réponse : il faut tenter d’être ce que l’on voudrait que les autres soient, y compris dans la vie citoyenne…
Le pouvoir de la parole poétique c’est de donner le pouvoir de prendre la parole. C’est partager le pain. Les vrais poètes, solitaires souvent, connaissent tous le sel de l’amitié. Dans une véritable amitié fraternelle, personne n’appartient à personne. Mais on est présent à l’autre, sans jugement.
Le poète aussi, sait la force du souffle de la vie. Vie animale, vie humaine, vie de la nature… Il sait la puissance de l’instant présent, il sait le réel parce qu’il l’habite toutes sensations ouvertes. Il sait être parce qu’il n’insulte pas l’enfant en lui .
Edgar Morin parle de la nécessité d’une auto-éthique. Alors, si j’ose causer de politique, il ne faudra pas que j’oublie cette affaire là… et du coup, il ne faudra pas juste parler pour se positionner mais pour questionner, apprendre ou développer un point de vue peut-être divergent… non pas pour se singulariser mais pour faire un pas de côté… dépasser le simplisme réducteur du bon sens et des évidences apparentes…
Entre intuitions, ressenti, convictions et valeurs, je n’ai ni plus ni moins de rôle à jouer que chacune et chacun. Je veux aussi que ces écrits m’aident à réfléchir et définir un peu si possible ce que cela peut vouloir dire : « exercer une parole citoyenne ».
Qui disait que la liberté ne s’use que si l’on ne s’en sert pas ? Guy Bedos je crois. Le Canard a pour devise « La liberté de la presse ne s’use que quand on ne s’en sert pas. »
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