Il fait si doux… Si doux que l’on se demanderait presque quelle sera la prochaine catastrophe. Il fait si doux que les enfants et les adolescents volètent par les rues à la sortie de l’école comme des papillons qui se seraient trompés de saison. On prolonge la promenade. Le chien veut jouer tard le soir. Inlassable avec ses balles. Il fait si doux, je laisse défiler entre mes doigts les derniers jours de novembre à la saveur incongrue.
La gentillesse
La gentillesse est une fleur. Elle pourrait n’être qu’une feinte, une hypocrisie faisant son commerce. Je l’ai bue au bol de l’amitié réconfortante, ou même hier dans les paroles de l’apprenti coiffeur. Il se confiait presque, lui à l’aube de son nouveau métier et savait agir avec bienveillance. Aimable cliquetis des agiles ciseaux autour de mon oreille, jamais blessée.
Ou bien cette dame perdue, je devins sauveteur en haute mer au bout de l’avenue, ou ce bavardage tellement anodin de bonté qu’il me permettait de prendre ma place dans le paysage, avec ce soleil qui descend si vite et nous fait des ombres immenses avec des silhouettes heureusement longilignes.
Ou bien ce bonheur insatiable : si je croise des chevreuils sur la route, je m’en invente une chance. Deux ! Fortune ! Il y eut en plus un écureuil. Ils sont toujours affairés. Les bras chargés de cadeaux, ils rentrent chez eux à vive allure. On parle des noisettes confisquées dans le jardin ? Une à goûter m’aurait suffi.
Au bord du Célé, à deux pas de Figeac, il y avait ce héron digne qui philosophait seul sur la berge.
Le troupeau
Sans surveillant, sur le causse les moutons étaient libres. Ne pas les déranger. Galou les connaît bien, il n’est pas du genre à leur courir après. En Provence, il avait appris à craindre les patous et les sabots des chevaux.
Moutons ou vaches, il y en a toujours un qui nous fixe, insistant. Que lisent-ils de nous ?
Et les ânes ? Ils sont nombreux dans le coin. Ils viennent en galopant, ils aiment le contact et sont sensibles à ce qu’on leur dit. À chaque fois on dirait des retrouvailles. Mais de loin, j’entends le cri parfois déchirant de l’âne du voisin…
Avant, juste avant qu’à la nuit les hulottes n’entrent en scène semblant se répondre aux quatre coins du jardin.
Contes du Quercy
À la librairie, j’ai trouvé des contes du Quercy. Il y a l’histoire du gouffre du Lantouy tout près d’ici. J’en reparlerai.
Je suis un enfant. J’ai besoin de contes. Ici, les histoires sont crues. Violentes. Des moines meurent, des guenons sont jetées des falaises, des monstres sombrent au fond des gouffres ou s’emparent de la pureté de jeunes vierges. Certaines versions sont édulcorées mais je pense qu’à la veillée, dans les autrefois, on ne ménageait pas force de détails horribles pour que tout le monde se serre autour du feu.
Il fait si doux
Ne me demandez pas ce qu’il se passe à Paris, si le premier ministre sera bientôt renvoyé ou qui a été condamné à quoi …
Il fait si doux que le scandale m’ennuie. Je me tiens dans les choses simples. J’ai chatouillé des projets, je les ai reposés. Il fait si doux que j’ai le cœur lascif. J’avais un ami, qui avec une douce tendresse appelant à la paresse lorsque je proposais quelque chose, il répondait souvent « flemme ».
Et il y avait dans ce flemme une promesse, une invitation à se délier des contraintes et des obligations, qui était la plus intelligente des révolutions, le plus délicat pied de nez au conformisme…
Il fait si doux que je me sens débonnaire, assumé niais… Il fait si doux, mais n’en abusez pas.
Personne ne m’a jamais vu ivre.
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